Répression, menaces climatiques. Les impasses de la COP27

Le Maghreb prend conscience du déclin de sa biodiversité

Chardonnerets en Algérie, singes magots au Maroc, guépards du Sahara en Libye : de nombreuses espèces animales sont menacées par le braconnage, la chasse intensive et le développement urbain. Face à la faiblesse des moyens mis en œuvre par les États pour sauver le patrimoine génétique de la région, des associations nouvelles venues mobilisent des bénévoles.

Le singe magot ou macaque berbère, une des espèces en voie de disparition au Maghreb.
Yacine Fates / Wikicommons.

L’évaluation de la richesse des pays maghrébins se fait toujours par rapport au prix du pétrole ou à l’affluence annuelle des touristes. Pendant ce temps, la richesse que constitue la biodiversité décline d’année en année, si bien que les États et les ONG cherchent souvent à sauver le patrimoine génétique qui éviterait la disparition intégrale des espèces endémiques.

L’être humain, première menace

La confrontation des statistiques permet d’évaluer à plus d’un dixième les espèces animales menacées en Afrique du Nord. À titre d’exemple, le Maroc disposerait d’au moins 98 espèces de mammifères, parmi lesquelles 8 sont endémiques. Treize d’entre elles sont menacées. Sur 480 espèces d’oiseaux, 46 sont en danger, parmi lesquelles l’autruche d’Afrique du Nord1. Pis, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) considère que « près de la moitié des espèces d’oiseaux est menacée » dans le même pays.

Les dangers qui menacent la biodiversité au Maghreb sont les mêmes que partout ailleurs dans le monde. Selon Faouzi Maamouri, directeur de la section Afrique du Nord du Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund, WWF), « il y a une transformation majeure des pays maghrébins depuis cinquante ans. L’expansion urbaine empiète sur les zones humides qui forment l’habitat le plus important de la biodiversité. Quand il ne les détruit pas, le développement économique et agricole transforme les milieux naturels, en favorisant la déforestation ». En conséquence, indique un rapport officiel, « l’Algérie ne renferme plus d’écosystème terrestre réellement inaltéré par l’homme ».

« Le braconnage atteint des dimensions incontrôlées », renchérit Khaled Ettaieb. Ce professeur au département de zoologie de l’université de Tripoli regrette la disparition, en Libye, du guépard du Sahara et du mouflon à manchette. « Avant la chute de Kadhafi, se souvient-il, même les fusils de chasse étaient interdits. Mais depuis 2011, le braconnage s’opère avec des armes de guerre et des véhicules sophistiqués dans lesquels on peut trouver jusqu’à 200 têtes de gazelles tuées par des miliciens qui chassent pour passer le temps. On assiste aussi à l’émergence de chasseurs sans lien avec les tribus qui pratiquent traditionnellement l’exercice cynégétique. Ils abattent tout ce qu’ils trouvent, même pendant la période de reproduction. Plus de 500 000 oiseaux sont ainsi tués chaque année, quand les zones protégées ont été saisies par les chefs tribaux qui se les sont appropriés. Les animaux qui y vivaient ont tous disparu, chassés quand ils sont comestibles ou relâchés quand ils ne le sont pas. »

Trafic et commerce illégaux

Le braconnage alimente le commerce illégal des espèces rares. Apprécié pour son chant, le chardonneret est devenu une espèce en voie de disparition au Maghreb. En Algérie, il est pris dans des filets géants posés dans les champs pour le capturer. Cette technique de chasse venue d’Égypte est passée par la Libye et la Tunisie avant d’arriver en Algérie où les autorités ont confisqué, en trois ans, 24 000 chardonnerets destinés au marché informel. « Le braconnage est devenu un gagne-pain au Maroc où les chardonnerets sont capturés pour être vendus clandestinement aux Algériens », se désole Radouane El Ouafi, président de la Fédération marocaine d’ornithologie (FMO). En Tunisie, selon Maamouri, « ce passereau est recherché par les trafiquants qui le vendent à Malte ».

