Dix ans de “Random Access Memories” : quand les Daft Punk se confiaient longuement à “Télérama”

Au printemps 2013, “Télérama” publiait une interview fleuve du duo casqué, que nous vous proposons aujourd’hui à l’occasion de la réédition de son quatrième album culte.

"Random Access Memories", le quatrième album de daft Punk, fête ses dix ans. Photo Sébastien MICKE/PARISMATCH/SCOOP

Par Erwan Perron

Publié le 12 mai 2023 à 10h13

Il est doux, plaisant, excitant, de rencontrer des artistes qui savent qu’ils viennent d’accoucher d’un bon disque. Random Access Memories, quatrième album de Daft Punk, sort le 20 mai. Chacun sait qu’il a bénéficié d’un « buzz » sans précédent. Une telle attente, un tel désir, c’est évidemment comme une épée à double tranchant qui plane au-dessus des têtes – casquées ! – de Guy-Manuel de Homem-Christo et de Thomas Bangalter. Random Access Memories est-il à la hauteur d’une des campagnes marketing les plus rouées – les fans, les détracteurs, chacun y a participé – de l’histoire de la pop ?

Lors de la première écoute, on a eu un peu peur. Une attaque un peu molle (Give Life Back to Music, The Game of Love), un troisième morceau à la fois émouvant et méchamment dansant (l’imparable scie disco-électro Giorgio by Moroder avec un spoken word de Giorgio Moroder) et puis, à nouveau, deux morceaux en demi-teintes (Within et Instant Crush, avec un Julian Casablancas transfiguré en robot mal dans sa peau)… Oui, vraiment, on a eu peur.

Heureusement, les Daft Punk ont fabriqué une fusée à étages. À partir du sixième titre, Lose Yourself to Dance, un hit funk à la guitare sale et au feulement si puissamment sexuel (Pharrell Williams), Random Access Memories décolle pour de bon dans la stratosphère. Pour déchirer la pop, le funk, le rock de plouc (belle trouvaille que l’emploi de la guitare pedal-steel) et propulser la musique populaire vers des territoires insoupçonnés. Touch (avec Paul Williams, chanteur septuagénaire à la voix de puceau), Doin' it Right (avec le popeux extasié Panda Bear) ou encore Contact (avec… Eugène Cernan, héros de la conquête spatiale) sont des grands moments de déconstruction-reconstruction de la pop. Où l’on a peur, où l’on rit, où l’on pleure. Soixante-treize minutes de musique, un voyage dans toutes les couches et sous-couches du son, huit bons ou très bons morceaux pour un album qui en comprend treize… Qui fait ça, aujourd’hui ?

Dans une chambre de l’hôtel Meurice, à Paris, nous avons rencontré les Daft Punk, à la fois concentrés et détendus. Leur complicité, leur complémentarité est étrange à voir. Guy-Manuel de Homem-Christo, le brun rablé, se marre en douce et nous fait des clins d’œil quand Thomas Bangalter, le blond efflanqué, part en roue libre dans de grandes théories sur « le pouvoir magique de la musique ». Parfois, on n’a pas tout compris. Mais oui, le pouvoir magique de la musique, c’est Random Access Memories. Interview sans frime, sans faux-semblants. Et sans casques…

Votre quatrième album suscite une énorme attente. Aucun de vos précédents disques n’avait à ce point excité les gens. En avez-vous conscience ?
Thomas Bangalter : Nous avons été très occupés ces derniers jours. Et puis nous essayons de nous protéger, de nous préserver… Mais nous avons effectivement l’impression que l’attente est plus grande. Cet engouement est quand même un peu surprenant. Notre précédent album, Human After All, est sorti il y a huit ans. Même si nous avons ensuite donné des concerts, réalisé une musique de film pour Disney (Tron), nous avons peu communiqué ces dernières années. À une époque où tout va très vite, où il serait impératif de communiquer en permanence, il est réconfortant de constater, que, finalement, les gens apprécient ou du moins sont intéressés par des artistes qui prennent leur temps…

Vous avez souvent dit que le marketing et la communication font partie du processus de création. On se souvient que pour la sortie de Human After All, vous n’aviez pas donné d’interviews… Cette fois, vous avez opté pour une stratégie moins radicale ?
T.B. : Moins radicale ? Au contraire, je trouve notre démarche marketing assez radicale : nous avons lancé la campagne fin février avec une seule image. On y découvrait simplement deux casques imbriqués. Sans que ne soient mentionnés le nom du groupe ni la sortie d’un album. Et, visiblement, cette stratégie « minimale » a accroché les gens. Ce n’était pas gagné d’avance… Nous n’avons pas donné d’interviews à la sortie de Human After All parce que nous pensions que le disque parlait de lui-même. Human After All était un album sombre, inspiré par l’univers oppressant de 1984, de George Orwell. La chanson Television Rules the Nation, par exemple, faisait expressément référence à la présence écrasante des médias dans notre vie quotidienne. Il aurait été obscène et incohérent de multiplier les interviews dans les médias pour pointer l’omniprésence des médias !

