Comprendre les origines de la guerre au Yémen

Jusqu'ici, les frappes de la coalition menée par l'Arabie saoudite ont échoué à faire bouger les lignes. Le pays, lui, risque de s'écrouler à la manière de la Somalie.

Le Monde

Publié le 17 avril 2015 à 19h35 - Mis à jour le 18 avril 2015 à 01h01

Temps de Lecture 6 min.

Des villageois cherchent des corps dans les ruines laissées par un bombardement de la coalition saoudienne, le 4 avril près de Sanaa.

Depuis le 26 mars, une coalition militaire menée par l'Arabie saoudite bombarde le Yémen. Elle agit à la demande du président Abd Rabbo Mansour Hadi, chassé du pays par une rébellion et réfugié à Riyad. Les rebelles houthistes, des chiites originaires du nord du pays, cibles des bombardements, sont quant à eux soutenus par l'Iran, rival de l'Arabie saoudite dans la région. Les frappes ont jusqu'ici échoué à repousser significativement les rebelles.

Les violences dans le pays, puis les bombardements aériens, ont fait au moins 767 morts et 2 900 blessés depuis le 19 mars, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui fait savoir que le bilan réel est plus élevé. Au moins 405 civils ont été tués par les frappes, selon l'Organisation des Nations unies (ONU), et plus de 120 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays, qui s'ajoutent à 300 000 autres déplacés qui avaient fui avant même l'intensification des combats. Le pays manque de vivres, de médicaments pour les malades chroniques, de carburant.

Comment cette crise s'est-elle déclenchée ?

Le président Mansour Hadi a quitté le pays en mars, après avoir été chassé de la capitale, Sanaa, puis du grand port d'Aden, dans le sud. Les milices houthistes avaient pris le contrôle de la capitale dès le mois de septembre. Elles sont alliées à l'ancien dictateur Ali Abdallah Saleh, qui a dirigé le pays jusqu'en 2012.

Les rebelles ont conquis l'essentiel du pays en se présentant comme un mouvement des déshérités. Ils ont mené une contre-révolution après le mouvement qui avait emporté Ali Abdallah Saleh dans la foulée du « printemps arabe ». Depuis, les élites politique, militaire et tribale du pays se déchiraient pour se redistribuer le pouvoir.

Voir l'infographie : Huit cartes pour comprendre les origines du chaos au Yémen
Le Yémen en 2015.

Le Yémen était-il un Etat stable auparavant ?

L'Etat yéménite est faible de longue date. Le pays est historiquement divisé entre le nord et le sud, deux régions qui ne se sont unifiées qu'en 1990. De la chute de l'Empire ottoman à 1962, le Nord a été dominé par une dynastie zaïdiste (environ 40 % de la population), la confession des houthistes, une branche minoritaire du chiisme. En 1962, la proclamation d'une république est suivie d'une guerre civile qui oppose monarchistes, aidés par l'Arabie saoudite voisine, et républicains, soutenus par l'Egypte de Nasser. Ces derniers finirent par l'emporter. C'est dans ces montagnes du Nord qu'est né le mouvement Ansar Allah, dit « houthiste », autour de Hussein Badreddine Al-Houthi, un ancien parlementaire entré en dissidence et tué par l'armée en 2004.

Dans le Sud, le port d'Aden et son arrière-pays sont demeurés sous protectorat britannique jusqu'en 1967. Aden devient alors une république d'inspiration communiste, sous influence soviétique. La guerre froide maintiendra la division entre Nord et Sud. Depuis l'unification, le président Saleh, au pouvoir dans le Nord depuis 1978, avait su se maintenir en jouant de la corruption, des rivalités tribales et du radicalisme religieux. Jusqu'à ce qu'il soit chassé par une révolution en 2011, dans la foulée du « printemps arabe ».

Les ingérences étrangères n'ont jamais cessé. L'Arabie saoudite mène de longue date une politique d'affaiblissement de son voisin. Depuis l'attaque d'Al-Qaida contre le destroyer USS Cole à Aden, en 2000, les Etats-Unis font la guerre aux groupes djihadistes à grand renfort de tirs de drones Predator. Pour s'autoriser ces opérations, ils ont soutenu le gouvernement Saleh, puis celui de Mansour Hadi. Malgré ces attaques, Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), sises au Yémen, s'est imposée comme la principale branche du groupe djihadiste.

Le pays est miné par le sous-développement et une croissance démographique trop forte pour de faibles ressources naturelles. Le Yémen est pauvre en pétrole et en gaz, et l'eau devrait manquer à Sanaa, dans dix ans.

Lire le décryptage (édition abonnés) : Yémen : guerres locales, djihad global

Est-ce une guerre entre sunnites et chiites ?

Des miliciens chiites protègent une manifestation en soutien aux houthistes du Yémen, à Bagdad en Irak le 31 mars.

