Cinéma

A la Une > Cinéma

Ombres et lumières sur la Mostra de Venise

LEMONDE pour Le Monde.fr | 12.09.10 | 07h52  •  Mis à jour le 13.09.10 | 15h58

 

La réalisatrice Sofia Coppola pose devant les photographes, après avoir reçu le Lion d'or, la plus prestigieuse récompense de la Mostra, pour son film "Somewhere".

La réalisatrice Sofia Coppola pose devant les photographes, après avoir reçu le Lion d'or, la plus prestigieuse récompense de la Mostra, pour son film "Somewhere".AFP/ALBERTO PIZZOLI

Avec le prestigieux Lion d'or décerné à Somewhere, quatrième long métrage de la réalisatrice américaine Sofia Coppola, le rideau tombe sur la 67e Mostra internationale d'art cinématographique de Venise. Ce fut une remarquable édition, sans doute la plus belle et la plus intelligemment menée par Marco Müller, son directeur artistique depuis 2004.

A quelques heures de la cérémonie de clôture, samedi soir 11 septembre, les festivaliers, entretenant la plaisante comparaison entre ces deux éternels rivaux que sont les festivals de Cannes et de Venise, se demandaient encore si le palmarès vénitien, sous l'égide du jury présidé par Quentin Tarantino, serait aussi échevelé que son équivalent cannois. Tim Burton et ses collègues avaient, notamment, décerné la Palme d'or à l'étrangeté radicale d'Oncle Boonmee du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul.

La réponse est non. Rien de scandaleux là-dedans, tout palmarès pouvant se commenter et se contester à l'infini au gré du point de vue. Mais il y avait sans doute mieux à faire dans chacune des catégories récompensées. Les films les plus impressionnants de cette compétition – La Vénus noire du Français Abdellatif Kechiche, Post Mortem du chilien Pablo Lorrain, Detective Dee and the mystery of the phantom flame du Chinois Tsui Hark – repartent nus. Des œuvres aux répercussions politiques majeures – Le Fossé du Chinois Wang bing, Noi Credevamo de l'Italien Mario Martone – passent inaperçues.

PRIME À L'ESTHÉTISME

Mentionnons à titre plus anecdotique le scandale que ne devrait pas manquer de déclencher la presse italienne sur l'absence au palmarès d'un seul de ses quatre champions nationaux en compétition (les films français ne sont au demeurant pas mieux lotis). Mais au moins le choix de ce jury, parmi lequel figuraient les réalisateurs Arnaud Desplechin et Gabriele Salvatores, est-il lisible : on s'y est accordé à primer le geste esthétique, qui court toujours le risque, on le sait, du pur exercice de style.

Somewhere, chronique douce-amère de la société du spectacle mettant en scène un acteur hollywoodien en plein délitement professionnel et intime, se caractérise par son minimalisme sophistiqué. Sofia Coppola a avoué avoir été influencé, ce qui n'est pas rien, "à la fois par Godard et Chantal Akerman", tout en dédiant ce Lion à son père, Francis Ford, qui lui " a appris le cinéma". Une belle famille cinématographique mais aussi une sensibilité féminine (Virgin Suicides, Lost in Translation, Marie-Antoinette) sont en tous cas récompensés.

Deux films cumulent à eux seuls quatre statuettes. Ils ajoutent au brio de la réalisation le goût de l'incorrection politique, qui n'équivaut pas nécessairement à la justesse du point de vue. Prix de la mise en scène et du scénario, Balada triste de trompeta de l'Espagnol Alex de la Iglesia, cinéaste de genre cultivant la démesure baroque, dépeint la lutte à mort de deux clowns pour une belle ballerine. Le film renvoie dos-à-dos, sous les auspices de la monstruosité, bourreaux et victimes d'une guerre civile dont les comptes ne sont pas encore apurés. Le Prix spécial du jury et celui d'interprétation masculine (accordé à Vincent Gallo, qui a boudé cette cérémonie comme auparavant toutes les occasions de rencontrer le public) va à Essential killing, du vétéran Polonais Jerzy Skolimowski. Ces deux prix récompensent, certes, une mise en scène virtuose et haletante, mais aussi bien la traque aphasique d'un combattant de l'islam assez péremptoirement transformée en passion christique.