Guy-Manuel de Homem-Christo : Il n’empêche, refuser toute interview est la plus grande erreur que nous ayons jamais commise…

T.B. : Certes, mais nous avons réalisé nos deux derniers albums dans des conditions très différentes. Nous avons enregistré Human After All très rapidement, en dix jours, avec l’aide de deux guitaristes. Random Access Memories est au contraire le fruit d’un travail étalé sur cinq ans. Dont trois années passées à travailler avec une foule de collaborateurs : des chanteurs, des instrumentistes, des ingénieurs du son, des techniciens… Ce furent des moments heureux, où chacun s’est montré très enthousiaste. Sans qu’on y ait vraiment pensé, nous avons accouché d’un album optimiste, généreux. Il nous a donc semblé logique, et responsable, de promouvoir cette générosité en rencontrant, cette fois, les journalistes.

Je suis tombé sur une interview de vous, datant d’une dizaine d’années, où vous citiez le sociologue Pierre Bourdieu : “Quand on va à la télévision, c’est qu’on l’accepte”
T.B. : Est-ce la citation exacte de Pierre Bourdieu ? En substance, il disait que, d’habitude, on ne remet pas en cause une demande d’aller à la télévision. La plupart du temps, c’est une chose qui ne se discute pas. Vous créez ? Vous pensez ? Vous contestez ? Vous êtes obligés d’aller en parler à la télé. C’est un peu comme si l’objectif de la caméra était le doigt de Dieu pointé sur vous…

Alors, vous êtes toujours en colère contre la télé ?
T.B. : En colère ? Non, nous ne sommes pas en colère contre la télé. Simplement, nous revendiquons le droit, la liberté, de ne pas aller à la télé. En vingt ans, nous avons très peu interagi avec elle. Nous ne nous en portons pas plus mal. D’ailleurs, nous ne sommes pas davantage « en colère » ou en guerre contre le star-system. Simplement, nous avons décidé de rester anonymes en créant ces personnages de robots. Nous faisons une proposition différente. En tant qu’artiste, on peut agir et vivre autrement…

On entend un peu partout cette belle histoire : au début de votre carrière, vous auriez samplé le guitariste de Chic, Nile Rodgers, que vous invitez aujourd’hui à jouer sur votre album. L’avez-vous effectivement samplé ?
T.B. : Non, jamais. Mais il nous inspire depuis longtemps. Il nous a même inspirés avant qu’on ne s’en rende compte ! Aujourd’hui, quand j’écoute notre titre Around the World, paru sur notre premier album, Homework, je me dis qu’on peut le relier à certains morceaux de Chic. Nile Rodgers est un des rares guitaristes à avoir inventé un son, la fameuse « cocotte » funk, depuis reprise et imitée par de nombreux musiciens. Sur nos disques précédents, nous avons souvent samplé d’autres artistes. Ce n’était pas une démarche systématique, puisque nous jouions aussi nos propres parties musicales en sus d’échantillonner des sons piochés dans des vieux vinyles de funk, de disco ou de rock…

Au moment d’enregistrer Random Access Memories nous nous sommes posé la question : qu’est-ce qui nous plaisait tellement dans ces samples ? Des moments de vie extrêmement courts, de quelques secondes, mais incroyablement riches en émotions, recelant tant d’histoires humaines, porteurs d’une si grande mémoire. Il nous a semblé évident d’aller à la rencontre de tous ces musiciens, de ces ingénieurs du son, qui avaient contribué à écrire l’histoire de la pop dans les années 1970 et 1980. Les rencontrer, c’était aussi, bien sûr, découvrir leur matériel et leurs studios d’enregistrement…

Quels studios d’enregistrement ?
G.-M. de H.-C. : À Los Angeles, nous avons poussé la porte d’endroits mythiques comme les studios Hanson recording, Capitol, Conway. À New York, nous avons travaillé au studio Electric Lady, qui était si cher à Jimi Hendrix…

T.B. : Random Access Memories est notre premier album réalisé dans de vrais studios, à l’ancienne. Pour revenir à votre question de tout à l’heure : nous n’avons rien contre la télévision, et nous n’avons rien non plus contre les ordinateurs portables. Mais aujourd’hui, la majorité des disques de pop et la quasi-totalité des disques d’électro sont fabriqués sur ordinateur.

