Samedi 9 juillet 2005
Recherchez

Accédez aux archives du Monde
depuis
 
A la Une
Le Desk
International
Europe
France
Société
Carnet
Régions
Entreprises
Finances
Médias
Horizons
Météo
Aujourd'hui
Sports
Sciences
Culture
* Les attentats de Londres
* Constitution européenne
* Shoah : les derniers témoins
* Eté 2005
Opinions
Forums
Blogs
Chats
Sondages
Météo
Cinéma
Livres
Voyages
Culture
Aujourd'hui
Examens 2005
Savoirs
Jeux / mots croisés
Aide
Emploi
Immobilier
Auto-moto
Nautisme
Le Desk
Les images
Les dépêches
Les vidéos
Les titres du Monde
La Une en 8 clics
Le Monde en PDF
Check-list
Que dit Le Monde ?
La 12:15
Les titres du jour
Multimédia
Dessins
Images du jour
Hors-champ
Bande-son
Dossiers
Thématiques
Repères
Cyberadresses
Fiches pays
Annales du bac
Base élections

Greenpeace, vingt ans après : le rapport secret de l'amiral Lacoste

LE MONDE | 09.07.05 | 13h40  •  Mis à jour le 09.07.05 | 13h40
Augmentez la taille du texte
Diminuez la taille du texte
Imprimez cet article
Envoyez cet article par e-mail
Recommandez cet article
Classez cet article
C'est un document pour l'histoire. Depuis dix-neuf ans, il dort dans un de ces souterrains virtuels que les démocraties s'inventent pour y enfermer ce qu'elles ont d'inavouable à cacher. Daté 8 avril 1986, long de vingt-trois pages rédigées à la main, d'une écriture fine et légèrement penchée, le rapport de l'amiral Pierre Lacoste sur les circonstances de l'"affaire Greenpeace" ­ dont Le Monde publie les principaux extraits ­ éclaire ce qui, d'ordinaire, reste dans l'ombre : l'envers d'une opération clandestine des services secrets, de la décision politique à l'exécution militaire, et jusqu'aux mensonges faits pour la couvrir.

De l'attentat à la crise gouvernementale

Voici les principales étapes

de l'"affaire Greenpeace".

10 juillet 1985 : à 23 h 50,

dans le port d'Auckland (Nouvelle-Zélande), deux charges explosives font couler le navire de Greenpeace, provoquant

la mort d'un photographe portugais, Fernando Pereira.

12 juillet : la police néo-zélandaise interpelle deux touristes suisses ­ les "faux époux Turenge" ­, qui sont en fait deux agents français, Alain Mafart et Dominique Prieur.

23 juillet : les "Turenge"

sont inculpés de meurtre.

Ils encourent une peine de prison à perpétuité. Le premier ministre néo-zélandais, David Lange, accuse des "éléments étrangers" d'avoir pris part

à l'attentat d'Auckland.

26 juillet : la justice néo-zélandaise délivre un mandat d'arrêt international contre les passagers du voilier Ouvéa, autres agents de la DGSE, qui ont quitté Auckland

la veille du sabotage.

6 août : informé de la publication imminente d'articles de presse révélant l'implication des services français, François Mitterrand demande à Laurent Fabius "d'ordonner sans délai une enquête rigoureuse" ; le premier ministre charge de cette mission délicate le conseiller d'Etat Bernard Tricot. Depuis deux semaines, Charles Hernu nie devant eux toute implication

de la DGSE dans l'attentat.

26 août : M. Tricot rend

son rapport. A la surprise générale, il dédouane les services secrets, écrivant : "Il n'y a aucune raison de penser (...) que la DGSE ait donné aux agents en Nouvelle-Zélande des instructions autres que celles tendant à mettre correctement en oeuvre les directives gouvernementales." Concluant de ses auditions

que seule une mission de "renseignement" avait été lancée, avec le feu vert de l'Elysée, le conseiller d'Etat n'exclut pas, cependant, d'avoir été "berné" par les militaires.

27 août : exprimant à la télévision ses "doutes" sur le rapport Tricot, M. Fabius "demande la vérité".

17 septembre : Le Monde révèle que "le Rainbow Warrior

aurait été coulé par une

troisième équipe de militaires français". Cette information anéantit la thèse officielle, fondée jusqu'alors sur l'impossibilité matérielle des "Turenge" et des hommes de l'Ouvéa d'avoir eux-mêmes saboté le bateau. M. Hernu publie un démenti.

18 septembre : "Je veux savoir", lâche M. Mitterrand

au conseil des ministres.

19 septembre : dans une lettre au premier ministre, le chef de l'Etat, constatant l'inanité des informations transmises

par les militaires, estime que

"le moment est venu

de procéder, sans délai,

aux changements (...)

qu'appellent ces carences".

20 septembre : l'amiral Lacoste est limogé, Charles Hernu démissionne ­ et François Mitterrand lui rend publiquement hommage.

22 septembre : M. Fabius livre, à la télévision, la "cruelle vérité" sur ces "faits graves". Il invoque la responsabilité du ministre

et du chef de la DGSE.

22 novembre : Alain Mafart

et Dominique Prieur sont condamnés à dix ans de prison pour "homicide involontaire". Après un an de détention en Nouvelle-Zélande, un arbitrage international autorise leur transfert sur la base française d'Hao, dans l'archipel

des Tuamotu. Le premier rentrera

en France le 14 décembre 1987,

la seconde le 6 mai 1988.

Tous deux ont publié,

depuis lors, leurs souvenirs.


