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Kais Saied et les États-Unis : Le malentendu historique

Kais Saied / Joe Biden.

Des lobbyiste affiliés aux mouvements de l’islam politique cherchent à faire accréditer auprès de l’opinion internationale, surtout américaine, et des centres de décision des États-Unis, avec un certain succès, il faut reconnaître, l’idée que la Tunisie est tombée avec le président Kaïs Saïed dans les griffes d’un autocrate qui a mis la fin au processus démocratique en Tunisie. Or la réalité est toute autre. Des éclaircissements à ce sujet sont nécessaires…

Par Maître Taoufik Ouanes *

Ni toutes les instances officielles des États-Unis ni tous les vrais démocrates américains ne sont dupes des campagnes de dénigrement et d’attaques contre la Tunisie et son président. Ces campagnes insidieuses et tendancieuses sont l’œuvre de lobbyistes professionnels et n’obéissent qu’aux règles de la rentabilité financière des contrats de la propagande politique. Il ne faut pas jeter la pierre à ces lobbyistes. Ils agissent dans le cadre de la pratique politique américaine et de ses règles mercantiles. Mais la question se pose clairement pour leurs commanditaires tunisiens et autres. Ceux-là n’hésitent pas à employer la manipulation, la désinformation et la mauvaise foi : les Moncef Marzouki, Radwan Masmoudi et leurs comparses tunisiens et étrangers. On ne s’attardera pas sur ceux-là ni sur leurs actes répréhensibles pour les plus simples des citoyens, mais indignes de tout responsable ou ex-responsable à l’échelle d’un État ou d’un parti au pouvoir.

En revanche, nous tâcherons de jeter un éclairage sur l’image qu’ils veulent envoyer à l’opinion internationale, surtout américaine, et inculquer aux centres de décision des États-Unis avec un certain succès, il faut reconnaître. En effet, tous leurs efforts tendent à faire croire que la Tunisie est tombée avec le président Saïed dans les griffes d’un autocrate qui a mis la fin au processus démocratique en Tunisie. Or la réalité est toute autre.

Mettre fin au pouvoir de l’islam politique

Les actes et les décisions prises par le président Saïed le 25 juillet et le 22 septembre ont, en définitive, mis fin au règne du dernier pouvoir de l’islam politique dans un pays arabe. Prétendre que le pouvoir d’Ennahdha en Tunisie est le dernier bastion de démocratie du soi-disant «printemps arabe» est juste un leurre. Au pouvoir pendant 10 années, l’islam politique a verrouillé la constitution, phagocyté les institutions, pillé le pays par la corruption et dramatiquement ruiné l’économie. Le système, ainsi mis en place, a totalement bâillonné la liberté et l’égalité.

L’islam politique tunisien a mis en pratique, pernicieusement et durablement, en ajoutant à l’adage «one man, one vote», l’élément «one time»! Une fois arrivé au pouvoir par des stratagèmes pseudo démocratiques, Ennahdha a fait une ingénierie politique et institutionnelle qui rendait toute alternance au pouvoir de l’ordre de l’impossible. Les viles manipulations électoralistes, la fraude et la corruption ont anéanti toute possibilité de vie démocratique réelle sous le règne de l’islam politique. De l’aveu même des responsables d’Ennahdha, ils voulaient rester au pouvoir pendant des décennies! Rien que ça!

Si le choix du peuple de ses gouvernants dans le cadre d’un système politique et électoral libre et transparent est anéanti, se prévaloir de la moindre légitimité démocratique relève de la farce et de l’escroquerie politique et intellectuelle. Doubler tout cela de pratiques qui relèvent du terrorisme et de la violence et des assassinats politiques, vire à la criminalité internationale.

Il ne faut pas oublier que l’islam politique et ses chefs, à commencer par Rached Ghannouchi président d’Ennahdha et du parlement gelé par le président Saiëd, n’ont fait aucun secret de leur action pour envoyer de très jeunes tunisiens combattre aux côtés de de l’Etat islamique (Daêch) en Afghanistan, en Syrie et en Irak.

