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G. Gélard : « Un lobbying anti-IFRS de puissants groupes français »

Associé au cabinet d'expertise comptable BMA, Gilbert Gélard a été membre du board du bureau international des normes comptables (IASB) pendant 9 ans. Il défend la nécessité d’un langage comptable international et les principes établis dans les normes IFRS.

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Gilbert Gélard, associé au cabinet d'expertise comptable BMA. (Droits réservés)
Publié le 16 janv. 2013 à 06:00

Qu’ont apporté les normes IFRS ?

Au début des années 2000, l’Europe était confrontée à un multilinguisme comptable contraire à ses traités, notamment au Traité de Rome car des normes harmonisées sont nécessaires à la libre circulation des hommes et capitaux. Mais les tentatives de directives comptables européennes avaient échoué et adopter les normes américaines aurait conduit l’Europe à ne pas avoir voix au chapitre. Il a donc été décidé d’adopter, au moins pour les sociétés cotées, ce qui s’appelait à l’époque les normes « IAS », moyennant un processus d’homologation permettant de ne pas perdre la main. Ces dernières années, la crise a révélé que, plus que jamais, il fallait un langage comptable mondial. Quoiqu’on en pense, la mondialisation a gagné : elle est là, on ne peut faire autrement. Les comptes consolidés sont essentiels aujourd’hui pour les grands groupes internationaux, et la comptabilité est devenue stratégique. La situation n’aurait pas été meilleure, au contraire, si l’on avait eu 40 langages comptables différents. Le problème c’est, qu’en réalité, les normes comptables sont en avance sur le reste du dispositif.

Pourquoi le référentiel international est-il actuellement critiqué ?
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Les normes IFRS ont toujours été critiquées en France : en 2002, la France a été surprise par la décision européenne de confier la normalisation des sociétés cotées à un organisme indépendant. A l’époque, la comptabilité était la dernière roue du carrosse à Bercy, mais la technostructure a réagi comme un enfant à qui l’on enlève un jouet avec lequel il ne joue jamais : tout à coup, il est devenu son jouet préféré. Par ailleurs, du côté des entreprises, cela chatouille un peu quand les comptes donnent une image qui ne plait pas aux dirigeants. Il y a donc depuis longtemps un lobbying anti-IFRS de puissants groupes français. Ce lobbying a culminé en 2003 quand Jacques Chirac a demandé à Romano Prodi, à Bruxelles, d’arrêter l’expérience des IFRS au motif qu’elle allait « accélérer la financiariation de l’économie ». Heureusement, la Commission n’a pas cédé face à ce lobbying mal mené. Mais certains tentent encore aujourd’hui de limiter l’influence des normes IFRS : on peut même dire qu’il existe une malveillance contre ces normes, notamment dans le secteur financier. Les banques et les assurances ne sont pas heureuses de voir révélée au grand jour la volatilité à laquelle elles sont confrontées dans la réalité. Ces institutions ont une attitude ambiguë : elles se plaignent de la valeur de marché dans leurs comptes, arguant que la prise en compte des plus-values latentes est imprudente, mais elles s’appuient sur ces mêmes plus-values pour calculer leurs indicateurs internes et rémunérer leurs traders.

Doit-on renoncer à toute convergence entre les normes internationales et les normes américaines ?

Pour autant qu’on puisse voir aujourd’hui, il n’y aura pas de convergence avec les normes américaines, dites « US GAAP ». En réalité, les américains ont un mode de travail extrêmement différent de celui de l’IASB (bureau international des normes comptables) : ce sont deux cultures totalement opposées. Entre l’IASB, plutôt de culture britannique, et la culture du normalisateur américain, c’est le jour et la nuit. Même si la converge a fonctionné pour les regroupements d’entreprises (IFRS 3) et la suppression de l’intégration proportionnelle (IFRS 11), la norme sur la consolidation reste très différente de son équivalent américain (IFRS 10) : alors qu’en US GAAP, il est impossible de consolider si l’on a moins de 50 % des actions, le board de l’IASB a fait un travail considérable pour forcer la comptabilisation des Véhicules ad hoc contrôlés ("special purpose vehicules") mais dont le « purpose »* était précisément d’échapper à la consolidation...

Y aura-t-il alors une convergence avec les normes françaises ?

L’Autorité des Normes Comptables françaises a arrêté sciemment toute convergence avec les normes IFRS. Résultat, nous vivons actuellement en France avec un système de consolidation français et un plan comptable général qui n’ont guère évolué depuis 1999. Nous sommes dans une absurdité désormais institutionnalisée, un chaos qui tient à la cohabitation de deux langages comptables, l’un évoluant, l’autre pas. Résultat, les entreprises ont deux jeux de comptes complètement différents : il n’y a pas, par exemple, de cohérence entre les dividendes distribués sur les seuls résultats de la société mère (en normes françaises PCG) et le résultat consolidé du groupe établi et annoncé en IFRS. Au final, on ne sait plus de quoi on parle.
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* NDLR : le but

Cécile Desjardins

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