En effet, le trafic illégal nourrit le marché international des animaux de compagnie. Autre victime : le singe magot, ou macaque berbère. Cette espèce endémique est sur la liste rouge des espèces en danger. Complètement disparu en Tunisie, il décline en Algérie à cause des incendies volontaires et de la concurrence humaine2. Les braconniers marocains le vendent aux touristes. « Il y a environ 10 à 12 000 singes magots au Maroc, nous dit Sian Waters de la Barbary Macaque Awareness & Conservation. En 1975, ils étaient 17 000 rien que dans le Moyen Atlas où l’on en compte à peine 5 000 ».

Émirs braconniers en 4X4

Les campagnes de saisie de ces animaux sont d’une efficacité limitée. « J’ai déjà participé à une mission de récupération de 700 tortues en Égypte, nous apprend Khaled Ettaieb de l’université de Tripoli. Ce chiffre peut paraître élevé, mais il n’est rien à côté des milliers d’individus qui passent chaque année la frontière libyenne pour être vendus aux touristes. Le commerce illégal n’épargne pas les faucons qui sont très demandés par les pays du Golfe. »

Utilisant un matériel de guerre avec des dizaines de 4X4 et des drones, les émirs du Golfe viennent dans le Maghreb pour chasser. Ils ne laissent aucune chance à l’outarde ni à la gazelle qui sont pourtant des espèces menacées. En Algérie, ces princes sont protégés par les autorités qui les ont longtemps considérés comme les invités VIP d’Abdelaziz Bouteflika.

Malgré la chute de ce dernier, les émirs braconniers continuent de sillonner le sud-ouest algérien. « Ils ont tout liquidé depuis des années, déclare un habitant d’El Bayadh au quotidien El Watan. Il n’y a plus une seule outarde sur toute la hamada qui est son habitat naturel. Même le lièvre et la gerboise ont disparu. Ils n’ont pas laissé de chance non plus au courvite isabelle ». Afin de recouvrer leur liberté de circuler dans leur propre territoire, les populations locales exterminent elles-mêmes les animaux chassés par les émirs.

Des lois sans effet ?

Pourtant, les pays maghrébins ont pris conscience de la nécessité de protéger leur biodiversité depuis des années. Dès 1975, la Libye a créé l’aire protégée d’El Kouf. Ailleurs, les premiers parcs nationaux apparaissent dans les années 1980. Par la même occasion, des animaux disparus, comme l’oryx gazelle, l’antilope addax et l’autruche sont réintroduites au Maroc et en Tunisie.

« La réintroduction des espèces est très coûteuse, relativise Abdenour Moussouni. Il faut mieux connaître sa biodiversité et proposer une politique de protection efficace. C’est ce que nous faisons dans le cadre du Projet des parcs culturels algériens (PPCA). Lancés en 2008, ces parcs sont au nombre de 5 et couvrent 43 % du territoire national. Rattaché au ministère de la culture, le PPCA encourage la mise en commun des connaissances environnementales traditionnelles avec les savoirs scientifiques actuels. » Ce chargé de planification du PPCA et son équipe ont pu filmer l’amayas, le guépard du Sahara. Cet événement inédit depuis 2010 prouve, selon lui, l’efficacité de la stratégie algérienne de recensement des différentes espèces d’intérêt mondial vivant dans le sud du pays.

« Ils n’auraient jamais dû médiatiser cette découverte, s’inquiète Faouzi Maamouri. Chaque fois qu’on a rendu publique l’existence d’une espèce qu’on croyait disparue, on a détruit son habitat. » Le représentant de la WWF considère que les lois protégeant la biodiversité en Afrique du Nord ne sont pas toujours appliquées. Les infractions sont fréquentes. Elles peuvent même être le fait des autorités politiques comme le ministère du transport algérien qui a fait passer une autoroute dans le Parc national d’El Kala.

Transformer le rôle des chasseurs

De plus, l’application des lois de protection des espèces se heurte à l’insuffisance des ressources humaines. Maamouri évalue le personnel de la section Afrique du Nord de la WWF à 25 personnes seulement. « En Libye, nous sommes sept pour 97 zones de recherches sur les oiseaux migrateurs », reconnaît Ettaieb qui trouve, par ailleurs, des raisons de se réjouir : « Nos campagnes de sensibilisation transforment des chasseurs en militants de défense de la biodiversité. C’est mieux que d’emprisonner les braconniers. »

« Nous organisons des concours et des expositions pour expliquer aux Marocains l’importance de la diversité ornithologique, témoigne El-Ouafi qui précise que la FMO fédère 55 associations représentant cinq régions du Maroc. Nous avons même réussi à mener des projets avec le département des eaux et forêts et à convaincre le législateur de protéger le chardonneret en doublant l’amende des braconniers qui est passée à 10 000 dirhams ».

« Pour une plus grande efficacité, nous nous appuyons sur les observations des populations du sud algérien, poursuit Moussouni. Les nomades sont dotés d’appareils photo pour fournir des images de la faune qu’ils rencontrent. Désormais, le PPCA vise à faire des populations locales les décideurs des projets de protection des espèces que nous mettons en place. »

Discours nationaliste, financements étrangers

Selon nos interlocuteurs, la protection de l’environnement n’est pas la priorité des autorités, bien que celles-ci transforment la biodiversité en un argument de publicité nationaliste. Maamouri dénonce même des « sites protégés sur le papier seulement. [...] La protection des espèces est financièrement dépendante des dons de la coopération internationale et des ONG », tonne-t-il. Pour preuve, pour lutter contre la chasse illégale des magots, le Maroc a collaboré avec le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) et l’Animal Advocacy and Protection (AAP). « La WWF n’a jamais reçu un sou des États maghrébins, assure Maamouri. Ayant hérité d’une culture où les ONG sont passives, nous n’avons même pas d’adhésions et nous ne cherchons pas à en avoir. Les gens ont d’autres priorités économiques que le soutien aux associations environnementales. »

« Nous n’avons pas d’accord économique avec les pays nord-africains, confirme Mathieu Thévenet, directeur de l’ONG Initiative petites îles de Méditerranée (Initiative PIM). Les projets environnementaux qu’on y mène sont essentiellement financés par la coopération française et allemande, ainsi que par des dons privés. Les pays du Maghreb ont pourtant tout intérêt à investir dans la protection de leur environnement. Cela leur assurerait l’indépendance dans la gestion de leurs projets. » Il voit dans ce manque d’intérêt politique pour la protection des espèces « un problème mondial. Les arguments économiques priment sur les arguments environnementaux. Si l’on se concentre juste sur Essaouira, on peut dire que les pouvoirs ne savent pas qu’il y existe un patrimoine culturel et écologique. Il y a même un projet d’urbanisation de la baie. Cela nous inquiète, car c’est une zone humide où les faucons d’Éléonore viennent se ressourcer. »

Cela remettrait en cause ce que Thévenet présente comme un succès de son ONG engagée dans la protection du faucon d’Éléonore. Ce rapace niche en été en Méditerranée et migre à Madagascar en hiver. Son effectif est passé de 60 couples en 1980 à 1 500 couples en 2019.

Malgré cela, les dons étrangers vont essentiellement aux pouvoirs publics. « En Tunisie où l’on compte au moins 400 ONG environnementales dont 40 seulement ont un personnel salarié, nous agissons grâce au bénévolat, explique Faouzi Maamouri. Il faut que les pourvoyeurs de fonds étrangers fassent confiance aux associations civiles qui accomplissent leurs missions deux fois plus vite que les États. » « Nous pouvons changer les choses, ajoute Abdenour Moussouni. Pour cela, il faut doter les structures locales de moyens humains et matériels. Il faut renforcer les compétences, notamment en les formant à l’usage d’outils dernier cri. Enfin, les étudiants représentent une ressource de valeur qui mérite d’être soutenue financièrement. »

1« Le Maroc, une biodiversité riche d’une quarantaine d’écosystèmes », MAP Ecology, 3 mars 2017.

2Mustapha Benfodil, « Haute Kabylie : ces macaques qui empoisonnent la vie des villageois », El Watan, 3 décembre 2018.

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