Procès du grand complot

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Procès du grand complot
Les 19 défenseurs lors du procès du grand complot (mai 1889)
Les 19 défenseurs lors du procès du grand complot (mai 1889)

Type Cour d'assises
Pays Drapeau de la Belgique Belgique
Localisation Mons, Province de Hainaut
Date -
Répression
Procès de manifestants 27 prévenus

Le Procès du grand complot est un procès d'assises qui connut un important écho politique et médiatique. Il s'est déroulé à la cour d'assises de Mons en . Il entendait faire toute la lumière sur les agissements de fauteurs de troubles qui auraient porté atteinte à la Sûreté de l'État en fomentant une révolte populaire visant le renversement des institutions nationales. 27 prévenus sont mis à la cause au premier rang desquels, Alfred Defuisseaux, président du parti socialiste républicain, une dissidence du Parti ouvrier belge. Ils sont représentés par 19 avocats parmi lesquels certains ténors du barreau. Le procès tourne au scandale lorsqu'il appert que le Parti socialiste républicain était noyauté par des agitateurs issus de la sûreté de l'État[1].

Prologue[modifier | modifier le code]

Alfred Defuisseaux revendiquait ouvertement son positionnement républicain. Il avait été également sensibilisé au libéralisme progressiste soucieux des classes laborieuses par son précepteur, Paul Janson. Diplômé de l'Université Libre de Bruxelles en 1868, il entame une carrière au barreau de Mons où il acquiert rapidement la réputation d'être l'avocat des ouvriers. Pour la première fois dans l'histoire du droit belge, il obtient que des dommages soient versés aux victimes dans le cadre d'accidents de travail. La bourgeoisie montoise se trouvait fort irritée qu'un des leurs se batte ainsi au côté des miséreux. Il fait l'objet de procès dès 1874 et 1875. À cette époque, il quitte la Belgique et entreprend des voyages en Italie, en Roumanie avant de s'installer en France. Il ne sera de retour en Belgique qu'en 1884[1].

Les émeutes de 1886[modifier | modifier le code]

La Grève au pays de Charleroi (1886) de Robert Koehler.

Alfred Defuisseaux bénéficie d'une grande réputation au sein de la classe ouvrière. Jean Puissant écrit:

« Les frères Defuisseaux[Notes 1], les premiers grands bourgeois censitaires et peut-être les seuls en 1886 à avoir embrassé la cause du peuple, sont (...) en butte aux attaques de la presse conservatrice mais acquièrent, d'autre part, une popularité sans égale (...)[1] »

Le , une grève débute dans tout le Borinage, la région du Centre et le Pays de Charleroi. Les ouvriers carolorégiens font cependant plus que de se croiser les bras puisqu'ils écument toute la région. Des bandes de mineurs et de verriers s'en prennent ainsi aux usines et investissent les propriétés détenues par le patronat. L'armée intervient, elle tire sur les manifestants. On déplore 15 morts à Roux. La prison de Charleroi compte des prisonniers en grand nombre, ils ne tarderont pas à être jugés et les peines seront d'une extrême sévérité. Deux semaines avant les faits, Alfred Defuisseaux avait publié son pamphlet: Le catéchisme du Peuple, ce brûlot commandité par le POB invitait les masses laborieuses à sortir de l'esclavage et dépeignait une classe dirigeante qui tirait les bénéfices de leur misère. Alfred Defuisseaux est arrêté et jugé pour la responsabilité morale qu'il endosse à l'égard des événements survenus à l'occasion de cette grève. Le tribunal le condamne à deux fois 6 mois de détention. Avec l'aide de Jean Volders, il parvient néanmoins à prendre la fuite en quittant le tribunal avant le prononcé de la sentence. Nouvel exil en France[1].

Le parti socialiste républicain[modifier | modifier le code]

Ultimatum adressé au Gouvernement Beernaert rédigé par Alfred Defuisseaux le 26 mai 1887. Il est à noter qu'il n'en sera pas le signataire.

Le Parti ouvrier belge éprouve de plus en plus de difficultés à gérer le tonitruant Alfred Defuisseaux qui fait voter à Jolimont lors du congrès des mineurs, le une grève générale. Le POB ne veut pas en entendre parler et annule le vote en faveur de la grève lors d'un conseil général du parti. En , lors du congrès de Dampremy, Defuisseaux est définitivement désavoué et évincé du parti ouvrier. Cela n'empêche pas la grève du mois de mai qui est dénoncée par le POB qui fustige les grévistes. La grève fera deux morts et plongera le pays dans une situation quasi insurrectionnelle. Alfred Defuisseaux menace le gouvernement belge de laisser déferler sur Bruxelles 5000 ouvriers s'il ne se résout pas à dissoudre les chambres. Mais Defuisseaux est déjà à cette époque, entouré de mauvais conseillers qui savent flatter son ego et lui dépeindre une situation qui ne correspond pas aux faits. Le mouvement de grève finit par s'étouffer de lui-même. Les 14 et , lors de son premier congrès de Mons, le Parti socialiste républicain est créé, la dissidence est désormais assumée[1].