Le peuple tunisien s’est ainsi trouvé, de facto, condamné à rester sous le joug du pouvoir de l’islam politique. Il ne pouvait plus s’en délester avec les urnes dont les dés étaient «pipés d’avance». À peine sorti de la révolution de 2011, il ne lui restait qu’à faire une autre révolution avec ses dangers de répression et de guerre civile. Usé qu’il était par la pauvreté et les centaines successives et quotidiennes de morts du Covid (plus de 25 000 morts), sans vaccins et sans oxygène, le peuple a commencé à descendre dans les rues. L’action de Kais Saïed, le 25 juillet, tout le monde en convient maintenant, a évité à la Tunisie davantage de morts, de larmes et de sang.

Ce diagnostic a été clairement reconnu lors de la réunion de la Commission des Affaires étrangères du 14 octobre par Greg Steube, membre démocrate de la Chambre des Représentants, et Eddy Acevedo, chef de cabinet et conseiller principal au Centre Wilson. Il est étonnant que ce diagnostic accablant soit imputé aux décisions du président Saïed d’il y a moins de 3 mois et non à l’islam politique au pouvoir depuis plus de 10 ans! Plus stupéfiant encore est de condamner celui qui s’est dressé contre le bilan catastrophique, Kais Saïed, et de lui attribuer la volonté d’instituer d’établir une dictature en Tunisie!

Tout aussi incompréhensibles sont les affirmations gratuites d’un supposé rapprochement de la Tunisie avec la Russie et la Chine.

La Tunisie n’a pas changé ses choix stratégiques historiques

Prétendre un tel changement stratégique ne peut relever que de l’ignorance des réalités ou de la cécité politique… Ou encore de mauvaise foi.

En effet, nous avons souligné dans notre article sur Kapitalis paru le 6 septembre dernier que le président Saïed était perçu politiquement plutôt comme un «conservateur» et que ses actes du 25 juillet et 22 septembre ne peuvent en aucune manière être considérés comme un changement du positionnement stratégique. Le président Saïed a bien pris le soin de le signifier clairement aux sénateurs Chris Murphy et Jon Ossof lors de leur visite à Tunis le 4 septembre.

Alors, lorsque M. Acevedo parle d’un rapprochement avec la Chine et d’un accord avec Huawei en parlant de Kais Saïed et de ses actions après le 25 juillet, on croit rêver. Il devait certainement parler d’Ennahdha et des œuvres de ses gouvernements depuis 10 ans.*

L’erreur de calendrier est quand même patente ou grossièrement volontaire. Mieux encore! On accuse Saïed d’être «socialiste», l’injure politique suprême aux Etats-Unis. Cette accusation de Saïed par Acevedo est aussi ridicule que cette même accusation lancée par Donald Trump au président Joe Biden !

Depuis son indépendance il y a plus de 65 ans, l’attachement de la Tunisie à l’économie de marché et aux valeurs du libéralisme n’a jamais fait défaut. La Tunisie indépendante n’a jamais connu d’errements idéologiques mettant en cause son ancrage économique et historique à l’Europe. La dangereuse tentative de l’entraîner à la dérive de l’islam politique opérée par Ennahdha depuis 10 ans a été mise en échec par le président. Il est stupéfiant que le «monde libre», au lieu de se réjouir de la défaite de l’obscurantisme de l’islam politique en Tunisie, se trompe lamentablement en menaçant économiquement son peuple et en harcelant politiquement son président.

Il nous est difficile d’accepter que la politique américaine, et à un moindre degré européenne, puissent se tromper aussi lourdement. On a beau chercher des raisons convaincantes à ce malentendu. Il n’y a aucun doute que la politique américaine et sa stratégie mondiale a coupé avec l’idée qui consiste à croire pouvoir coexister et préserver ses intérêts réels avec des régimes guidés par l’idéologie de l’islam politique. La dernière décennie a démontré que l’idéologie de l’islam politique ne peut déboucher, tôt ou tard. que sur la violence, le terrorisme et la négation de la liberté et de la démocratie.