Vingt ans après les faits, le sabotage du Rainbow-Warrior, le 10 juillet 1985 dans le port d'Auckland (Nouvelle-Zélande), ne recèle plus, à proprement parler, aucun secret d'Etat. L'implication des agents français, le fiasco de la mission après la mort d'un photographe resté à bord et l'arrestation des "faux époux Turenge", la crise gouvernementale qui s'ensuivit, la démission forcée du ministre de la défense, Charles Hernu : tout cela est connu de longue date, recensé dans la chronique du premier septennat de François Mitterrand.

Seule demeure une incertitude cruciale sur l'imbrication des responsabilités ­ question qui peut se formuler ainsi : le chef de l'Etat a-t-il personnellement donné l'ordre, ou au moins son aval, à l'attentat d'Auckland ? Dans ses souvenirs, publiés en 1997 sous le titre Un amiral au secret (éditions Flammarion), l'amiral Lacoste écrit qu'il a vérifié lui-même, le 15 mai 1985, auprès de François Mitterrand, la volonté de celui ci de voir "poursuivre les préparatifs en vue de satisfaire la requête du ministre de la défense".

Dans son mémoire d'avril 1986, ilrapporte l'entretien en ces termes : "J'ai demandé au président s'il m'autorisait à mettre en œuvre le projet de neutralisation que j'avais étudié à la demande de M. Hernu. Il m'a donné son accord en manifestant l'importance qu'il attachait aux essais nucléaires. Je ne suis pas alors entré dans un plus grand détail du projet, l'autorisation était suffisamment explicite."

"STRATÉGIE DU MENSONGE"

Plus loin, l'amiral assure qu'il ne se serait "pas lancé dans une telle opération sans l'autorisation personnelle du présidentd e la République" . D'évidence, la mise en cause de la responsabilité présidentielle ne s'inscrivait pas dans la stratégie politique du commanditaire de cette note. Peu après la victoire de la droite aux élections législatives (le 16 mars 1986) et l'installation de Jacques Chirac à Matignon, c'est le nouveau ministre de la défense, André Giraud, qui avait commandé à l'amiral Lacoste une synthèse écrite de ses souvenirs de l'"affaire". Mais l'exploitation du document contre le président socialiste fut écartée, afin de préserver la cohabitation inédite qui s'engageait alors au sommet de l'Etat.

Il n'empêche : même sobre dans les mots, l'évocation du "feu vert" de M. Mitterrand, dans un document rédigé du vivant de celui-ci et alors qu'il siégeait encore à l'Elysée, déroge nettement aux vérités officielles publiées depuis lors. Au terme d'une longue enquête auprès des protagonistes de l'affaire, Pierre Favier et Michel Martin-Roland, exégètes de La Décennie Mitterrand (Seuil, 1995), ont conclu que le chef de l'Etat "n'a pas donné l'ordre de couler le Rainbow-Warrior " et imputent "cette malencontreuse décision" à "une faiblesse de Charles Hernu face aux pressions des amiraux" . Aux auteurs, l'ancien président a parlé d'une "affaire idiote" , d'une "exécution folle" et d'un " coup monté entre amiraux" .

L'histoire n'est pas allée au-delà. Seul Franz-Olivier Giesbert, dans une réédition augmentée de sa biographie de l'ancien président (François Mitterrand, une vie, Seuil), parue en 1996, a battu en brèche cette thèse, en invoquant, le premier, le rapport de l'amiral Lacoste. Il en citait plusieurs extraits, en lui attribuant une date erronée, celle du 16 avril 1986.

Certes, le compte rendu rédigé alors par l'ancien directeur des services secrets ne forme pas, à lui seul, une preuve incontestable. Sa conversation avec M. Mitterrand eut lieu sans témoin, et son récit n'est pas exempt d'acrimonie. Lui-même révoqué après l'échec de la mission, il dit avoir été "lâché par le gouvernement et par le président". Il certifie néanmoins, au fil des lignes, s'être fondé sur des archives encore disponibles à la DGSE ­ du moins à la date de la rédaction de son rapport ­, ainsi que, parfois, sur des documents personnels qui autorisaient, selon lui, une "restitution parfaitement authentique" et qu'il détient sans doute encore.

La lecture exhaustive de son compte rendu apporte, au demeurant, d'autres éléments convergents : de l'autorisation, donnée par le chef de l'état-major particulier du président, du versement de fonds spéciaux gouvernementaux à la DGSE pour financer l'opération d'Auckland, à l'obsession exprimée par M. Hernu de "couvrir" le président, qui inspira la "stratégie du mensonge" dans laquelle le pouvoir de l'époque s'aventura jusqu'au ridicule.

S'il brosse un portrait sévère de son ministre, en va-t-en-guerre inconséquent qui ne songeait qu'à éprouver la capacité d'"action" de ses services, l'amiral Lacoste exonère Laurent Fabius. "Je pense, écrit-il, que le premier ministre n'a pas été mis au courant de l'opération avant son exécution ." Il lui reproche, toutefois, de l'avoir, par la suite, "chargé au maximum".

Sans gaieté de cœur, il admet que sans " les révélations de la presse", le gouvernement aurait nié jusqu'au bout. Après l'aveu public, dit-il, "mon honneur était sauf". Son débriefing secret fut oublié comme un message jeté à la mer. Ne restait plus, vingt ans après, qu'à ouvrir la bouteille.

Hervé Gattegno
Article paru dans l'édition du 10.07.05
Classez cet article
Recommandez cet article
Imprimez cet article
Envoyez cet article par e-mail