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Tunisie : Les dérives de la guerre contre la corruption

En recevant en audience, lundi, Mohamed Rekik, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, le président Kais Saied évoque avec lui une vague affaire de terre domaniale agricole louée à bas prix à un opérateur proche d’un parti politique. Appréciez la précision !

Les réseaux sociaux sont devenus un espace où se livre une sorte de guerre de tous contre tous et où tous les coups sont permis : insultes, dénigrements, rumeurs, mensonges, désinformations, offenses, atteintes à l’honneur… En Tunisie, ce phénomène a pris une telle ampleur qu’il en devient une menace pour la paix et l’ordre publics, d’autant que le président Kaïs Saïed semble s’être laissé prendre à ce jeu malsain, lui donnant le crédit lié à son magistère présidentiel.

Par Ridha Kéfi

La tournure que prend la guerre contre la corruption devient gravement glissante et porteuse de violences latentes. Elle fait régner dans le pays une atmosphère de tribunaux d’inquisition dont les réseaux sociaux sont le réceptacle fourre-tout, multipliant les rumeurs, les intox et les attaques contre les personnalités qui ont été liées à la gestion des affaires publiques au cours des dix dernières années, souvent sans précaution ni vérification, comme il est d’usage pour ne pas livrer l’honneur des gens à la vindicte populaire, souvent d’ailleurs injustement et sans se sentir obligé de corriger les erreurs (car il y en a souvent) et de s’excuser auprès des victimes pour les dommages qui leur ont été causés.

La justice, pour sa part, même dans les cas où des plaintes sont déposées contre ces spécialistes de l’insulte gratuite, laisse traîner les affaires et ne sévit pas avec la fermeté requise pour mettre fin aux abus et dissuader leurs auteurs, souvent des récidivistes spécialisés dans le chantage à l’honneur.

Une danse du scalp à l’échelle nationale

Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que le président de la république, censé garantir l’unité nationale, rassembler les citoyens et les mobiliser autour de l’intérêt national, apaiser les esprits échauffés et veiller sur la paix civile, s’associe lui aussi à cette danse du scalp qui prend une dimension nationale, reprenant à son compte pour les amplifier certaines rumeurs colportées par des spécialistes de l’offense, du mensonge et de la manipulation des esprits.

Kaïs Saïed, qui cherche à donner du crédit à sa guerre contre la corruption, fait feu de tout bois et reprend souvent à son compte avec une surprenante légèreté, s’agissant d’un chef d’Etat, les accusations les plus grossièrement imprécises, certes sans désigner nommément les concernés mais leurs noms ayant déjà été cités sur les réseaux sociaux sont déjà sur toutes les lèvres.

Pis encore, certaines affirmations du président se sont parfois révélées fausses ou imprécises ou exagérées ou fondées sur une incroyable méconnaissance du fonctionnement de l’administration publique et des procédures économiques, et on aurait souhaité le voir faire vérifier à l’avance par les services concernés les données qu’il donne en pâture au public du haut de son magistère présidentiel, mais il continue de faire une confiance aveugle aux experts des campagnes de dénigrement, à relayer leurs mensonges et à donner du crédit à cette horde de maîtres-chanteurs, qui fait régner un climat malsain de peur, de haine et de détestation généralisée.

Où va le pays, si la plus haute autorité, qui plus est créditée d’une si immense popularité, se fait manipuler de cette manière et participe ainsi à une guerre de tous contre tous ?

A qui profite la guerre de tous contre tous ?

Les maîtres-chanteurs auxquels M. Saïed semble faire une confiance aveugle et qui ne se gênent d’ailleurs pas de se réclamer tapageusement de lui, agissent comme une meute affamée, mais de manière visiblement coordonnée à un niveau ou un autre, mais il reste à savoir comment, pour le compte de qui et à quels desseins. Ils publient sur les réseaux sociaux des documents administratifs et judiciaires qui accusent telle ou telle personnalité que l’on veut traîner dans la boue. Il s’agit souvent de documents décontextualisés, manipulés et mis côte à côte de manière à constituer des preuves à charge, d’ailleurs souvent fondées sur de grossières interprétations. Et ils donnent ainsi en pâture la réputation des gens et leur honneur, créant une atmosphère de suspicion et de haine où tous les coups sont permis.

Cette situation, qui ne saurait durer sans faire peser une grave menace sur la paix et l’ordre publics, suscite de nombreuses questions. Qui a intérêt à alimenter cette atmosphère de suspicion généralisée, qui tire les ficelles et à quel dessein ? Comment les documents administratifs et judiciaires souvent utilisés dans ces campagnes de dénigrement sont-ils fuités, de cette manière systématique, organisée voire ordonnée et dans l’impunité totale ?

Au lieu de participer de cette foire d’empoigne, le chef de l’Etat serait plus inspiré d’ordonner une enquête sur les marionnettistes qui tirent les ficelles de cette guerre de tous contre tous, car il risque de découvrir un jour, à son corps défendant, qu’il s’est fait berner lui-même et manipuler par ces mêmes lobbys d’intérêts qu’il s’est donné pour mission de combattre et auxquels il a cru, avec une si touchante naïveté, porter des coups en révélant de… fausses affaires.

Les fausses affaires, on le sait, servent à créer un écran de fumée pour bien dérober les vraies, qui, elles, restent entourées d’un dense voile d’omerta.

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