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Le salafisme gagne du terrain chez les musulmans

Les services de renseignement surveillent cette mouvance rigoriste, qui peut être un sas vers le djihadisme.

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Publié le 20 mars 2015 à 11h52, modifié le 19 août 2019 à 13h05

Temps de Lecture 4 min.

Le très rigoriste mouvement salafiste gagne du terrain chez les musulmans de France. Sa progression n’est pas récente mais elle s’accélère, à en croire les services de renseignement. Selon des sources policières, il y aurait désormais 90 lieux de culte d’obédience salafiste dans l’Hexagone sur 2 500 recensés : le double d’il y a cinq ans.

Cette recomposition du paysage cultuel est suivie de près alors que de nombreux candidats au djihad sont passés par le salafisme avant de se radicaliser. Comme Mohamed Merah, en mars 2012, avant qu’il ne tue sept personnes dans les rues de Toulouse et de Montauban. « Le salafisme ne conduit pas de façon systématique à la violence physique, mais il faut reconnaître que le néosalafisme d’aujourd’hui peut être un sas », résume Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po Lyon.

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Dans leur grande majorité, les salafistes de France sont des « quiétistes » qui dénoncent le djihad armé. Leur approche des textes est toutefois extrêmement littérale et vivre selon les principes de la loi islamique (charia) reste pour eux un idéal. La face la plus visible de cette pratique est dans les codes vestimentaires. Les hommes ne se rasent pas la barbe, rentrent leur pantalon dans leurs chaussettes pour ne pas qu’il « dépasse des chevilles », tandis que les femmes sont voilées et cachent toutes leurs formes sous d’amples abayas ou jilbabs.

C’est dans les grands centres urbains que les salafistes ont le plus progressé : en région parisienne, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. En Ile-de-France, les « vieux bastions » de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) ou Stains (Seine-Saint-Denis) « font des émules », comme le décrit l’ancien policier et responsable du bureau des cultes du ministère de l’intérieur Bernard Godard dans La Question musulmane en France (Fayard, 352 p., 20,90 €). Des mosquées importantes à Argenteuil, Pontoise (Val-d’Oise), Corbeil-Essonnes et Longjumeau (Essonne) « commencent à être gagnées », selon lui.

Les prédicateurs tirent souvent leur popularité des quartiers paupérisés, en mettant en avant les discriminations liées à l’origine ethnique, au port du voile ou aux contrôles au faciès. Alors que beaucoup d’imams sont âgés, pas toujours très présents et passés maîtres dans l’art du compromis avec les municipalités, les salafistes sont plus structurés, plus jeunes, plus offensifs. Ils ne craignent pas de dénoncer le dialogue interreligieux. Savent jouer des dissensions internes dans les associations claudicantes de mosquées. Ce fut le cas, récemment, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), où un groupe de salafistes s’est imposé en critiquant la gestion financière peu rigoureuse des anciens.

Pressions sur les fidèles

Les salafistes étendent généralement leur influence en mettant la main sur des salles de prière existantes après des coups de force. Comme à Marseille, berceau historique du salafisme en France, où on compte désormais plus d’une dizaine de lieux de culte de cette mouvance. Ces derniers mois, des fidèles de la mosquée de la Bastide Saint-Jean se sont rendus dans une salle de prière voisine en criant « Mécréants ! ». Même chose à Martigues et à Aubagne (Bouches-du-Rhône), où l’imam a été interrompu en pleine prière du vendredi. Parfois, les pressions se font sur les fidèles à la sortie du prêche, en critiquant la tenue des femmes.

Certains lieux de culte visés par des salafistes ont demandé le soutien du conseil régional du culte musulman (CRCM), censé alerter sur les mouvements de radicalisation. A Vénissieux (Rhône), son appui, combiné à celui des autorités locales, a permis d’éviter la mainmise salafiste. Mais ce n’est pas toujours le cas. A La Rochelle, dans le quartier sensible de Mireuil, personne n’a rien pu faire. Le même phénomène s’est produit, selon Bernard Godard, dans le Vaucluse (quatre lieux de culte sont désormais salafistes et un est en voie de déstabilisation), dans le Var (trois lieux de culte salafistes et deux déstabilisés), et en Isère (cinq lieux de culte et trois déstabilisés).

Le salafisme s’est étendu aussi dans des villes moyennes comme Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) ou Brest (Finistère). C’est dans l’agglomération bretonne que se trouve d’ailleurs l’un des imams salafistes francophones les plus populaires de la Toile : Rachid Abou Houdeyfa. Les salafistes ont également aujourd’hui quelques écoles élémentaires privées : à Roubaix (Nord), à Marseille ou à Argenteuil. Des établissements qui peuvent entretenir « d’excellents rapports avec les services municipaux », témoigne M. Godard dans son ouvrage.

Le salafisme prend tellement d’ampleur qu’on assiste à la multiplication de petites communautés en zones rurales, même si le phénomène est encore marginal. Les familles salafistes viennent à la campagne avec l’idée de s’exiler dans des régions où elles s’estiment plus libres de vivre selon les préceptes rigoristes de l’islam. A défaut d’avoir pu partir à l’étranger dans des pays où les musulmans sont majoritaires, elles vivent là de façon recluse, presque « sectaire », estiment les services de renseignement.

Séjour au ski

En 2009, c’est à Châteauneuf-sur-Cher dans le Cher (1 500 habitants) qu’une vingtaine de salafistes ont débarqué sous la houlette d’un imam – Mohamed Zakaria Chifa – qui a théorisé l’installation des musulmans rigoristes dans les campagnes. En 2013, les 5 000 habitants de Marjevols en Lozère ont, eux, assisté à l’arrivée de quatre familles montpelliéraines traditionalistes où toutes les femmes portaient le jilbab. Idem en 2014 à Saint-Uze, dans la Drôme (2 000 habitants), où une famille de convertis originaire de l’Ain s’est installée avec ses six enfants, dont des adolescentes portant le niqab.

Qui dit salafisme ne dit toutefois pas forcément total ascétisme. L’une des communautés les plus anciennes de l’Hexagone se trouve à Artigat (500 habitants), dans l’Ariège, près de Toulouse. Une communauté qu’a côtoyée Mohamed Merah. Elle rassemble une vingtaine de personnes fichées de longue date. Or les services de renseignement ont suivi avec attention le séjour au ski, en janvier, du leader de la communauté, Olivier Corel, aux Monts d’Olmes, dans les Pyrénées. Son épouse s’y est fait particulièrement remarquer en insistant lourdement pour ne pas avoir un homme comme moniteur.

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