En distinguant cette esthétique du désenchantement politique et du flou moral, le jury aura d'une certaine manière témoigné de l'incertitude des temps présents. On avait connu un Quentin Tarantino plus déterminé, quoiqu'aussi discutable sur ses priorités artistiques, lorsqu'il décerna en 1994, comme président du jury du festival de Cannes, la Palme d'or au documentaire Farhenheit 9/11 de Michael Moore.

UN AVENIR INCERTAIN

L'incertitude qui imprègne ce palmarès vaut enfin pour une Mostra qui se partage entre l'ombre et la lumière. La lumière est venue cette année d'une sélection stimulante, inspirée et éclectique, conjuguant une compétition de très bonne tenue à la transformation de la section parallèle officielle (Orizzonti) en laboratoire de recherche esthétique tous azimuts. Le côté sombre, hélas, est connu. Vétusté des installations, coût rédhibitoire de l'hébergement, absence d'infrastructures permettant à un véritable marché du film d'être opérationnel. Cette logistique défaillante, due à une politique culturelle depuis longtemps en repli – sous des gouvernements de droite comme de gauche –fait de la Mostra un géant qui ne marcherait que sur une jambe.

A l'heure où ses grands concurrents multiplient les passerelles entre la création et l'économie (marchés du film, structures de formation, bourses au développement des films, ateliers de production…), cette indifférence aux enjeux du temps n'est pas dénuée de panache, mais elle très risquée eu égard à la double nature, artistique et industrielle, du cinéma. Le grand bénéficiaire de cette lacune est l'hypermoderne festival de Toronto, devenu une plaque tournante pour les professionnels, positionnée de manière désormais irréversible sur les plates-bandes de la Mostra.

Nul ne sait, en d'autres termes, ce que l'avenir réserve à ce beau et prestigieux festival. D'autant que le proche avenir est lui aussi empli d'incertitudes, avec les travaux du nouveau palais qui ont d'ores et déjà pris un an de retard (ouverture prévue en 2012) et l'expiration en 2011 du mandat de son actuel directeur artistique, Marco Müller, après huit ans d'un exercice de force qui aura malgré tout permis à la Mostra de conserver sa qualité artistique et son aura internationale.

Jacques Mandelbaum

Palmarès

Lion d'or : Somewhere de Sofia Coppola (Etats-Unis)

Prix de la mise en scène : Balada triste de trompeta d'Alex de la Iglesia (Espagne)

Prix spécial du jury : Essential killing de Jerzy Skolomowski (Pologne)

Prix d'interprétation féminine : Ariane Lebed dans Attenberg d'Athina Rachel Tsangari (Grèce)

Prix d'interprétation masculine : Vincent Gallo dans Essential killing de Jerzy Skolomowski (Pologne)

Prix du scénario : Balada triste de trompeta d'Alex de la Iglesia (Espagne)

Prix technique de la meilleure photographie : Mikhail Krichman pour Silent Souls d'Aleksei Fedorchanko (Russie)

Prix du jeune talent : Mila Kuni dans Black Swan de Darren Aronovsky (Etats-Unis) Prix à la carrière : Monte Hellman (Etats-Unis)

Meilleur premier film : Majority de Seren Yüce (Turquie), concourant dans la sélection parallèle Venice days - Les Journées des auteurs

Prix Orizzonti : Verano de Goliat de Nicolas Pereda (Canada - Mexique)

 

Vos réactions (2)

 

La réaction aux articles est réservée aux abonnés du Monde.fr

Réagissez

 
  • Patrice Ramain 12/09/10 - 12h21

     Aux lecteurs de ce papier, allez lire dans "Le Temps" (Suisse) de ce même jour la chronique consacré à ce palmarès... Vous avez lu ? Edifiant, n'est-il pas... Répondre


  • JMG 12/09/10 - 10h44

     Un jury présidé par Quentin Tarantino... ex compagnon de vie de Sofia (2004). Cela n'a t-il pas influencé le jury dans son choix ? Répondre


 

Réagissez

D'accord, pas d'accord ?
Réagissez aux articles du Monde.fr
Pour réagir, devenez abonné au Monde.fr pour seulement
15€/ mois + 1 mois offert

Abonnez-vous

Déjà abonné ?

Identifiants oubliés ?