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Emmanuel Macron peut-il être inquiété dans l’affaire des « frais de bouche » ?

L’opposition accuse l’ancien ministre de l’économie d’avoir utilisé les moyens de Bercy pour préparer sa campagne présidentielle.

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Publié le 03 février 2017 à 12h22, modifié le 04 février 2017 à 06h37

Temps de Lecture 5 min.

Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, lors de son meeting de précandidature à la Mutualité, le 12 juillet 2016.

Y aurait-il un « deux poids deux mesures » dans la réaction de la justice et des médias aux soupçons pesant sur François Fillon et Emmanuel Macron ? Alors que le candidat de la droite s’embourbe dans les accusations, ses soutiens tentent tant bien que mal de détourner l’attention publique sur « l’affaire des frais de bouche » de l’ancien ministre de l’économie, candidat du mouvement En marche !

« Le parquet s’est saisi de l’affaire à la suite des révélations du Canard enchaîné. Pourquoi quand d’autres journalistes interviennent sur l’attitude ou les comportements de Macron ça ne donne pas lieu à une enquête préliminaire ? », s’est ainsi interrogé le patron des députés du parti Les Républicains (LR), Christian Jacob.

Qu’est-il reproché à Emmanuel Macron ?

M. Macron est soupçonné d’avoir utilisé les moyens du ministère de l’économie pour préparer sa candidature à l’élection présidentielle au début de l’année 2016 – période floue au cours de laquelle il a lancé son mouvement En Marche ! sans démissionner du gouvernement.

Ces allégations reposent sur les informations des journalistes Marion L’Hour et Frédéric Says. Dans leur livre Dans l’enfer de Bercy (JC Lattès), paru le 25 janvier 2017, ils affirment que le ministre de l’économie « a utilisé à lui seul 80 % de l’enveloppe annuelle des frais de représentation accordée à son ministère » (soit au moins 120 000 des 150 000 euros) avant sa démission du gouvernement, le 30 août 2016.

Il n’en fallait pas plus pour que le patron des députés Union des démocrates et indépendants (UDI), Philippe Vigier, accuse M. Macron d’avoir menti en assurant que « pas un seul euro d’argent public ne serait utilisé pour sa campagne » : car, selon lui, « 120 000 euros des crédits du ministre à Bercy [ont été utilisés] pour des agapes d’En marche ! pour réunir tel ou tel, pour préparer sa campagne présidentielle ».

Cet argent a-t-il financé le mouvement de M. Macron ?

Non

Emmanuel Macron l’a démenti à plusieurs reprises, et d’ailleurs, les journalistes Marion L’Hour et Frédéric Says ne mentionnent jamais dans leur livre le financement d’événements estampillés En marche ! par ces crédits ministériels.

Le tour de passe-passe de M. Macron aurait été plus subtil : il aurait simplement « élargi » le panel de ses rencontres, ciblant des interlocuteurs plus susceptibles de l’aider à préparer sa future campagne présidentielle qu’à alimenter ses activités de ministre… mais sans jamais se départir de ses habits de ministre.

Ce qui lui permet d’affirmer qu’« aucun centime du budget du ministère de l’économie (…) n’a jamais été utilisé pour En marche ! », alors qu’il a reçu à plusieurs reprises à Bercy des « amis » Facebook triés sur le volet pour échanger avec des Français ordinaires, ou qu’il s’est entretenu avec le politologue Stéphane Rozès ou l’écrivain Erik Orsenna.

Le 1er février, sur TF1, Emmanuel Macron a assuré « assumer » avoir été un « ministre actif » : les 120 000 euros en question sont « des crédits de fonctionnement pour le ministère, qui vous permettent de recevoir vos homologues, des entrepreneurs, des femmes et des hommes de la vie française ». Ce qui est vrai.

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En revanche, le candidat a pu embrouiller le téléspectateur de TF1 en mentionnant ses nombreux « voyages » dans « les capitales européennes » pour sa fonction de ministre. Ceux-ci ne relèvent en effet pas de la même enveloppe budgétaire, et ne peuvent en aucun cas justifier les 120 000 euros dépensés en huit mois.

Avait-il le droit de dépenser autant ?

