« Manuel Valls, c’est le blairisme, mais plus à droite encore »

« Manuel Valls, c’est le blairisme, mais plus à droite encore »

Depuis la déclaration d’amour de Manuel Valls aux chefs d’entreprise mercredi et l’interview du nouveau ministre de l’Economie Emmanuel Macron au Point, les socialistes français croient voir débarquer la « Troisième voie »,...

Par Clément Guillou
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Manuel Valls  l'universit d't du Medef, le 27 aot 2014  Jouy-en-Josas
Manuel Valls à l’université d’été du Medef, le 27 août 2014 à Jouy-en-Josas - Fred Dufour/AP/SIPA

Depuis la déclaration d’amour de Manuel Valls aux chefs d’entreprise mercredi et l’interview du nouveau ministre de l’Economie Emmanuel Macron au Point, les socialistes français croient voir débarquer la « Troisième voie », concept politique et économique appliqué en Grande-Bretagne de 1997 à 2007 par le couple Tony Blair – Gordon Brown.

L’interviewé
Philippe Marlière est membre des Socialistes affligés, club rassemblant des représentants de l'aile gauche du PS, du Front de Gauche et des écologistes. Il est l'auteur de deux ouvrages critiques sur le blairisme, « La social-démocratie domestiquée » (éd. Aden, 2008) et « La Troisième voie dans l'impasse » (éd. Syllepse, 2003).

Pour le politiste engagé Philippe Marlière, professeur à l’University College de Londres et spécialiste des idées de gauche, les convergences sont très claires entre le blairisme et la pensée du Premier ministre.

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Il voit aussi quelques différences liées au contexte politique et institutionnel, qui font à ses yeux de Valls un poison pour la France plus dangereux encore que ne l’a été Tony Blair outre-Manche.

Rue89. Quels points communs voyez-vous entre Tony Blair et Manuel Valls ?

Philippe Marlière. Les convergences entre le couple Blair-Brown et Valls, avec le soutien de François Hollande, sont d’abord idéologiques. Chez les deux, la vision du monde de la gauche, la dénonciation de toute forme d’exploitation et d’injustice sociale, est quasiment absente.

Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les déclarations de Manuel Valls depuis qu’il est Premier ministre, mais avant cela au ministère de l’Intérieur et en tant qu’élu local. Il y a une continuité, une logique : toute la trajectoire de Valls a été, pour prendre une expression de droite, de briser les tabous. Jusqu’au point où Martine Aubry lui a ordonné de se taire ou de quitter le parti.

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Blair et Valls embrassent l’idée néo-libérale selon laquelle il faut s’adapter au jeu du marché sinon les marchés vont vous contraindre et punir. Dans leurs discours, on retrouve des copier-coller constants et troublants. Ils ont aussi la même façon de se positionner contre les valeurs, les idées et l’histoire de son propre camp.

Valls fait du neuf avec du vieux en ressortant des choses qui, ici en Angleterre, font lever le sourcil : ces idées ont vingt ans d’âge et ont été discréditées par l’exercice du pouvoir.

Vous dites que la trajectoire de Valls est logique et qu’il a toujours été blairiste. Pourtant en 1999, lorsque Lionel Jospin a refusé de signer un manifeste commun avec Tony Blair et Gerhard Schröder en faveur d’une « social-démocratie moderne », Valls était à ses côtés, au poste de conseiller en communication.

On sait comment fonctionnent les cercles politiques : si on est au service de plus gros que soi et en désaccord, on ronge son frein. Mais on peut supposer que Valls, comme Moscovici, n’était déjà pas opposé à cette évolution.

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Jospin avait ce regard de gauche taquin faisait qu’il ne pouvait pas croire dans la Troisième voie blairiste, cette tentative de jeter par-dessus bord tous les acquis historiques du socialisme.

Blair a eu une façon adroite d’habiller, par son discours, l’adoption de tous les présupposés théoriques et philosophiques de la droite néo-libérale : la lutte contre un Etat qui serait omnipotent alors qu’il n’existait déjà plus en Grande-Bretagne, le trop-plein d’impôts supposé. On retrouve ce cheminement intellectuel chez Valls.

