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Pierre-Ange Le Pogam : "Luc Besson est dans une stratégie personnelle"

LEMONDE | 09.03.11 | 14h44  •  Mis à jour le 09.03.11 | 14h44

 

C'est le couple à succès du cinéma en France et il vient de rompre dans la douleur. Pendant près de trente ans, Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam ne se sont pas quittés. D'abord chez Gaumont où ils ont concocté le triomphe du Grand Bleu (1988) et d'autres films de Besson - Nikita, Léon, Le Cinquième Elément...

En 2000, le tandem crée EuropaCorp et invente en France le studio à l'américaine avec Taxi, Le Transporteur, de Louis Leterrier, la série "Arthur". A côté de ces films d'action, Pierre-Ange Le Pogam a donné une image culturelle au studio, en coproduisant ou en distribuant Quand j'étais chanteur et A l'origine, de Xavier Giannoli, Trois enterrements, de Tommy Lee Jones, Ne le dis à personne et Les Petits Mouchoirs, de Guillaume Canet. Il a aussi acheté pour la France Tree of Life, de Terrence Malick, avec Brad Pitt et Sean Penn, qui pourrait être présenté au prochain Festival de Cannes. EuropaCorp a licencié Pierre-Ange Le Pogam en février, pour "faute lourde". Il s'exprime pour la première fois sur son départ.

Pourquoi quitter Luc Besson ?

Nous étions des amis de trente ans, des vrais. Je suis admiratif de son talent. Je revois la soirée de Noël 1984. La conversation démarre sur Subway, et je le persuade qu'il faut reporter la sortie en salles à avril 1985. Le dîner se finit sur une idée qu'il a en tête : les exploits de Jacques Mayol, le premier plongeur à descendre 100 mètres sous l'eau. Il me raconte ce que sera Le Grand Bleu, et je lui dis : "Génial ! Fonce !" Nous étions complémentaires pour réaliser nos rêves. Il sait que j'ai tout fait pour optimiser ses films, et que je l'ai amené à produire d'autres cinéastes. Et puis une rivalité s'est installée. Nous n'avons pas le potentiel pour finir comme deux vieux sages.

Votre relation s'est dégradée ?

A cause d'un troisième homme. Nous cherchions en juillet 2010 un directeur général. Luc sort le nom de Christophe Lambert. Il vient de la publicité, a travaillé pour l'UMP, il est proche de Nicolas Sarkozy. Il a surtout la réputation d'être brutal. Ce n'est pas ma culture. Luc me dit : "Fais-moi confiance !" Il détient 62 % d'EuropaCorp, moi 8 %. Il est le patron. Je joue le jeu.

Mais très vite, je vois que Luc est dans une stratégie personnelle. Il digère mal les mauvais résultats des deux derniers "Arthur" et ceux moyens d'Adèle Blanc-Sec. Il veut sa revanche. En octobre 2010, alors qu'il est en Thaïlande pour tourner The Lady, un film consacré au Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, il a déjà en tête le plus gros film de science-fiction jamais réalisé en France. Il veut le faire dans les studios de la Cité du cinéma, à Saint-Denis, qu'EuropaCorp doit ouvrir en 2012. Pour mener à bien tout cela, il a confié les clés de l'entreprise à Christophe Lambert.

Luc Besson l'a-t-il choisi pour le remercier d'avoir fait jouer ses relations à l'Elysée afin que la Caisse des dépôts finance le projet de Cité du cinéma ?

A l'époque où Christophe Lambert était directeur de Frontline, la holding de Luc, il a fait en sorte que le projet Saint-Denis soit bouclé. A EuropaCorp, il a aussi embauché Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy. Mais ce qui me préoccupe, à l'automne, ce n'est pas ça. C'est la gestion d'EuropaCorp. Les signaux sont alors inquiétants.

Lesquels ?

Quantité de décisions sont prises sans que je sois au courant, par exemple sur la relance du projet d'un complexe de salles à Marseille. Il faut aussi réduire les frais généraux, et ce n'est pas le cas. Les studios de Saint-Denis devaient être financés sans nous, et finalement EuropaCorp met la main à la poche et se porte caution. Et puis je supporte mal le défilé de collaborateurs, dépités par le climat de terreur. Certains sont poussés à partir, des administrateurs démissionnent. On parle de moins en moins des films, de plus en plus de stratégie de marques.