Ainsi, les pressions effrénées sur la Tunisie et sur son président ont utilisé les deux mystifications qui viennent d’être évoquées, à savoir la tentative de faire passer l’islam politique pour une idéologie qui s’accommode de la démocratie et l’imposture que la Tunisie est en train de faire un revirement stratégique antiaméricain.

Il demeure une autre imposture encore plus fausse et mensongère, qu’il est nécessaire de la démystifier. Il s’agit de la position de Kais Saïed vis-à-vis du problème palestinien. Là aussi, il est nécessaire de dissiper l’enfumage fait autour de cette position.

Être pour les droits des Palestiniens n’implique pas l’antisémitisme

Ceci paraît une évidence, une lapalissade qui correspond à l’avis de presque tout le monde. Mais quand il s’agit de Kais Saïed, il en va autrement! En fait et à plusieurs reprises, il a exprimé un soutien appuyé aux droits des Palestiniens. Mais il n’a jamais attaqué ni la religion juive ni Israël en tant qu’État. Là où il a été clair, c’était quand il s’agissait de dire ce qu’il pensait des accords de «normalisation avec Israël» connus sous la dénomination d’«accords d’Abraham». Il alors qualifié qu’être en faveur de ces accords était une haute trahison, car ces accords ignoraient totalement les droits légitimes des Palestiniens. Une telle position concerne les positions des Arabes mais ne touche en rien l’existence d’Israël ni ne dénote le moindre antisémitisme. À plusieurs reprises Saïed a précisé ses propos en réitérant que tous les États arabes qui passent de tels accords ont la pleine souveraineté de le faire et qu’il ne faisait état que de sa position personnelle. D’ailleurs, sa position ne l’a point empêché d’entretenir de très bonnes relations avec les États arabes qui ont conclu de tels accords avec Israël, à commencer par l’Égypte et les Émirats.

Accuser Saïed d’antisémitisme ne résiste aucunement à un examen honnête et sérieux. À ce propos, il est édifiant de faire part au lecteur d’un événement que le président Saïed a lui-même raconté en public à plusieurs reprises. Il s’agissait de son père qui était instituteur à Tunis sous l’occupation (de novembre 1942 à mai 1943) des soldats du nazisme allemand en déroute devant les forces alliées. Les Juifs de Tunisie subissaient les exactions allemandes de toutes sortes. L’instituteur Moncef Saïed devait pour aller travailler traverser à vélo tous les jours un barrage de soldats allemands. Une famille juive habitait dans le voisinage de l’instituteur. La fille de cette famille avait à peine 13 ans. Elle devait se rendre à l’école en traversant ce même barrage de soldats allemands. Tous les jours, l’instituteur Moncef Saïed la transportait sur son vélo et la faisait passer aux yeux des soldats allemands pour sa propre fille.

Il s’agissait de l’illustre Gisèle Halimi (Jazia Ettaieb), juive de Tunis, avocate émérite, chantre du féminisme et ministre sous Mitterrand. Elle est décédée en juillet 2020.

Même si elle n’a qu’une valeur symbolique, cette histoire racontée publiquement par le fils de l’instituteur, l’actuel président de la Tunisie, revêt un caractère humaniste très loin de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un quelconque sentiment antisémite.

Ainsi, toute insinuation ou accusation d’un quelconque antisémitisme chez le président Saïed ne peut être que fallacieuse et incongrue.

Malgré toutes ces mystifications crées de toutes pièces, le peuple tunisien ne peut que former l’espoir que les amis de la Tunisie, américains et européens confondus cessent de se fourvoyer par les manigances et les contre-vérités pernicieusement concoctées par les chantres de l’islam politique. Dissiper ce grave malentendu historique est maintenant une urgence commune.

* Avocat à Tunis et à Genève.

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