Analyse

Emmanuel Macron, ou le libéral libéré

Depuis deux semaines, le ministre de l'Economie se démultiplie dans les médias, assumant désormais pleinement son libéralisme et sa volonté de faire bouger les lignes politiques et sociales.
par Nathalie Raulin
publié le 8 mars 2016 à 18h46

Même privé de loi à défendre, même rétrogradé dans l'ordre protocolaire du gouvernement, même raillé par le Premier ministre, Emmanuel Macron ne se laisse pas oublier. C'est même tout le contraire. Jamais sans doute, depuis son entrée à Bercy, le ministre de l'Economie n'a enchaîné à ce rythme les interviews à la presse écrite et audiovisuelle : au JDD le 28 février, au Financial Times le 3 mars, à France Inter le 8 mars puis de nouveau mercredi 9 mars à l'Express. Et c'est sans compter les JT qui lui tendent leurs micros, comme le 29 février en compagnie de Manuel Valls et de Myriam El Khomri pour soutenir l'initiative du gouvernement sur la réforme du travail, ou le 3 mars lors de sa déambulation au salon de l'agriculture…

Comme il l'avait planifié avant un remaniement dont on lui avait signifié qu'il n'avait rien à espérer, Emmanuel Macron est plus que jamais présent dans le débat public, et pas seulement sur les sujets qui relèvent de son domaine de compétence ministérielle… Appelé en renfort sur un projet de loi travail mal engagé, il mouille la chemise, assumant pleinement la paternité de ses deux mesures les plus contestées (le plafonnement des indemnités prud'homales et l'assouplissement des règles de licenciement économique). Un soutien à double tranchant : s'il défend sans états d'âme la réforme sur le fond, Macron déplore tout aussi clairement la «méthode» adoptée pour la présenter – comprendre l'autoritarisme du Premier ministre – qui, à l'en croire, menace aujourd'hui de transformer l'or en plomb.

 Ni périmètre ni préséance

C'est qu'Emmanuel Macron joue désormais franc jeu. Longtemps, il a rechigné à se qualifier de libéral. A l'automne, ses proches, dont Julien Dray, lui prêtaient même l'intention d'écrire un livre au teasing ébouriffant : «le libéralisme peut être de gauche». C'était laisser entendre qu'à ce titre, Macron pouvait fort bien la représenter. Sa popularité ne s'étant pas démentie en dépit de ses embardées idéologiques récurrentes, le ministre a décidé d'en finir avec ces faux-semblants.

Au sortir d'une conférence au Medef fin février, il indiquait d'ailleurs être convaincu qu'«en économie, le libéralisme n'était ni de droite ni de gauche». Dans l'Express, il va plus loin, précisant avoir «toujours exprimé un choix clair en faveur d'un libéralisme économique et politique, avec un socle de solidarité collective, de régulation». D'ouvrage prometteur, il n'est plus question. «J'écris depuis toujours mais j'ai assez peu publié, si ce n'est des articles car je ne suis jamais content de ce que j'écris», a fait savoir Macron mardi sur France Inter «Il faut imaginer Sisyphe heureux, je vais continuer comme ça.»

Pour l'heure, Macron en reste donc à la parole. Mais une parole qui ne s'embarrasse ni de périmètre ni de préséance. Comme lorsque, dans le Financial Times, il menace les Anglais de ne plus retenir les migrants à Calais en cas de vote du Brexit, déclenchant la fureur de son collègue de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, ou qu'en marge d'une réunion à Bruxelles, il dénonce la politique budgétaire «trop restrictive» de l'Union européenne, au grand dam de son collègue des finances, Michel Sapin. «Je réunis de manière régulière des intellectuels, des élus, y compris des élus de terrain pour réfléchir, cogiter, préparer et je continuerai à proposer des choses au-delà de mon action», a prévenu mardi le franc-tireur.

 «Un garçon d'une grande fidélité»

Cette énergie, Macron ne la déploie pas en vain. S'il dit peu de choses de son objectif ultime, il égrène volontiers au fil de ses interventions tous ceux qu'il n'a pas, comme «créer un courant du PS» ou «rentrer dans des sujets d'appareil» auxquels il se dit «étranger». «Je ne suis pas fait comme ça, ce n'est pas mon histoire et ce ne sera pas mon avenir», a-t-il clairement indiqué sur France Inter.

Certains de ses mentors, dont l'homme d'affaires Henry Hermand, avaient rêvé pour lui d'une candidature à l'élection suprême dès 2017. Cela supposait pour l'intéressé de trahir François Hollande, bien avant de savoir si ce dernier serait ou non en mesure de se représenter. De cela, pour Macron, il n'est pas question. «Emmanuel est un garçon d'une grande fidélité qui sait ce qu'il doit à qui», indique-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat. «Sa seule volonté c'est d'aider François Hollande à se représenter», affirme de son côté Pascal Terrasse, député socialiste de ses amis.

Plutôt que personnelle, l'ambition de Macron serait alors programmatique. Il le dit à demi-mot quand il qualifie d'«erreur», les non dits du candidat socialiste à la présidentielle de 2012. «Etre de gauche aujourd'hui, est-ce que c'est protéger forcément les statuts, l'existant ?» interroge-t-il. «Non, c'est essayer de regarder les choses en face, de recréer d'autres droits. Ce débat, il faut l'avoir aujourd'hui en actions, mais pour préparer justement un socle d'actions, de cohérences, pour la suite.» En clair, Macron se donne pour priorité de faire bouger les lignes. De cela sans doute dépend un destin qui reste à écrire.

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