Le grand complot[modifier | modifier le code]

Alfred Defuisseaux

Alfred Defuisseaux étant toujours en France, ce sont son frère, Léon Defuisseaux et son cousin Georges Defuisseaux[Notes 2] qui sont à la tête du nouveau parti. Le , Jean Laloi préside le congrès de Châtelet. Une nouvelle grève est préparée dans le plus grand secret. Des meetings noirs sont organisés dans la région du Centre et du Borinage. La grève sera presque insurrectionnelle, les manifestants faisant sauter des bâtons de dynamite dans les rues et se rendant coupables de multiples exactions. Les principaux dirigeant du PSR sont arrêtés. Une instruction démarre fin décembre. Dans l'attente du procès, la chambre du conseil statue en faveur du maintien des prévenus en détention préventive[1].

Le , l'instruction connait un important rebondissement lorsque Paul Notelteirs, directeur de la sûreté publique, déclare au juge que Jean Laloi est un agent de la Sûreté de l'État qui avait infiltré le PSR depuis plus d'un an. Il n'était pas le seul agent dans la place, Léo Collard dira que le véritable "père du grand complot" était Léonard Pourbaix, autre membre de la sureté. Léonard Pourbaix était directement en contact avec le ministre Auguste Beernaert qui fut suspecté d'avoir ourdi le soulèvement populaire en vue de mieux le réprimer. En effet, ces agents infiltrés avaient pour but de faire tomber la tête du PSR en le lançant dans des actions inconsidérées. Pour ce faire, ils accentuaient le caractère insurrectionnel des grèves, la détermination des travailleurs et l'ascendance qu'Alfred Defuisseaux pensait exercer sur les ouvriers trouvant ainsi à nourrir la vanité de cet homme naïf et imbu de lui-même[1].

Déroulement du procès[modifier | modifier le code]

Le procès débute le devant les assises de Mons et durera trois semaines.

La présidence est assurée par le conseiller Pécher. On retrouve également le vice-président Dolez, le juge Leurquin et l'avocat général Janssens.

Les 27 prévenus, tous issus du PSR, sont défendus par 19 avocats dont Jules Destrée, Paul Janson, Edmond Picard, Eugène Robert[1], Adolphe Englebienne[2], Fulgence Masson[3], Georges Heupgen (nl), Fernand Mosselman, Frédéric Ninauve et Jules de Burlet.

Lors du procès, il apparut clairement que c'était Jean Laloi qui avait mis sur pied le congrès de Châtelet et que c'était Léonard Pourbaix qui avait orchestré les échauffourées et fourni les armes et les explosifs. Le procès tourne alors nettement en faveur des accusés. Le , Gauthier de Rasse, le chef de la sûreté est entendu. Le 20, ce sera le tour de Léonard Pourbaix qui tout d'abord arrêté, comparait libre et en qualité de témoin. Paul Janson le liquéfie sur place et demande l'acquittement des prévenus, Edmond Picard à sa suite: « Le complot n'est que dans l'imagination du Ministère public ». Les plaidoyers sont grandiloquents si bien que les 17 autres avocats n'intervinrent que peu ou pas du tout. Tout avait été dit par d'excellents tribuns[1].

Le , l'ensemble des prévenus, à l'exception de Jean Laloi et de Louis André (deux agents de la sûreté), sont acquittés, ce qui déclenche une liesse populaire dans le Borinage[1]. Léonard Pourbaix sera jugé quelques mois après le procès du grand complot et condamné à deux années de détention.

Le PSR ne se remettra toutefois jamais de cet épisode, et ses militants rejoindront rapidement les rangs du POB, qui leur tendait la main[1].

Répercussions[modifier | modifier le code]

Cette affaire eut une influence sur l'élection de Paul Janson à Bruxelles en 1890. Auguste Beernaert qui dut se justifier devant la chambre, limogea immédiatement Adolphe Gautier de Rasse, le directeur de la Sûreté qui avait renseigné l'opposition[4]. La dotation de la sûreté de l'État et ses effectifs furent revus à la baisse pour de nombreuses années[1].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i j k et l Jean-François Füeg, Alfred Defuisseaux et le Grand Complot, une page de l'histoire du socialisme borain (1889), Calaméo
  2. Marcel Englebienne, Adolphe Englebienne (1844-1906), Hainaut Culture et Démocratie, 2012, p. 156.
  3. Paul Delforge, 25 mai 1889 : Acquittement au terme du procès dit du "Grand Complot", Institut Destrée
  4. Jean Bartelous, Nos Premiers Ministres, de Léopold Ier à Albert Ier, 1983, Bruxelles, éd. J.M. Collet, p. 199-200