On dit qu’il est social-libéral mais pour moi, il est néolibéral conservateur, même si cela peut vous paraître excessif. Néolibéral, c’est sa vision économique, la filiation thatchérienne. Mais il n’a pas le versant politique et culturel du libéralisme. Il a traîné les pieds sur la question du « mariage pour tous », n’a pas appliqué le droit de vote aux étrangers.

Il s’y disait favorable ? A l’épreuve du feu, il change. Et en politique, ce sont les actions qui tiennent lieu de feuille de route. Dernièrement, il y a sa sortie sur les Roms qui a piétiné deux siècles de tradition d’intégration républicaine.

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En quoi Manuel Valls n’est-il pas social-libéral ?

Le social-libéralisme né en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle était une critique du libéralisme classique : l’autonomie de l’individu ne peut se réaliser si on laisse le capitalisme se développer sans entraves.

Les sociaux-libéraux étaient des précurseurs de la social-démocratie. Manuel Valls ne mérite pas ce label, il est trop à droite pour en être.

Lorsqu’il a conquis le Labour et plus encore après son accession au pouvoir, Tony Blair a, avec Gordon Brown, entrepris de séduire les patrons. Par son discours devant le Medef, Manuel Valls suit son exemple ?

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Ce discours est une première historique. Jamais un dirigeant socialiste, Premier ministre qui plus est, n’était allé devant un parterre de patrons pour tenir, jusqu’à la virgule près, des propos attendus par ce patronat. 

Dans ce discours, le beau rôle est toujours celui de l’entrepreneur qui crée les emplois. Il n’y a jamais un mot pour les syndicats, les salariés, ces référents de gauche classique. C’est aussi ce que Blair faisait.

Valls s’est permis au passage d’égratigner tous ceux qui, dans son parti, ne font que réclamer l’application du programme de 2012. Il y a chez Blair comme chez lui une forme de jubilation physique à faire publiquement un bras d’honneur à son propre camp. Etre dur vis-à-vis de son propre camp et se coucher devant le patronat, c’est aussi ce que Blair faisait.

Dans son discours, Manuel Valls demande quand même des contreparties, en matière d’emploi et d’utilisation des baisses de charge, aux entreprises, ce que Tony Blair ne prenait pas la peine de faire.

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Ce ne furent que quelques secondes dans un discours d’une demie-heure, mais la politique ce sont des faits et il n’y a pas eu d’engagements du Medef en ce sens. Il a même refusé de dire que ces milliards seraient réinvestis dans la création d’emplois.

Non, je vois une seule divergence entre Blair et Valls. Blair, tout en poursuivant l’œuvre thatchérienne de dérégulation, a réintroduit un salaire minimum et investi beaucoup dans les services publics, notamment la santé.

D’abord parce qu’il bénéficiait d’une période de croissance et avait donc du grain à moudre. Deuxièmement parce qu’il était sous la pression des syndicats, qui ont un rôle au sein du Labour.

Voilà une différence qui me permet de dire que Valls et Hollande proposent un blairisme à la française, mais plus à droite encore.

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Une autre différence tient à la façon dont cette politique est imposée : Tony Blair avait pris le pouvoir au Labour en annonçant la Troisième voie tandis que Manuel Valls n’a pas été choisi par le parti ni les militants.

Absolument, et ça explique pourquoi il y a un décrochage massif de l’électorat de gauche vis-à-vis de Hollande. Blair l’avait dit clairement dès son intronisation comme leader du parti travailliste en 1994 – on peut lui rendre cela. Il avait annoncé qu’il n’y aurait pas de rupture avec thatchérisme, à tel point que la presse de Rupert Murdoch, une presse franchement à droite, avait appelé à voter pour Blair ce qui était une première dans l’histoire.

Comme Blair, Valls adopte la vision du monde de la droite néo-libérale en espérant une chose : que la droite se déporte davantage sur la droite et fasse de la surenchère. Et ça marche ! Après le pacte de responsabilité, la droite propose 80 ou 100 milliards de baisse de charges. Même chose sur les questions liées à l’ordre.

Résultat des courses : cette triangulation qui déporte la droite vers la droite va faire le jeu en fin de compte du Front national. Les responsables n’en seront pas l’UMP mais Valls et Hollande.

Clément Guillou
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