Je suis choqué aussi par ce qui se passe pour les trois films dont je m'occupe alors : L'homme qui voulait vivre sa vie, d'Eric Lartigau, que j'ai produit, Un Balcon sur la mer, de Nicole Garcia, et Les Petits Mouchoirs, de Guillaume Canet, tous deux produits par Alain Attal. Ces beaux films sont sortis avec d'énormes difficultés et sans plaisir partagé avec Luc. Les artistes me demandaient : "C'est quoi le problème ?" Ce sont pourtant des films qui ont très bien marché. Les Petits Mouchoirs, avec 5,5 millions d'entrées, a été le plus gros score réalisé par un film français en 2010.

Alors pendant des semaines, une question tourne dans ma tête : pourquoi continuer à faire ce cinéma que j'aime avec des gens qui ont l'air de vouloir m'emmerder ?

La situation n'était-elle pas devenue ingérable entre les films de Besson ou les franchises à succès comme "Taxi", et les films que vous avez promus ?

Nous avions un pacte avec Luc : faire coexister des films d'action et d'autres plus d'auteurs, en cherchant à ce que tous soient rentables. C'est ma conception du cinéma. Adolescent, je voyais avec autant de plaisir, le même jour, le dernier Belmondo et La Terre de la grande promesse, de Wajda. Au sein d'EuropaCorp, on a produit Taken, de Pierre Morel, 145 millions de dollars de box-office rien qu'aux Etats-Unis, et on a coproduit et distribué Villa Amalia, de Benoît Jacquot. Luc suivait.

Mais quelque chose a changé. Comme si le fait que je sois en contact avec des cinéastes, chaînes de télévision, distributeurs américains, gênait notre cohabitation. Luc s'est-il senti en danger ? C'est possible. J'ai pourtant toujours respecté son talent.

Dans "Le Film français", Besson juge "inacceptable" que vous ayez évoqué votre départ alors qu'il tournait en Thaïlande.

Pour des raisons personnelles, je ne pouvais pas le rejoindre pour qu'on se parle. Le 1er novembre 2010, je l'informe par mail que j'envisage de démissionner de ma fonction d'administrateur. Je ne veux pas quitter l'entreprise mais me mettre en retrait. Je veux provoquer la réflexion. Je lui propose de m'appeler, ce qu'il ne fait pas, et je finis par démissionner le 26 novembre. Je le connais par coeur. S'il avait voulu résoudre le problème, il m'aurait rappelé tout de suite. Quand on se voit en décembre, je comprends qu'on ne parle plus le même langage. Je dois partir, et on se met d'accord sur début février 2011. Mais les négociations de séparation sont lentes. Quand mon départ est révélé sur Internet, tout devient très violent.

C'est-à-dire ?

Je n'aurais pas pu imaginer des procédés aussi ignobles. Je suis accusé de trahir, de dénigrer l'entreprise que j'ai cocréée. On me reproche d'avoir organisé la fuite au sujet de mon départ pour affaiblir EuropaCorp et pouvoir mieux monter une entreprise concurrente. Luc en arrive à dire que je n'avais plus de responsabilités opérationnelles depuis six mois. C'est loufoque et triste. Sait-il que dans le métier personne ne le croit ? Le 27 janvier au soir, quand je quitte mon bureau avec deux camions pour récupérer mes affaires, quatre cartons sont bloqués par Christophe Lambert et Emmanuelle Mignon. Je leur dis : "Allez-y ! Fouillez !" Ils sont partis. Je me croyais dans un film.

Pourquoi avoir cédé, fin février, vos 8 % dans EuropaCorp ?

J'ai repris ma liberté. Je vais pouvoir me consacrer à nouveau à ce que j'aime faire : produire, coproduire et distribuer des films de qualité. J'ai quatre projets en tête, et j'organise actuellement le financement de ma nouvelle société.

Ferez-vous un procès ?

Je ne vais pas en rester là, mais je préfère me donner le temps de la réflexion.

Propos recueillis par Michel Guerrin Article paru dans l'édition du 10.03.11

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  • ludovic-iochem ludovic-iochem 13h29

     Je suis vraiment desole, j'aimerais verser ma petite larme, mais j'ai vraiment du mal a m'apitoyer sur son sort. Répondre


  • jean-claude-p 10/03/11 - 13h39

     En 1974, quand est sorti "La Terre de la grande promesse" de Wajda, le dernier Belmondo, c'était "Stavisky" de Resnais. Pas si mal! Répondre


  • gilles-ch 09/03/11 - 22h40

     ... Bref, Besson sarkozyste, ça ne me surprend pas non plus ! Répondre


  • gilles-ch 09/03/11 - 22h39

     Besson brutal et pas du genre humaniste, je ne sais pas pourquoi, mais ça ne me surprend pas vraiment... Répondre


 

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