Peut-on faire autrement ? Lorsque nous avons publié Homework, nous n’étions pas en croisade contre les studios classiques, nous voulions simplement démontrer qu’il était possible d’enregistrer un disque autrement, à la maison, avec peu de moyens : des synthés, des boîtes à rythmes et un sampler. Aujourd’hui, nous voulons démontrer qu’on peut échapper à la miniaturisation à tous crins de la musique, se passer des logiciels, des banques de sons, pour aller dans une autre direction. Et puis c’est tellement excitant de mélanger les générations, de faire se rencontrer, sur un disque, des musiciens de notre âge et le batteur John J.R. Robinson, qui jouait sur Give Me the Night de George Benson…

Vous n’avez donc eu recours à aucun sample ?
T.B. : Il y en a deux sur la dernière chanson de l’album : un enregistrement de la Nasa et une boucle empruntée à un groupe de rock australien, The Sherbs. Autrement, tout est joué : guitares, batteries, basses, synthés… Pour les bruitages, nous avons travaillé avec des spécialistes du cinéma, des studios Warner. On s’est par exemple amusé à enregistrer une vingtaine de personnes dînant dans un restaurant, en plaçant un micro devant chaque fourchette…

G.-M. de H.-C. : Lorsqu’on a recours à un interprète, il y a un niveau de jeu, de nuances, qui est infini par rapport à de la musique programmée. Ça marche pour la fourchette comme pour la guitare !

Côté invités, Random Access Memories, c’est un peu la “Carte vermeil” de la pop…
G.-M. de H.-C. : Giorgio Moroder et Paul Williams ont respectivement 73 et 72 ans. Nile Rodgers a 60 ans. Omar Hakim, qui a longtemps joué avec Stevie Wonder, 64 ans. John J.R. Robinson doit avoir 69 ans. Mais je peux vous dire qu’ils ont tous conservé un regard très affûté sur la musique. Pas étonnant, ils ont tellement innové. Et les autres musiciens qui ont collaboré à l’album ont pour la plupart la trentaine ou la petite quarantaine.

Donc, je note qu’il y a un trou : pas de musiciens entre 45 et 55 ans…
T.B. : C’est un trou normal, si je peux dire. Que ce soit dans la musique ou le cinéma, on est toujours inspiré par les artistes qui nous ont marqués enfant ou adolescent. Prenez les réalisateurs des années 1970, ils ne juraient que par les acteurs des années 1940 ou 1950. Nous sommes nés au milieu des années 1970. Nous avons donc été marqués par la musique et le cinéma des années 1970 et 1980.

Effectivement, Discovery, votre second album, était très marqué par les musiques de dessins animés japonais des années 1980…
T.B. : C’est exactement ce que je vous dis : Albator est sorti en 1978.

Mais comment avez-vous distribué les rôles à vos invités ? Certains chanteurs ont la voix maquillée par les effets, d’autres pas. Je pense à la voix magnifique, très pure, presque adolescente, de Paul Williams, sur Touch. Alors que celle de Julian Casablancas est méconnaissable.
T.B. : Julian avait envie de sortir de son personnage de rocker des Strokes, de s’essayer à un univers plus robotique et funky. Mais il est le seul dont nous avons changé la voix. Nous avons aussi modifié un petit bout de la voix de Paul Williams au début de son morceau. Les seules voix « vocodérisées » sont les nôtres. Mais là aussi, nous avons essayé de les faire sonner les plus humaines possibles. Une des idées de Random Access Memories, c’est l’humanisation de la technologie. Les robots n’ont pas encore gagné la partie.

Il y a plusieurs moitiés dans votre album : une moitié “robot”, une moitié “humain” ; une moitié funky, une moitié rock californien. Je dis cela, parce que, autant que la fameuse cocotte funk de Nile Rodgers, on y entend aussi beaucoup de guitare pedal-steel. Qui en joue, d’ailleurs ?
G.-M. de H.-C. : Greg Leisz. Il nous a été recommandé par des amis au studio Hanson, à Los Angeles. La veille des séances avec nous, il avait tapé un bœuf avec Jackson Browne. En fait, il a déjà joué avec tout le monde : The Eagles, Joni Mitchell, Bruce Springsteen, Emmylou Harris… Nous adorons la guitare pedal-steel : un instrument au son très étrange, aérien, entre la guitare et le synthétiseur. Nous l’avons fait sonner de façon très traditionnelle ou au contraire plus psychédélique, à la lisière de l’électronique et de l’acoustique.

