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Peut-on encore débattre avec une «passionaria» appelée Abir Moussi ?

En dehors des militants du PDL, le sit-in du Bardo présidé par Abir Moussi n’a pas mobilisé… tous les Tunisiens hostiles à l’islam politique . Il faut se demander pourquoi ?

Le succès politique d’Abir Moussi et de son Parti destourien libre (PDL), les seuls à tenir la dragée haute aux islamistes d’Ennahdha, ne suffit pas pour justifier tous leurs faits et gestes. Car si on souscrit volontiers à leur critique de l’islam politique et de ses ravages en Tunisie, leur discours foncièrement contre-révolutionnaires est trop réducteur, masque la complexité de la réalité tunisienne et n’ouvre pas de véritables perspectives de changement. D’où la réserve où des pans entiers de la classe politique anti-islamiste tiennent la «passionaria» et son mouvement…

Par Salah El-Gharbi *

Il est indéniable que, depuis deux ans, l’action du Parti destourien libre (PDL) est parvenue à déstabiliser le parti islamiste Ennahdha, à fragiliser l’autorité que ce mouvement cherche à instaurer et à entraver sa politique de mainmise sur le pays. De même, il est certain que ce mouvement a réussi à fédérer, au-delà des «destouriens», tous ceux qui redoutent la menace que fait peser l’islam politique sur le pays, aussi bien à gauche que parmi les «élites» et les «indépendants».

Courage, pugnacité et cohérence des propos

À l’origine de ce succès politique, la personnalité du leader de ce mouvement dont le discours interpelle aussi bien le Tunisien «ordinaire», qui admire le «courage» et la «pugnacité» de la militante «destourienne», qu’une certaine «élite», qui, tout en étant persuadée de la légitimité de son combat, se laisse séduire par la «cohérence de ses propos et la pertinence de sa rhétorique». Tous semblent se reconnaître en elle, admirent chez elle cette impertinence, une «qualité» bien de chez nous, discutable mais efficace, qui consiste à ne pas lésiner sur les moyens dans le but d’intimider l’adversaire, de le provoquer en permanence tout en multipliant les coups d’éclat spectaculaires qui mettent en difficulté «l’ennemi», quitte à laisser parfois quelques plumes.

Certes, le «moussisme», cette nouvelle manière un peu cavalière de faire de la politique, tout en alimentant les médias, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, arrive à imprimer sa marque sur la scène politique du pays et donne du fil à retordre aux islamistes d’Ennahdha.

Néanmoins, autant on ne peut que saluer le succès du PDL, la seule formation politique actuelle capable de représenter une véritable alternative au pouvoir des «islamistes», autant on est mal à l’aise face à la dérive d’une tendance de ce mouvement qui consiste à jeter l’anathème sur toute voix qui désapprouverait certains choix de mots d’ordre ou certaines méthodes d’action.

Peut-on encore critiquer la «passionaria» du PDL ?

«Tous ceux qui ne sont pas avec nous, ne sont que des traîtres à la solde de l’ennemi, en l’occurrence Ennahdha», disent en substance, ces militants grisés par les résultats des sondages qui leur sont favorables. À leurs yeux, être sympathisant du mouvement ne suffit plus. On veut faire de nous des godillots, marchant au pas derrière la «passionaria» et son parti.

Ainsi, en ayant recours à l’intimidation, muselant les voix dissonantes, ces militants, qui prétendent lutter contre l’intolérance incarnée par l’islam politique, font preuve d’intolérance à l’égard de gens qui ne cherchent que la réussite du mouvement.

Discuter, critiquer, proposer ne peuvent que faire avancer la cause que défendent Abir Moussi et ses camarades, que servir leur combat et contribuer, ainsi, à le revitaliser, lui éviter les risques de ratage. Il n’y a pas plus dangereux, dans un mouvement politique, que les lèche-bottes et les «béni-oui-oui».

Donner un blanc-seing à Moussi ne saurait lui rendre service. D’ailleurs, si l’on croit les sondages, il y aurait un écart conséquent entre les intentions de vote favorables au PDL (37%) pour les législatives et celles accordées à Abir Moussi (17%) pour les présidentielles. Ceci montre bien que la stature du leader du mouvement, qui aspire aux plus hautes responsabilités de l’Etat, ne convainc pas.

Si surfer sur le ressentiment qu’une partie de la population éprouve, à juste titre, à l’égard des «islamistes», est légitime, je doute fort que cette approche puisse constituer un projet politique crédible.

Les récits réducteurs masquent la complexité de la réalité

L’arrogance de certains militants PDL serait passé inaperçue si elle n’était pas corroborée, bénie et encensée par des «philosophes», des «historiens», en l’occurrence, par une certaine élite accourue soutenir Moussi dans son sit-in du weekend dernier sur l’esplanade du Bardo, qui a été durement réprimé par une police aux ordres du parti islamiste.

Lors de ce sit-in, les militants du PDL, fidèles à leur habitude, ont dénigré la «Révolution de la brouette», jetant le bébé avec l’eau du bain et reprenant en chœur les sempiternels slogans selon lesquels Ennahdha serait à l’origine de tous nos malheurs, par conséquent, notre salut ne tiendrait qu’à la disparition de ce mouvement.

Ce récit, aussi séduisant soit-il, est réducteur et ne fait, par conséquent, que masquer la complexité de la réalité. Il nous dispense, surtout, d’avoir suffisamment de courage de dire la vérité et de désigner le vrai coupable et responsable de nos déboires, celui qui, en 2014, avait les rênes du pays, feu Béji Caïd Essebsi en l’occurrence, et qui, alors que les islamistes étaient terrés, avait cinq ans pour sortir le pays du «fond de la bouteille», comme il se plaisait à répéter. À l’époque, les lions étaient dans leurs tanières, terrifiés par le Vieux briscard de la scène politique. Faute de pouvoir s’attaquer directement au maître de Carthage, on se contentait d’accabler et de fustiger sa progéniture.

De même, les islamistes ne seraient pas aujourd’hui au pouvoir, si, en 2014, le pouvoir sénile et irresponsable n’avait tout fait et ce, jusqu’au dernier souffle, pour affaiblir son propre camp, en multipliant les coups bas et mesquins… À l’époque, le seul à avoir dit réellement «non» à BCE, en l’occurrence Youssef Chahed, a été lâchement vilipendé, dénigré et mal récompensé en lui préférant un candidat inconsistant aux présidentielles de 2019.

Par ailleurs, Ennahdha n’aurait jamais eu la possibilité d’accéder aux responsabilités et tenir en laisse le pays si en, 2011, la gauche ne lui avait pas préparé le terrain, entre autres, en lui offrant un code électoral qui lui était favorable et en éliminant les Rcdistes, en qui on voyait de «redoutables rivaux» dans la compétition.

En somme, aujourd’hui, dénoncer Ennahdha, serait comme enfoncer une porte ouverte. Comme j’aurais aimé entendre nos vaillantes «élites» avoir le même courage dont elles font preuve à l’égard des «islamistes» et élever la voix pour dénoncer ouvertement tous ceux parmi les «démocrates, progressistes…» qui auraient été, d’une manière ou d’une autre, à l’origine de notre terrible déconvenue.

* Universitaire et écrivain.

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