Istanbul : les Indignés de Taksim

29 Mai 2013



La démolition du dernier parc du centre d’Istanbul a commencé dans la nuit du 27 au 28 mai. Les Stambouliotes se mobilisent contre un projet qui témoigne du bétonnage de la ville.


Photo -- Laurène Perrussel-Morin
Photo -- Laurène Perrussel-Morin
Chaque jour, depuis 70 ans, le Gezi Park de Taksim, sur la rive européenne d’Istanbul, accueille des personnes âgées venues respirer l’air frais, des familles qui se promènent, et des vendeurs ambulants de thé et de simits. Pourtant, depuis quelques mois, certains sont inquiets : un plan d’urbanisation prévoit le déracinement de certains des 600 arbres qui constituent le poumon de la ville. Des baraques militaires ottomanes devraient être reconstituées à cet emplacement. La construction d’un centre culturel et d’un centre commercial a également été annoncée.

Le 27 mai, alors que les habitués du parc laissaient la place aux SDF et aux chats errants pour la nuit, les militants de l’Association de protection et d’embellissement du Gezi Park qui rentraient de leur réunion hebdomadaire ont remarqué qu’un bulldozer avait détruit une partie du mur d’enceinte du parc. Ils ont tout de suite réagi en se plaçant devant la machine, bien vite rejoints par d’autres militants mobilisés par les réseaux sociaux. En discutant avec la société responsable de la destruction, ils ont obtenu qu’elle reparte. Les ouvriers leur ont affirmé que la destruction du mur était prévue. Or, Birkan Isin, président de l’Association de protection et d’embellissement du Gezi Park, assure que ces travaux ne faisaient pas partie du plan initial voté en février 2012.

Une destruction illégale

Dès le lendemain matin, des habitants de la ville, habitués du parc ou amoureux de la nature montaient la garde. Toute la journée, ils ont dû se battre contre les forces de l’ordre. Sur sa page Twitter, le député Sırrı Süreyya Önder (BDP, Parti de la Paix et de la Démocratie) appelle les Stambouliotes à être présents au parc de Taksim, « Ils ne peuvent pas le démolir si tout le monde est ici. » Les manifestants, auxquels se sont joints certains députés, comme Sırrı Süreyya Önder, se sont opposés aux machines, certains grimpant aux arbres. Les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes, provoquant des blessés. Parmi ceux-ci, on compte des femmes, des personnes âgées et un caméraman, blessé à la tête.

L’Association de protection et d’embellissement du Gezi Park de Taksim continue à mobiliser les Stambouliotes : « Ce que nous attendons aujourd’hui, c’est une explication », clame Birkan Isin. Le député Sırrı Süreyya Önder a demandé aux employés de l’entreprise de destruction s’il pouvait voir le permis de démolition, mais ceux-ci n’ont pas pu le lui fournir. Cem Tüzün, membre de l’Association de protection et d’embellissement du parc de Taksim, affirme que ces travaux sont illégaux, « Nous avons soumis une pétition au Conseil Régional de Protection des biens naturels et culturels. Nous leur avons dit que ces travaux étaient en dehors des plans de construction de départ et du projet de route. » Il souhaite que les travaux en cours s’arrêtent immédiatement et que les arbres déracinés soient replantés. La pétition de l’Association de protection et d’embellissement du parc de Taksim a recueilli 100 000 signatures à ce jour.

Ce parc construit en 1940 a peu à peu été grignoté par les hôtels de luxe. Birkan Isin pointe un à un les hôtels qui entourent la place : « Tu vois cet hôtel ? Il a été construit sur le parc. Ce sont des voleurs. L’hôtel Hilton a été le premier. Et là, ce grand phallus au loin ? Ce sont des voleurs, aussi. » Il assure que le parc de Taksim est l’emplacement le plus favorable à la survie des arbres en cas de tremblement de terre.

Le Gezi Park, poumon de la ville

Dans un communiqué, la mairie d’Istanbul annonce que le déracinement de certains des arbres du parc vise à « élargir la rue le long de l’hôtel Divan dans le cadre du projet de piétonnisation de la place Taksim, achevé à 70 % ». Ces travaux accompagnent le « projet Taksim », annoncé pendant la campagne électorale législative de 2011, puis dévoilé au grand public par la municipalité début 2012. L’objectif affiché est louable : il s’agit de faciliter le passage pour les piétons en reléguant le trafic au sous-sol. Mais dès son annonce, le collectif Taksim Plateformu lui a reproché son absence de consultation préalable des habitants et professionnels de l’urbanisme et son manque de transparence. Le projet ayant été lancé très vite, nombre d’habitants ont eu l’impression d’être mis devant le fait accompli.

Taksim est une place symbolique au nord de laquelle se trouve le Gezi Park. Cette place, sur laquelle trône un monument dédié aux héros de l’indépendance, est un lieu symbolique pour les manifestations. Les habitants d’Istanbul y sont très attachés. Sa transformation et la destruction partielle de son parc témoignent de l’urbanisation à marche forcée qui accompagnent la croissance économique de la Turquie. « Si Istanbul est le centre de la Turquie, alors le parc de Taksim, qui est au centre d’Istanbul, est au centre de la Turquie, c’est pourquoi le sujet est aussi important aujourd’hui. » explique Birkan Isin.

Pour revoir en image la mobilisation des Stambouliotes, venez découvrir la vidéo réalisé par notre correspondante. 


Notez


Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur