Enquête

Le laboratoire P4, ménagerie virale

Réagissez à cet article Réagissez (1)Classez cet article ClassezImprimez cet article ImprimezEnvoyez cet article par e-mail EnvoyezPartagezPartagez
Partagez :
Partagez sur Facebook
Partagez sur Scoopeo
Partagez sur del.icio.us
Partagez sur BlogMarks
Partagez sur Wikio
Partagez sur Viadeo

On ne visite pas le laboratoire P4 Inserm-Jean Mérieux de Lyon. Qui se risquerait dans une telle ménagerie, renfermant les virus Ebola, Marburg, Nipah, Hendra, Congo-Crimée, Lassa ? Ces agents pathogènes dits de classe 4 sont les plus dangereux au monde. Ils sont responsables de fièvres hémorragiques et d'encéphalites foudroyantes. "La classe 4 désigne des agents pathogènes ayant des taux de mortalité extrêmement élevés - jusqu'à 90 % des personnes infectées -, pour lesquels il n'existe pas de moyens prophylactiques ou thérapeutiques et qui ont la capacité de se transmettre facilement", avertit Hervé Raoul, le directeur du P4.

Le visiteur se contente donc volontiers de parcourir les coursives qui entourent le laboratoire, rendues bruyantes par la respiration incessante des filtres à air et la pulsation des divers "fluides" - gaz, eau - et l'électricité qui irriguent l'installation. Celle-ci est hautement sécurisée, pour éviter toute intrusion.

A l'intérieur, on devine des chercheurs en combinaison gonflée par la surpression (pour empêcher la pénétration des agents). Ils sont reliés au plafond par des tuyaux jaunes - les "narguilés", selon l'expression locale - qui assurent leur alimentation en air sain. Tous portent casque audio et micro afin de communiquer dans cette ambiance confinée. En ce matin de juin, on peut lire sur la porte d'entrée que deux opérateurs se consacrent au virus Ebola, deux autres au Nipah et quatre au virus grippal H5N1 qui, s'il n'est pas officiellement un agent de classe 4, est un mutant en devenir qui nécessite les plus grandes précautions.

"Il faut voir le laboratoire comme un tube, où les opérations vont du moins dangereux au plus risqué", indique Hervé Raoul. Les trois portions de ce tube de 200 m2 se trouvent en dépression croissante, afin que l'air et les microbes ne puissent s'en échapper. Avant de pouvoir y travailler, et en sortir, il faut passer plusieurs sas : douche, enfilage du scaphandre, douche chimique avec pulvérisation, soit une vingtaine de minutes à l'aller comme au retour. A l'intérieur, chaque opération est codifiée, notamment la manipulation des animaux (souris et singes). "Le plus difficile, c'est de conserver sa concentration", note M. Raoul. C'est pourquoi on ne travaille dans le P4 que par demi-journées. Et seulement après avoir reçu une formation de trois semaines.

Les chercheurs et techniciens admis ont d'abord fait l'objet d'une enquête de police - risque bioterroriste oblige. Pas de test psychologique spécifique : "La façon dont les gens supportent le scaphandre est un test en soi", raconte Hervé Raoul, qui s'attache ensuite à combattre les "dérives comportementales" qui peuvent naître de la routine. Le principe de responsabilité prime : "Récemment, un jeune chercheur ne s'est pas senti en forme. Il a préféré sortir : cela fait partie des comportements qu'on attend des opérateurs", explique Hervé Raoul. "Une personne de mon laboratoire a fait un malaise, une fois, car c'est un peu stressant", témoigne Bruno Lina, directeur du laboratoire de virologie et pathogenèse virale de Lyon, utilisateur du P4. Mais trois de ses collaborateurs "sont heureux d'aller" travailler dans "cet outil superbe", assure-t-il.

Concrètement, que fait-on dans le P4 ? Sa mission est de mettre au point des éléments de diagnostic, à partir de prélèvements provenant des centres nationaux de référence, acheminés sous triple emballage par des sociétés spécialisées. Le laboratoire doit aussi assurer la gestion des collections de souches virales, qui servent d'étalons de comparaison - à l'exception de la variole, que seuls les Etats-Unis et la Russie ont préservée de l'éradication complète.

Le P4 abrite enfin des activités de recherche vaccinale et thérapeutique, publiques et privées. Les industriels trouvent là un outil unique, à moindre coût, même si la demi-journée leur est facturée trois à quatre fois plus cher qu'aux chercheurs académiques. L'équipe du P4 n'a pas de projet de recherche propre : "Nous nous retrouverions en concurrence avec nos clients, pour qui nous travaillons à façon", explique Hervé Raoul. Parmi ces "clients" figure le ministère de la défense. Les troupes françaises, lors des opérations extérieures, sont susceptibles de se trouver confrontées à des virus hautement pathogènes, que ce soit en Afrique ou en Afghanistan où circule par exemple le virus hémorragique de Congo-Crimée.

Ces recherches sont exclusivement diagnostiques et thérapeutiques. "Pas question de travailler sur des armes bactériologiques", assure Hervé Raoul, détaché du Commissariat à l'énergie atomique où il a été associé, à la direction des applications militaires, à un programme de lutte contre la prolifération nucléaire et biologique. Mais il verrait d'un bon oeil une diversification vers le monde des bactéries : celles responsables de la tuberculose présentent d'inquiétantes multirésistances aux antibiotiques, qui pourraient conduire à leur classement en "pathogène 4".

Plus grand P4 d'Europe, le laboratoire de Lyon vient d'être chargé de la coordination d'une infrastructure paneuropéenne de laboratoires de haute sécurité. "En cas de pandémie majeure, les capacités des six laboratoires européens actuels seraient insuffisantes", estime M. Raoul, qui évalue à une dizaine le nombre de P4 nécessaires dans l'Union européenne. Un programme européen vise à accompagner une telle montée en puissance d'ici à 2015 et à favoriser l'émergence d'une communauté scientifique spécialisée, alors que les projets concurrents se multiplient ailleurs dans le monde.

Mais le sujet brûlant de l'heure, ce sont les virus grippaux, le H5N1 aviaire et le nouveau A (H1N1). Que se passerait-il s'ils se combinaient ? Saurait-on faire face ? Une réflexion est en cours pour déterminer s'il est sage d'explorer ces questions en laboratoire, même P4. Un fantasme d'apprentis sorciers ? "La décision de le faire ou non nous dépasse bien largement", répond Hervé Raoul. Elle dépend des sphères ministérielles.

Hervé Morin
Réagissez à cet article
Réagissez (1)
Classez cet article
Classez
Imprimez cet article
Imprimez
Envoyez cet article par e-mail
Envoyez
Partagez sur Facebook
Partagez sur Scoopeo
Partagez sur del.icio.us
Partagez sur BlogMarks
Partagez sur Wikio
Partagez sur Viadeo
PARTAGEZ
Des chercheurs manipulent des virus dans le laboratoire P4 Jean Mérieux le 27 février 2008 à Lyon : la dénomination P4 (Pathogène de classe 4) fait référence à des micro-organismes pathogènes faisant encourir des risques mortels au personnel qui les manipule.
AFP/JEAN-PHILIPPE KSIAZEK
Des chercheurs manipulent des virus dans le laboratoire P4 Jean Mérieux le 27 février 2008 à Lyon : la dénomination P4 (Pathogène de classe 4) fait référence à des micro-organismes pathogènes faisant encourir des risques mortels au personnel qui les manipule.
Vos réactions
Biomed :
  L’activité de diagnostic virologique n’est pas géré par des chercheurs mais par des biologistes médicaux  
Vos offres d'emploi