Tunisie : l’économie handicapée par l’Etat

Les responsables politiques en Tunisie auront beau promettre de lutter contre les abus et la mauvaise gouvernance de l’administration publique, mais leurs discours sonneront creux et faux tant que l’Etat restera la première source d’abus de situation et de distorsions économiques et monétaires.

Par Elyes Kasri *

On ne cesse pas de se gargariser en Tunisie avec des lieux communs et des formules incantatoires creuses du genre bas coût de la main d’œuvre tunisienne, de Tunisie porte de l’Afrique ou d’entreprises tunisiennes à la conquête du marché africain, sans oublier le concept qui frise l’absurde de la traduction en termes commerciaux de la fraternité arabe.

Ma longue expérience me fait penser que la Tunisie jouit d’une situation stratégique et de bonnes compétences humaines quoique leur niveau semble récemment en régression.

L’État tunisien est le principal obstacle

Toutefois, le principal obstacle à l’investissement, à la création de l’emploi et au renouvellement du tissu entrepreneurial en Tunisie est, de manière de plus en plus aiguë, l’État tunisien avec sa bureaucratie lourde, tatillonne et aux pratiques pas toujours au-dessus de tout soupçon.

A force de règles et procédures bureaucratiques, d’assèchement de la place monétaire et son corollaire, le renchérissement du coût de l’argent, de même que la survie artificielle d’un secteur public mal géré, structurellement déficitaire et assez souvent corrompu, l’économie tunisienne aura toutes les peines à décoller et à attirer des investissements significatifs.

Tout cela me rappelle la confession d’un responsable technologique indien qui, en répondant à ma question sur le secret du succès du parc technologique de Bangalore et du secteur informatique en Inde, m’avait tout simplement répondu que l’Etat indien et les douanes de son pays n’étant pas en mesure de contrôler les données informatiques traitées et envoyées à travers des installations autonomes de télécommunication, ont laissé ce secteur se développer jusqu’à ce qu’il ait créé suffisamment d’emplois et de recettes pour que la bureaucratie soit dans l’obligation de résister à sa tentation existentielle d’étouffer ce secteur à force de contrôles par des bureaucrates qui n’y comprennent rien du tout.

Le recours suicidaire de l’État à l’endettement

Sur un autre plan, les grands groupes tunisiens investissent dans le secteur bancaire qui affiche une santé insolente malgré la succession de crises en Tunisie et ce grâce au recours effréné de l’Etat à l’endettement pour entretenir une fonction publique pléthorique, un secteur public structurellement déficitaire et rongé par la mauvaise gouvernance et la corruption et une politique de compensation qui est devenue synonyme de détournements et d’abus.

Ce recours suicidaire de l’État tunisien à l’endettement ronge le pouvoir d’achat du citoyen qui voit ses prêts bancaires flamber à coup de taux d’intérêt astronomiques tandis que les jeunes entreprises se voient accablées par un coût exorbitant de l’endettement qui tue leur compétitivité et toute possibilité d’être rentables dans l’écrasante majorité des cas.

Les responsables politiques auront beau promettre de lutter contre les abus et la mauvaise gouvernance, mais leurs discours sonneront creux et faux tant que l’Etat restera la première source d’abus de situation et de distorsions économiques et monétaires.

* Ancien ambassadeur au Japon et en Allemagne.

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