T.B. : La guitare pedal-steel est un instrument qu’on entend surtout dans le rock West Coast. A priori, elle n’est pas faite pour le disco et la musique afro-américaine. C’est justement pour cela qu’il nous a semblé intéressant de faire jouer Greg Leisz sur le même disque que Giorgio Moroder et Nile Rodgers. Ils ont des histoires, des backgrounds très différents, mais on s’aperçoit que, finalement, leurs musiques conversent très facilement.

Il y a dans votre disque des morceaux très resserrés, je ne dirai pas formatés, mais en tout cas construits comme des hits pouvant passer à la radio et d’autres qui sont beaucoup plus débridés, déconstruits, où la musique semble avancer par tableaux…
T.B. : Finalement, qu’est-ce qu’un album de pop music ? Des singles, susceptibles de passer à la radio et des morceaux d’albums qui n’ont justement pas pour finalité de passer à la radio. Avec ceux-là, on prend le temps, on a le droit d’être plus long, plus fou… Le titre du disque, Random Access Memories, « mémoires à accès direct » [référence à la RAM, la mémoire vive des ordinateurs] suggère aussi cela : il y a plusieurs mémoires car plusieurs façons de faire de la pop. Cela fait vingt ans que nous faisons de la musique. Souvent, au bout de quinze ou vingt ans, les groupes ne sortent pas leurs disques les plus intéressants. Ce sont des disques un peu embourgeoisés, sclérosés, qui n’ont pas grand-chose à dire… Composer des morceaux plus longs, plus débridés comme vous dites, correspond à notre volonté de nous réinventer, d’essayer des choses de plus en plus libres.

D’essayer des choses plus drôles, aussi. Je perçois pas mal d’humour dans Random Access memories
T.B. : Plus drôle ? Je ne sais pas. D’après les premiers retours que nous avons eus, les gens perçoivent ce disque comme optimiste. Peut-être comprend-il une dimension de music-hall un peu farceuse comme le morceau au piano avec Gonzales…

Mais quand vous enregistrez Giorgio Moroder qui, avec son inimitable accent anglais-italien, raconte sa vie et que vous lui faites terminer son récit par “mais on m’appelle simplement Giorgio”, vous vous marrez quand même, non ?
G.-M. de H.-C. : C’est un effet. C’est comme un truc de production : on met un kick sur la grosse caisse de la batterie et on l’enlève pour créer un appel. Là, on vise l’efficacité autant que l’humour. Mais vous savez, on ne s’est jamais trop pris au sérieux…

J’ai oublié tout à l’heure : comme je suis un journaliste qui ne croit pas Wikipédia, je vais vous demander de préciser vos âges respectifs…
G.-M. de H.-C. : 39 ans.

T.B. : 38 ans. Et puisqu’on parle de Wikipédia, si vous pouviez préciser que nous ne sommes absolument pas de Versailles…

Comment ça, vous n’êtes pas de Versailles ? Mais j’ai là posé devant moi un dossier de presse de cent pages où il est fait mention à peu près partout que vous êtes Versaillais…
T.B. : On sait ! Pourtant, Versailles, j’ai dû y mettre les pieds quatre fois dans ma vie. Je suis né et j’ai grandi à Paris.

G.-M. de H.-C. : Moi, je suis né à Neuilly, quand même. Les journalistes se sont peut-être dit : « C’est un bourgeois, mettons-le directement à Versailles ! » Si vous voulez, je vous montre mon passeport !

T.B. : Il est vrai que nous avons participé il y a très longtemps au groupe Darlin', avec Laurent des Phoenix, qui est Versaillais. C’est le syndrome French Touch : tu as fait de l’électro au milieu des années 1990 ? Tu dois être Versaillais ! Comme Air, Étienne de Crécy… Remarquez bien, il n’y a que les journalistes français qui écrivent cela. Les Anglais, les Américains ne font jamais cette fixette sur Versailles.

À quel âge vous êtes-vous rencontrés ?
T.B. : Nous avions 12 et 13 ans. Et nous avons fondé Daft Punk à 18 et 19 ans.

