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Égyptologie

À l'école des Scribes

Depuis 1991, la Mission archéologique française de Thèbes-Ouest, en Égypte, fouille le Ramesseum, le temple érigé à la gloire du pharaon Ramsès II. De ses ruines émerge peu à peu la véritable nature de ce « château de millions d'années » : il s'agissait non seulement d'un mémorial, mais aussi d'un centre économique et socioculturel, relais de l'institution royale dans cette province.

 

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Là, des inscriptions au trait hésitant, des dessins encore malhabiles, des sculptures imparfaites… Ici, des jarres étiquetées, des pots, des coupelles… Là encore, des fourneaux, de la vaisselle, des moules à pain… Les fouilles conduites ces dernières années au Ramesseum – temple de Ramsès II érigé sur la rive ouest du Nil, à Thèbes 1 au XIIe siècle avant notre ère – ont livré un impressionnant témoignage de ce qu'était réellement ce « château de millions d'années »2.

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© C. Delhaye/CNRS Photothèque

L'utilisation d'une grue sur le chantier de fouilles étant proscrite, les blocs de pierre sont déplacés à la manière antique, non sur des rondins de bois mais sur des tubes de métal.


Outre le temple, lieu de culte consacré au dieu Amon-Rê et à Ramsès, on y trouvait des entrepôts, des ateliers, des cuisines et des boulangeries, une école… Bref, un ensemble de quartiers économiques et administratifs où travaillaient des fonctionnaires au service du roi. « Il faut se libérer d'un cliché qui a fait des temples de la rive ouest des monuments à vocation simplement funéraire, explique Christian Leblanc, directeur de recherche au CNRS, à la tête de la Mission archéologique française de Thèbes-Ouest (Mafto) et président de l'Association pour la sauvegarde du Ramesseum3.

Il s'agissait, en fait, de véritables satellites de l'institution royale, à la fois conservatoires de la mémoire d'un règne et centres économiques voire socioculturels, sortes de délégations administratives du pouvoir central en milieu provincial ». La cour royale était alors installée à Pi-Ramsès (« le domaine de Ramsès ») dans le Delta oriental, mais pouvait se déplacer dans d'autres villes (Memphis, Thèbes) lors de circonstances particulières.

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© C. Delhaye/CNRS Photothèque

Le colosse de Ramsès II gît sur le seuil de la porte du second pylône, dans l'axe de la travée centrale de la salle constituée de colonnes à chapiteaux ouverts. Haut d'environ 16 mètres, il a été volontairement abattu à l'époque chrétienne (vers la fin du ive siècle de notre ère), sans doute pour des raisons idéologiques.


Le temple, dont il subsiste encore de majestueuses colonnes, des murs et des portiques de pierre, est entouré, sur trois de ses côtés, de bâtiments en brique de terre crue. Certaines toitures voûtées ont même résisté à l'assaut du temps. « La fouille systématique qui s'étend sur près de dix hectares a déjà permis d'identifier plusieurs dépendances à caractère économique », précise Christian Leblanc. Pour l'égyptologue, la plus importante découverte de ces dernières années est sans nul doute l'école, aussi appelée « Maison de Vie », première du genre à être mise au jour. Les élèves devaient en être en priorité des enfants des fonctionnaires du temple et de notables, probablement peu nombreux, car d'autres institutions du même genre fonctionnaient à proximité, dans les autres « temples de millions d'années ». Située dans le secteur sud-est du complexe économico-administratif, elle couvre une superficie de près de sept cents mètres carrés et est constituée de trois unités indépendantes, comprenant chacune des salles et des cellules. L'enseignement devait s'y faire en plein air, comme le suggèrent les nombreux ostraca (tessons de poteries ou éclats de calcaire servant de supports à l'écriture) retrouvés sur le parvis, ainsi que les trous dans le sol qui permettaient d'y dresser un vélum. Les archéologues ont même découvert dans cet espace des jeux qui devaient divertir les élèves après de longues heures consacrées à l'étude. « Nous sommes ici en présence d'une intéressante permanence culturelle, car ces jeux d'adresse, qui ne sont pas sans rappeler les osselets, se pratiquent encore de nos jours dans les villages de l'Égypte rurale », note Christian Leblanc. Sur les ostraca, on peut voir des exercices d'écriture hiéroglyphique, de dessin, de sculpture. « Les élèves apprenaient à écrire et à lire, mais ils étaient également formés à leur futur métier : celui de scribe, qui les destinait parfois aux hautes fonctions de l'administration. C'est dire que l'on enseignait bien d'autres disciplines dans ces établissements scolaires. »

 

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Les scribes, ainsi que tous les autres fonctionnaires et prêtres rattachés au Ramesseum, étaient rétribués en nature pour leurs services. À cet effet, le temple disposait de magasins où étaient stockés les céréales, les graisses, les huiles, le vin, la bière, le miel et bien d'autres produits en provenance des domaines royaux. Les cuisines et les boulangeries, équipées de fourneaux, permettaient de nourrir les dieux vénérés dans le temple, mais aussi les hommes au service de l'institution royale. « Durant les années de prospérité, les magasins du Ramesseum pouvaient contenir assez de denrées pour subvenir aux besoins de plus de trois mille familles ! » indique Christian Leblanc. Le Ramesseum a ainsi été un lieu d'intense activité durant tout le règne de Ramsès II (1279-1212 avant notre ère) et même longtemps après sa mort, probablement jusque vers l'an 1000 avant notre ère. Ce n'est qu'à partir de cette époque que les « châteaux de millions d'années » furent désaffectés. Jusqu'à ce que les archéologues les investissent à nouveau et leur redonnent, aujourd'hui, une sorte de seconde jeunesse.

 

Fabrice Demarthon

Notes :

1. L'actuelle ville de Louqsor, située à près de 750 kilomètres au sud du Caire.
2. Les recherches sont effectuées par la Mission archéologique française de Thèbes-Ouest (du C2RMF, CNRS / Ministère Culture et Communication), en partenariat avec le Conseil suprême des Antiquités de l'Égypte et avec l'aide du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture.
L'Association pour la sauvegarde du Ramesseum permet de financer les travaux de restauration et de valorisation et publie chaque année le bulletin Memnonia. Site : www.asrweb.org

Contact

Christian Leblanc
Mission archéologique française de Thèbes-Ouest, Louqsor, Égypte
ch.leblanc@link.net


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