Placer l’Armée et les forces de Police irakiennes en position de mener elles-mêmes leurs propres opérations est l’objectif auquel tendent les Américains en Irak. Entre mars 2005 et décembre 2006, cette stratégie a accompagné « l’irakisation par le haut » caractérisant le mandat du général CASEY à la tête de la Force MultiNationale-Irak.
Je voudrais prendre deux exemples de telles opérations :
1er exemple: l’opération Spider Web exécutée au début du mois de mars par le 1er bataillon de la 2nde Brigade de la 1ère Division de l’Armée Irakienne dans la zone de SAQLAWIYAH, en banlieue NO de FALLOUJAH (rappelons que si l’ouest de la province d’ANBAR est « nettoyée » dans l’automne et l’hiver 2006/2007, l’est reste globalement dangereux durant l’année 2007).
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Encadré par une Military Transition Team (conseillers militaires américains intégrés dans les unités irakiennes à différents échelons), l’opération a deux objectifs: dénier la zone aux insurgés, et évaluer les capacités de l’unité à opérer seule.
Pour cela, le bataillon irakien choisit une démarche en 4 phases:
- le renseignement de proximité et la visibilité sont obtenues par des patrouilles et le contact avec la population
- la fourniture de soins médicaux aux résidents afin de légitimer la présence de l’Armée et de collecter des renseignements sur la ville.
- la recherche systématique de caches d’armes et la fouille des maisons suspectes commence.
- l’analyse des renseignements collectés en vue de déterminer les cibles des futures arrestations.
En retrait, les conseillers militaires surveillent l’opération et notamment l’application des leçons dans les domaines du comportement. Rappelons en effet que l’Armée irakienne a longtemps été perçue comme une force d’occupation hostile par les habitants sunnites du fait de sa composition majoritairement chiite.
2nd exemple: l’opération Iron Harvest, commencée en janvier dans le cadre de Phantom Phoenix, vise à étendre les zones pacifiées à l’ensemble de la zone de la Division Multinationale-Nord, et plus particulièrement à sécuriser MOSSOUL, la 2nde ville du pays, identifiée comme un objectif critique tant par le 1er ministre Nouri Al-Maliki que par le général PETRAEUS.
La nouveauté tient au fait que les forces irakiennes sont supérieures en effectifs aux unités américaines (le 3ème régiment de cavalerie avec le 1er bataillon du 8ème régiment d’infanterie en soutien): 50 000 membres de l’Armée et de la Police, organisé autour d’un commandement militaire ad hoc.
Les forces irakiennes mènent des opérations de contre-insurrection sur le modèle du Plan de Sécurité de Bagdad, quasiment en autonomes, à deux exceptions près:
PRIMO: les équipes de conseillers militaires encadrent la planification comme les conduites des opérations.
SECUNDO: le 3ème régiment de Cavalerie reste l’unité de pointe pour ce qui concerne la sécurisation des quartiers dans lesquels sont mis en place des avants-postes (COP) et des points de contrôle, les premiers accueillant une population mixte Américains/Irakiens, et les seconds étant presque exclusivement tenus par la Police et l’Armée irakiennes.
Dans ce dernier cas, plusieurs problèmes surgissent:
-problèmes de matériel: les forces irakiennes sont dotées de matériels en mauvais état et ne disposent pas assez de certains effets (gilets pare-éclats).
-problème de logistique: le soutien est essentiellement américain, le Ministère de la Défense irakien peinant à organiser le transport du ravitaillement jusqu’à Mossoul.
-problème de confiance: les forces irakiennes acceptent d’intervenir en 1er échelon si elles se sentent soutenues et couvertes par les unités américaines.
-problèmes institutionnels divers: les rivalités entre la Police Nationale et l’Armée, entre la première et les forces de police locale, entre chefs, entre factions, continuent de miner l’efficacité opérationnelle de la 2nde division irakienne.
Il ne faudrait pas en conclure trop vite que les efforts sont vains:
- l’essentiel, à savoir « donner un visage irakien » à la contre-insurrection, est acquis. Sans compter que les progrès accomplis, notamment dans la génération des forces et leur préparation opérationnelle, sont importants (une réforme du LTG DUBIK, commandant le Multinational Security Transition Command-Iraq, fonde l’ensemble sur un cycle de 5 semaines: campagne de recrutement de 5 semaines, puis à l’issue formation sur 5 semaines; l’avantage étant d’avoir des unités dont la cohésion repose sur l’entrainement reçu plutôt que sur les liens tribaux comme c’était le cas lorsque chaque nouvelle recrue était individuellement affectée à une unité déjà existante).
- la montée en puissance de ces forces prend du temps. En dépit de leur réelle valeur ajoutée, il leur faut du temps pour atteindre l’efficacité, d’autant que celle-ci est définie selon des standards occidentaux (sur le plan opérationnel comme sur le plan éthique). De profondes résistances culturelles sont probables, même si, l’Armée irakienne ayant été dissoute en mai 2003, il s’agit d’une refondation à partir de rien.
- les rivalités internes et la dépendance vis à vis des Américains sont des données propres à l’Irak d’aujourd’hui. Elles se résorberont pour peu que des progrès soient accomplis dans la réconciliation nationale et dans la reconnaissance de la légitimité du gouvernement central. Là comme dans tellement d’autres domaines, le facteur politique est la clé de la réussite non seulement de la contre-insurrection, mais aussi de la normalisation tant espérée.
mise à jour: Evidemment, nous sommes ici dans une phase de transition entre deux pôles. Le premier a vu les Américains être les seuls exécutants ou presque (depuis 2003), le second est l’état final recherché, à savoir les unités irakiennes seules. Le rôle des MiTT est crucial, puisqu’ils jouent trois rôles plus ou moins formels:
-assurer la coordination avec les moyens d’appui américains.
-encadrer les officiers et les sous-officiers irakiens de manière (le rôle de conseil étant délicat: bien souvent, il s’agit de leur « mâcher » le travail sur la planification. En revanche, la conduite des opérations est plus autonomes).
-évaluer l’état de préparation et d’efficacité des unités irakiennes.
En ce sens, le cas de MOSSOUL est symptomatique du passage graduel vers le second pôle et marque une étape importante, en dépit des problèmes qui perdurent, problèmes structurels essentiellement (comme l’absentéisme important au sein des forces irakiennes, la règle nationale étant 1 semaine de permission pour 2 semaines de service en campagne).
mise à jour 2: Il me semble important d’apporter un éclairage historique sur ce type de transition. Le modèle d’unités indigènes encadrées par des occidentaux est ancien et remonte (pour sa version contemporaine) aux armées coloniales françaises et anglaises principalement. Je cite un exemple pour montrer comment le passage vers des unités entièrement autonomes a été rendu possible. En Indochine, l’unité dont mon escadron a hérité des traditions comportait essentiellement du personnel métropolitain lors de sa création en tant qu’unité de vedettes fluviales en 1950. L’année suivante, la proportion d’Indochinois (provenant surtout des minorités mais aussi quelques Vietnamiens) dépassait celle des Européens, ceux-ci formant les cadres. Ce processus s’accélérait dans les 3 années suivantes jusqu’à ce que l’unité soit entièrement transférée à la nouvelle Armée de la République du Vietnam (du Sud) en septembre 1954. La différence avec le cas irakien tient dans le fait que l’unité dont je viens de parler était originairement française. Cette différence est toutefois moins grande que l’on pourrait le penser car après tout les unités irakiennes ont été formées de toute pièce à partir de rien.