G.-M. de H.-C. : Je me souviens que j’avais 13 ans lorsque nous avons enregistré notre première chanson, avec un orgue Bontempi et un magnéto K7, au fond d’un car. Nous partions à la montagne avec l’école…

J’ai une théorie sur votre couple. On lit souvent que votre succès repose sur vos deux personnalités, très différentes et complémentaires : Guy-Manuel de Homem-Christo, le taiseux, le sombre, et Thomas Bangalter, l’extraverti, le lumineux. Je pense au contraire que les compositions les plus sombres du groupe, son côté obscur, viennent de vous, Thomas. Je devine cela parce que vous avez composé les BO terrifiantes des films de Gaspard Noé. Vous avez aussi coécrit, à 20 ans, des morceaux avec Manu le Malin, prince de la techno hardcore, sombre et vénéneuse.
T.B. : Je ne sais pas. Si vous prenez Tron : l’héritage, Guy-Man a écrit tous les thèmes des méchants, les parties musicales les plus sombres. J’ai composé les thèmes héroïques, qui accompagnaient les scènes avec les gentils. Nous avons tous les deux notre part de « darkness » et de gentillesse…

G.-M. de H.-C. : Nous avons grandi ensemble. À quel âge finit-on de construire son cerveau avant qu’il ne dégénère ? À 20 ans, il me semble. De l’enfance à l’âge adulte, nous avons développé nos cerveaux ensemble, en partageant tant d’émotions. En s’en prenant parfois plein la gueule aussi. Ils sont imbriqués.

Ma deuxième théorie est que vous essayez de composer des chansons joyeuses mais qu’à l’arrivée, elles sont toujours un peu tristes…
G.-M. de H.-C. : Notre musique est un dosage entre ces deux pôles. Mais nous essayons de planquer le côté triste. Comment est la vie ? Vous avez l’impression de voir plus souvent les gens rire que pleurer, mais c’est peut-être parce qu’ils ont de faux sourires. Vous avez un peu de vague à l’âme et ça revient. Le spectre de notre musique navigue entre ces sentiments mêlés.

T.B. : C’est ce que nous aimons dans la musique. Si vous prenez We Are Familly, composée en 1979 par Bernard Edwards et Nile Rodgers pour Sister Sledge, c’est une chanson de danse, donc a priori heureuse, mais dont la solennité recèle peut-être une part de tristesse.

À la fin du disque, sur la chanson Contact, on entend donc cet astronaute de la Nasa qui dialogue avec sa base. Mais le sens de ce qu’il dit m’échappe…
T.B. : Il s’agit d’Eugène Cernan, le dernier homme à avoir marché sur la lune, le 14 décembre 1972. Il dit, en gros : « Je vois quelque chose très loin, à onze diamètres de la terre. Cette chose clignote et tourne sur elle-même. Mais je ne sais pas ce que c’est. »

Cette chose qui clignote, c’est un ovni ? À moins que ce ne soit l’avenir de la pop ?
T.B. : Désolé, là, ne comptez pas sur nous pour vous donner la moindre explication. C’est à vous d’apporter la réponse…

Alors vous allez peut-être me dire si vous allez vous produire en concert avec cet album ?
T.B. : Nous n’avons pas encore décidé. Pour l’instant, on aimerait que l’attention des gens se concentre sur l’album. Random Access Memories est un disque avec beaucoup d’invités, très organisé et produit, avec beaucoup de montage, donc difficile à mettre en scène… Le live, peut arriver plus tard.

Finalement, Random Access Memories est-il un disque d’électro ?
T.B. : Les étiquettes et les genres musicaux, c’est pour aider les disquaires à classer les albums et les journalistes à les commenter. Nous n’avons jamais pensé comme cela. Où classez-vous Giorgio Moroder ? Voilà un artiste qui est né dans le nord de l’Italie, qui a commencé à jouer du piano dans les hôtels pour ensuite faire les premières parties de Johnny Hallyday sur la Côte d’Azur. Plus tard, il a eu une carrière dans la pop en Allemagne et à 40 ans passés, il a découvert le disco et est devenu l’un des pionniers de la musique électronique. Sa vie de musicien ne s’arrête pas là : il est allé à Hollywood pour composer des musiques de films et il n’est pas exagéré de dire qu’il est à l’origine d’un grand courant de musiques de films synthétiques dans les années 1980.

Son parcours montre bien que clivages entre pop, rock, électro, musique branchée ou musique de beauf ne résistent pas à l’épreuve du temps. Les étiquettes, nous avons toujours voulu les pulvériser plutôt que les conforter. C’est notre façon d’aimer la musique et de la composer. Sans faire de distinctions.

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