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Fragments de cinéma disparates à la Berlinale

LEMONDE | 19.02.11 | 13h23  •  Mis à jour le 21.02.11 | 09h32

 

Berlin Envoyé spécial - Dans la soirée du samedi 19 février, on saura à quel film le jury de la 61e Berlinale, présidé par Isabella Rossellini, aura décerné l'Ours d'or. Chez les festivaliers, journalistes ou professionnels, le choix est presque unanime : le film O Torinoi lo, (Le Cheval de Turin) du Hongrois Bela Tarr dépasse ses quinze concurrents de la tête et de l'encolure. C'est le signe de la maîtrise d'un artiste qui pratique le cinéma comme une ascèse. C'est aussi le signe que, dans le grand désordre qui a régné en ce festival, les masses cinéphiles se sont tournées vers la seule valeur sûre qui s'est présentée à leurs yeux.

Ce désordre a quelque chose de proprement berlinois. Cette 61e Berlinale, organisée du 10 au 20 février, est la dixième placée sous la direction de Dieter Kosslick, grand défenseur de l'éclectisme, quitte à ce que la sélection de films frise l'aberration. Pour l'instant, les professionnels et le public n'en ont cure. L' European Film Market qui se tient pendant le festival a rassemblé 4 000 acheteurs et vendeurs qui n'ont pas chômé (parmi les films en chantier proposés, The Grandmasters, de Wong Kar-waï, On the Road, de Walter Salles). Deux jours avant la clôture, 300 000 billets avaient été vendus.

La tendance berlinoise à l'hétérogénéité est une version exacerbée de celle qui affecte le cinéma : on ne sait plus bien ce qu'est un film. Comme Cannes en 2010 avec Carlos, la Berlinale proposait un certain nombre de fictions produites pour la télévision (E-Love, de la Française Anne Villacèque, Toast, de l'Anglaise S. J . Clarkson, les trois films de Dreileblen réalisés pour la chaîne ARD par les Allemands Christoph Hochhaüsler, Christian Petzold et Dominik Graf).

On pouvait aussi voir des projets manifestement destinés aux institutions vouées à l'art contemporain (Terrorists, un film thaïlandais mêlant pornographie gay et rhétorique révolutionnaire) tout comme on distinguait entre les films voués à l'exploitation commerciale (le pâle thriller Sans identité) et ceux qui ne sortiront jamais du circuit des festivals (la liste est trop longue).

La vocation des grands festivals internationaux est de fournir une carte permettant d'explorer ce monde mouvant et faire circuler les films entre ces catégories. La tâche est de plus en plus difficile, et en 2011, Berlin n'a pu proposer que des fragments de cinéma disparates. Le plus beau d'entre eux était donc ce Cheval de Turin, qui emprunte son titre à l'animal qui déclencha chez Friedrich Nietzsche la crise qui le fit basculer dans la démence.

C'est ce qu'explique l'exergue de ce long (deux heures et demie) film, fait de longs plans en noir et blanc. Mais on ne verra pas de philosophe, seulement un cheval fourbu, un vieil homme et une jeune femme, isolés dans une ferme battue par le vent. Divisé en six journées, le film est une genèse à rebours qui marche vers les ténèbres. Bela Tarr demande beaucoup à ses spectateurs, leur donne avec la parcimonie d'un célébrant qui n'a pas confiance en ses paroissiens. Ceux qui se plient à son ascèse trouveront une consolation dans la grâce des mouvements de caméra, dans la physionomie extraordinaire des comédiens (on dirait que Bela Tarr a pris Albrecht Dürer comme directeur de casting) avec, au bout, comme récompense, une leçon de métaphysique délivrée ex camera.

Il faut toutefois convenir que ce type de cinéma n'est pas le plus répandu entre les multiplexes de la Potsdamer Platz et les salles staliniennes de Berlin-Est comme l'International (le Zoo Palast, la salle historique du temps de la guerre froide est fermée jusqu'en 2013 pour rénovation). Ici, les sélectionneurs aiment les films à sujet, souvent pour le pire, parfois pour le meilleur. V Subbotu (un samedi) d'Alexandre Mindadze a été présenté en compétition deux mois avant le vingt-cinquième anniversaire du samedi en question, le 26 avril 1986. Ce film russe à la forme très libre (le directeur de la photographie, Oleg Mutu, est celui de 4 mois, 3 semaines, 2 jours) raconte la journée d'un petit apparatchik de Prypiat à partir du moment où il apprend que le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl a pris feu.

Intense, baigné de musique (le rock de la perestroïka) et de vodka, V Subbotu était l'un des rares films - avec Une séparation, de l'Iranien Asghar Farhadi (Le Monde du 18 février) - à se hisser au niveau de la compétition d'un grand festival. On peut aussi mentionner l'un des deux films allemands, La Maladie du sommeil, d'Ulrich Kohler. Tourné essentiellement en français, au Cameroun, ce récit en deux parties porte un regard d'une justesse sans merci sur les vicissitudes de l'aide au développement, à travers deux personnages de médecins, l'un allemand, qui ne parvient plus à quitter l'Afrique, l'autre Français d'origine congolaise, chargé par l'OMS d'évaluer le travail du premier.

Dans les sections parallèles de la Berlinale, le Panorama, le Forum et Perspektive Deutsches Kino (perspectives du cinéma allemand), les documentaires ont volé la vedette aux oeuvres de fiction. A commencer par le Khodorkovsky de Cyril Tuschi (Allemagne), remarquable travail d'investigation autour de la figure du milliardaire russe emprisonné en Sibérie. Le vol, quelques jours avant sa projection, de la copie de ce film, qui n'est pourtant pas un panégyrique de l'homme que Vladimir Poutine aime haïr, a ramené le festival au temps du mur et de la guerre froide.

Thomas Sotinel Article paru dans l'édition du 20.02.11
 

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Vos réactions (1)

 

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  • david perez-ilzarbe 14h28

     D´une certaine manière,le cinema est prisonnier de l´actualité.Et autrement être le miroir du désordre,qui reigne à quelques ordres différents:les sociaux, les artistiques et je me démande: vitaux? Répondre


 

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