Le conflit religieux n'a pas été, par le passé, un phénomène important au Yémen. La coexistence a longtemps été la norme entre zaïdistes et sunnites. La rébellion houthiste est bien chiite, mais il s'agit à l'origine d'un mouvement tribal et régional, opposée au pouvoir central et antiaméricain. L'ex-président Saleh a cependant attisé le sectarisme en soutenant un mouvement sunnite d'inspiration salafiste dans le Nord, hostile aux zaïdistes. Le facteur religieux est monté en puissance depuis 2011.

Surtout, le pays est pris dans l'affrontement géopolitique régional entre l'Iran, république islamique chiite, et l'Arabie saoudite, monarchie sunnite. L'Iran soutient les rebelles houthistes. L'Arabie saoudite bombarde pour empêcher, selon elle, que ne s'établisse un régime pro-iranien à sa porte.

Une large coalition arabe (huit pays du Maghreb et du Machrek) s'est immédiatement ralliée à l'attaque saoudienne, ainsi que le Pakistan. Le roi Salman, qui a pris la tête de l'Arabie saoudite en janvier, a surpris et pris le risque d'embarrasser son allié américain jugé inactif face à la menace iranienne.

L'Iran a violemment condamné l'attaque saoudienne, tout en proposant de faciliter des négociations de paix et en dépêchant ses diplomates dans la région. Son soutien concret aux houthistes est difficile à évaluer. Le zaïdisme est une branche dissidente du chiisme duodécimain (qui célèbre une lignée de douze imams héritiers du Prophète), religion d'Etat en Iran. Les houthistes montrent une volonté d'indépendance, le degré de parrainage qu'ils sont prêts à accepter de l'Iran n'est pas clair.

Ils pourraient bénéficier dans leur combat de l'appui de cadres militaires iraniens, ou plus probablement de miliciens du Hezbollah libanais. Mais leurs liens avec l'Iran restent incomparables avec ceux qui lient le Hezbollah ou les milices chiites d'Irak à Téhéran.

Lire aussi, de notre envoyé spécial à Riyad : Le réveil de l'Arabie saoudite face à l'Iran

Des rebelles houthistes manifestent contre la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU interdisant toute livraison d'armes à leur mouvement, à Sanaa le 16 avril.

Les bombardements saoudiens sont-ils légaux ?

L'Arabie saoudite intervient légalement, à l'appel du président en exil reconnu par la communauté internationale. Elle est tenue de respecter le droit humanitaire appliqué aux conflits armés non internationaux (les houthistes ne constituant pas un Etat, mais une rébellion dans un cadre national). Cela implique le respect de l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949, et du protocole additionnel II.

Ces obligations concernent la protection des civils, le ciblage d'installations exclusivement militaires, les bombardements en zone urbaine, la protection des belligérants ayant laissé leurs armes… En plus des 767 morts au bas mot qu'ont faits les bombardements, l'organisation Human Rights Watch a relevé plusieurs bombardements de cibles clairement civiles, y compris dès les premiers jours dans le centre de Sanaa.

Par ailleurs, la coalition a joui d'un certain soutien du Conseil de sécurité de l'ONU, qui a voté un embargo sur les armes destinées aux houthistes, à l'unanimité, la Russie s'abstenant. Les Etats-Unis ont admis fournir un soutien logistique et du renseignement à la coalition. La France soutient diplomatiquement l'Arabie saoudite. L'ONU a cependant réclamé vendredi un cessez-le-feu.

Lire aussi : La France, meilleure alliée des puissances sunnites

Que peut attendre le pays ?

L'Iran fait le pari que la coalition s'enlisera au Yémen. L'Arabie saoudite avait déjà bombardé les houthistes en 2009, dans le nord-ouest du pays, sans succès. La coalition envisage aujourd'hui d'envoyer des troupes au sol, mais le Pakistan a refusé, et l'Egypte ne paraît pas pressée. L'Arabie saoudite ne semble pas avoir de plan de paix clair pouvant prendre le relais de l'intervention militaire.

Pour l'heure, les houthistes ne reculent pas. Les bombardements et les morts civils risquent d'aliéner les populations. Al-Qaida a profité du chaos pour gagner des territoires.

Les djihadistes tiennent Moukalla (200 000 habitants), où ils ont saisi un aéroport et un terminal pétrolier. L'Etat islamique (EI) a fait son apparition au Yémen avec les attentats de Sanaa, en mars. Par ailleurs, la campagne de drones américaine se poursuit : AQPA a annoncé à la mi-avril la mort d'un de ses idéologues en chef, Ibrahim Al-Rubaish.

Aujourd'hui, le pays risque de s'écrouler à la manière de la Somalie : un Etat faible ; des gouvernants sans légitimité, abandonnant de larges pans du pays à des milices islamo-mafieuses ; des populations forcées au déplacement et à l'exil par les violences et un sous-développement endémique ; la guerre, ponctuellement alimentée par des pays voisins.

Lire aussi : Yémen, une faillite américano-saoudienne

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