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"La Bella Gente (Les Gens bien)" : idéaux bafoués

LEMONDE pour Le Monde.fr | 15.02.11 | 16h36

 

Victoria Larchenko dans le film italien d'Ivano de Matteo, "La Bella Gente (Les Gens bien)" ("La Bella Gente").

Victoria Larchenko dans le film italien d'Ivano de Matteo, "La Bella Gente (Les Gens bien)" ("La Bella Gente").BELLISSIMA FILMS

On reproche suffisamment aux prêcheurs de bons sentiments de ne pas passer à l'acte ! Comment ne pas être touché par l'altruisme de cette belle Susanna, séduisante cinquantenaire, qui gagne sa vie comme psychologue dans un centre d'aide aux femmes battues, et que le sort d'une jeune prostituée croisée sur la route qui mène à sa maison de campagne bouleverse.

Elle a vu la gamine en mini jupe humiliée et frappée par un homme, elle décide de l'extirper des griffes des mâles qui l'oppriment, la kidnappe et la convainc de rester cachée chez elle, le temps de la mettre sur les rails d'une nouvelle vie.

Susanna appartient à la bourgeoisie romaine. Elle est l'héritière des idéaux fraternels et sociaux de 1968 (c'est à l'université, au temps du gauchisme, qu'elle a rencontré Alfredo, devenu un mari aimant et aimé, architecte), elle est choquée par ce couple d'amis et voisins qui incarnent un matérialisme égoïste, pratiquent une liberté sexuelle de vaudeville. Sa morale la pousse à ne pas se bander les yeux, sa conscience lui guide de pratiquer une charité laïque quotidienne.

Nadja l'ukrainienne se retrouve donc hébergée, rhabillée, choyée, traitée comme une petite sœur. "Le pire, disait le journaliste burkinabé Norberto Zongo, ce n'est pas la méchanceté des gens mauvais, c'est le silence des gens bien". Et Bertrand Russell se méfiait des humanistes qui pensent à leur bien-être d'abord.

Susanna qui sait protester et agir contre les injustices est-elle de ceux qui redorent le blason des gens qui ont des qualités morales, des valeurs, et le prouvent ?

Ce film rythmé comme une tragi-comédie naturaliste entend démontrer le contraire, comme Mike Leigh récemment dans Another Year, ou Ettore Scola il y a trente ans dans La Terrasse, chronique des idéaux bafoués d'une génération.

Le militantisme a ses limites. Pour Alfredo qui ne consent à satisfaire ce qu'il considère comme un caprice de sa femme que pour ne pas la contrarier. Pour Susanna elle-même qui cache sa protégée à ses relations, la fait passer pour la fille d'un ami, et finit par la prendre en grippe lorsque son propre fils montre qu'il n'est pas insensible à ses charmes. Le masque tombe.

Les Gens bien épie alors le retour du refoulé bourgeois, l'instinct réflexe des préjugés, les stigmates d'un rejet. Après avoir été, tel l'ange de Théorème de Pasolini, le révélateur de la vraie nature d'une famille "de gauche", Nadja devient passe virtuelle pour le libidineux voisin, symbole méprisable d'une classe inférieure pour la belle-fille snob, proie récréative pour le fils, instrument de scène de ménage pour le couple, bouc émissaire pour la mère qui, insensiblement, va la traiter comme une domestique, lui reprocher son manque de gratitude, avant de retourner sa veste.

Ivano de Matteo raconte sans flonflons cette histoire d'hypocrite lutte de classes, démonstration à la façon des maîtres transalpins d'hier (Risi, Comencini...) de l'impossibilité pour un corps étranger de s'immiscer dans le petit monde bourgeois.

Grand prix au Festival d'Annecy en 2009, Les Gens bien souffre ici et là de choix de mise en scène gamins (une fleur en premier plan, zoom sur une vitrine reflétant une voiture), mais bénéficie de comédiens épatants, au premier rang desquels une inconnue en France : Monica Guerritore.

LA BANDE-ANNONCE (avec Preview Networks)


Film italien d'Ivano de Matteo avec Monica Guerritore, Antonio Catania, Iaia Forte, Victoria Larchenko, Elio Germano. (1 h 38.)

Jean-Luc Douin

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