Oui

Comme l’a indiqué son ancien collègue, le ministre de l’économie, Michel Sapin, « Macron n’a pas dépensé plus que ce à quoi il avait droit très naturellement dans un ministère comme le nôtre », puisqu’il n’a pas dépassé le plafond annuel de 150 000 euros alloué à son ministère.

Pour être précis, ces crédits ne lui étaient pas alloués personnellement, contrairement à ce qu’il a affirmé sur TF1, puisqu’ils étaient censés être partagés avec ses deux secrétaires d’Etat, Axelle Lemaire (numérique) et Martine Pinville (commerce). Cela n’a visiblement pas été le cas, « mais cela se passe toujours comme ça, les secrétaires d’Etat sont toujours les derniers servis avec les frais de représentation », souffle-t-on à Bercy.

Le principal problème, c’est qu’il a utilisé en huit mois 80 % de ses crédits et que, comme le souffle une source administrative dans L’Enfer de Bercy, « s’il était resté, on ne sait pas comment il aurait fini l’année ».

Le problème a donc été réglé par la démission du ministre le 30 août 2016 et par le fait qu’aucun successeur n’a eu à pâtir de sa gestion – puisque son portefeuille a été intégré à celui de Michel Sapin, sans remplacement poste pour poste.

A-t-il utilisé ses conseillers pour préparer sa campagne ?

Difficile à savoir

Un autre mélange des genres est dénoncé dans le livre de Marion L’Hour et Frédéric Says : la participation d’au moins quatre conseillers issus du cabinet d’Emmanuel Macron à la préparation de son discours de précandidature du 12 juillet 2016, à la Mutualité.

M. Macron ne le nie pas, mais il jure que ses conseillers ont « posé des jours de congés » pour préparer ce discours hors de leur temps de travail à Bercy. Il précise aussi que « ceux qui se sont engagés dans le mouvement ont quitté le cabinet avant ma démission de Bercy ». C’est par exemple le cas d’Ismaël Emelien, passé du cabinet de M. Macron à En marche ! dès le mois d’avril 2016.

Risque-t-il quelque chose ?

Peu probable

A ce stade, il est peu probable que cette affaire entraîne des suites judiciaires pour M. Macron. Le centriste Philippe Vigier a bien alerté, fin janvier, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur une possible « confusion des genres » de l’ancien ministre. Si celle-ci assure au Monde que l’étude de la demande est en cours, il est peu probable qu’elle se déclare compétente pour prendre en charge une telle affaire, car elle a pour mission de contrôler les patrimoines et les conflits d’intérêts des élus et hauts responsables.

C’est à la Cour des comptes qu’il revient de contrôler les frais de représentation des ministres : ce fut le cas pour les dépenses de la ministre Rachida Dati, quatre ans après son départ du ministère de la justice. Mais, sauf irrégularité grossière, les magistrats budgétaires n’ont pas pour habitude de juger individuellement l’opportunité de telle ou telle dépense. Ils s’attachent surtout à vérifier que les frais ont été déclarés dans les règles.

Il n’existe pas non plus d’institution pour garantir qu’un ministre travaille suffisamment pour son ministère. Plusieurs témoignages, y compris celui de Michel Sapin lui-même dans le livre Dans l’enfer de Bercy, ont bien souligné le manque d’engagement de M. Macron lors de sa dernière année, une fois sa « loi Macron 2 » abandonnée. Paris Match l’a également accusé, en mai 2016, d’avoir profité d’un déplacement ministériel à Londres pour lever 12 millions d’euros en vue de sa campagne.

Le candidat a nié, et répété qu’il avait été « un ministre engagé à temps plein, dans toutes [s]es missions ». « S’ils découvrent qu’un ministre engagé, c’est un ministre qui voyage, qui va voir ses interlocuteurs, qui reçoit et qui est actif, ils découvrent peut-être ce qu’est une fonction de ministre », a-t-il poursuivi avec un brin de mauvaise foi.

Plus largement, cette affaire fait écho à de nombreuses polémiques similaires sur le détournement des moyens de l’Etat pour mener campagne. La question s’était déjà posée avec Nicolas Sarkozy pendant la précampagne présidentielle de 2012, ou avec les déplacements du premier ministre Manuel Valls avant les départementales de 2015.

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