12 mars 2011

Les deux responsables de la sécurité de la marque au losange sont sur la sellette. Les policiers leur demandent de dévoiler leur source. Éternel problème ! Sont-ils tenus au secret professionnel ? Pour la Commission nationale de déontologie et de la sécurité, cela ne fait aucun doute. Dans un avis publié en 2009, elle a relevé que derapage.jpg« l’obligation de respecter le secret professionnel constitue le socle même de la déontologie des enquêteurs de droit privé ». Oui, mais les deux intéressés ne sont pas des enquêteurs privés. Ils sont salariés de Renault, et dans la mesure où leur direction leur demande de révéler le nom de leur contact, on ne voit guère comment ils pourraient se retrancher derrière le secret professionnel. D’autant qu’ils sont soupçonnés d’escroquerie. Et que leur silence ne pourrait que renforcer les présomptions à leur égard.

Si donc, il ne s’agissait pas d’une affaire d’espionnage, mais d’une ténébreuse magouille destinée à arnaquer notre constructeur..

Il y a d’abord une simple constatation: la plupart des chefs d’entreprise, grosse ou petite, sont complètement largués dès qu’on leur parle d’espionnage ou de sécurité. Et l’on constate souvent deux réactions opposées, de la dénégation à la paranoïa. Et la paranoïa, c’est bien connu, constitue le terrain de chasse favori des escrocs de toutes catégories. Ghosn verrait-il des fantômes partout ?

Renault aurait versé au moins 250 000 € pour obtenir des informations sur les trois « espions à la solde des Chinois », autrement appelés « Les rois mages », en raison de Balthazard, le nom de l’un d’entre eux. Mais, pour boucler le dossier, le mystérieux enquêteur chargé de retrouver la trace des comptes bancaires en Suisse ou au Liechtenstein aurait demandé une petite rallonge d’environ un million. Peu importe le montant. Question : S’agit-il d’argent liquide ? Si, oui, d’où provient cette somme ? On ne peut évidemment envisager qu’une entreprise dont l’État est actionnaire se risquerait à manipuler des fonds qui auraient échappé à l’œil vigilant des commissaires aux comptes !

Pourtant, pas facile de faire un chèque à un indic… En fait, le financement est le nœud de l’histoire. La question se pose pour toutes les entreprises qui demandent une enquête sur des salariés : comment concilier une écriture comptable et l’anonymat ? Raison pour laquelle, il n’est pas inhabituel d’avoir recours au subterfuge qui consiste à facturer un service qui ne correspond pas au service réellement effectué. Et cela est d’autant plus aisé si le prestataire possède un point de chute à l’étranger. Ainsi, d’après Le Monde, Renault aurait fait appel à un enquêteur de la société privée de renseignements Geos, dont le président est un général à la retraite, qui a la particularité d’avoir une succursale à Hydra, en Algérie. Pays où le constructeur cherche à s’implanter.

Ici, une parenthèse est nécessaire. Depuis une vingtaine d’années, plusieurs entreprises françaises spécialisées en sécurité se sont installées en Algérie, d’une façon un peu parallèle, d’ailleurs, puisque le gouvernement algérien affirme n’avoir fourni aucune habilitation pour ce type d’activité. Il s’agit donc probablement de sociétés de droit algérien, créées pour la circonstance. Depuis la menace d’Al-Qaida au Maghreb Islamique, leur action s’est intensifiée. On dit que certaines d’entre elles seraient intervenues pour négocier le paiement de rançons, lors de prises d’otage.

Tout ça, on ne le répétera jamais assez, c’est la faute à Besson. C’est la visite du ministre qui a fait paniquer la haute direction de Renault. Les suspects ont été remerciés avant que le grand homme ne débarque. Trop tôt, d’après le service de sécurité. Pas content le ministre d’apprendre ensuite par la presse qu’il avait posé le pied sur un nid d’espions. Ce qui ne l’a pas empêché de parler de « guerre économique », en lorgnant vers l’est. Mais les deux ou trois étourneaux de son entourage qui ont désigné la Chine comme étant le commanditaire ont vite été prié de rengainer, car Renault, c’est Nissan. Et Nissan, c’est un million de voitures en Chine. On ne rigole pas avec le business, même jaune.

Alors, que faut-il penser de tout ça ? Il y a trois hypothèses. Soit les responsables du service de sécurité se sont fait surprendre les doigts dans le pot de confiture, et dans ce cas, il faut chercher si c’est la première fois. Soit, ils se sont fait rouler dans la farine par de petits margoulins, et alors, il faut les virer rapidement. Soit, mais on n’ose plus trop le dire, l’affaire est sérieuse. Et si l’espionnage de nos voitures électriques ressemble trop à une BD pour être crédible, une tentative de déstabilisation de l’entreprise n’est pas invraisemblable. Et là, on serait véritablement les spectateurs d’une guerre économique. On le saura bientôt. Si Carlos Ghosn était amené à démissionner, cela voudrait dire que ceux qui tirent les ficelles auraient gagné…

Mais une question nous taraude tous : comment des professionnels expérimentés, un ancien de la police financière et un ancien de la sécurité militaire, n’ont-ils pas eu le réflexe de prendre contact avec la DCRI ? Au premier doute, ils auraient dû décrocher le téléphone et en parler à leur correspondant. Mais ont-ils un correspondant ? Avec ses moyens humains et ses idefix.1299940425.jpgservices techniques sophistiqués, la DCRI aurait pu se livrer à une enquête discrète, avec de fortes chances de remonter à la source.

Je ne vois qu’une explication : certains grands patrons n’ont nullement envie de voir des policiers mettre le nez dans leurs affaires. Auraient-ils des choses à cacher ? En tout cas, pour Renault, c’est raté.

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Commentaires

  1. Ce n’est pas la faute de Besson. Le gouvernement actuel n’est quand même pas responsable de tous les maux de la terre!
    Les patrons de Renault sont responsables de leurs actes, ou alors je ne vois pas à quoi ils servent. Surtout qu’ils doivent gagner un peu plus que le SMIC.
    Bref, leurs salaires indécents donnent une obligation de responsabilité.

  2. “Il y a d’abord une simple CONSTATATION” et non contestation (sans doute en écrivant aviez-vous en tête la vigoureuse protestation de leur innocence opposée par les trois cadres protagonistes…).

    Réponse : Oui, sans doute… Merci bien. GM

  3. Bonjour,

    Votre article a le mérite de brasser pas mal d’hypothèses avec un certain sarcasme plutôt agréable à lire.

    Mais vous faites de trop nombreux raccourcis. Nissan, ce n’est pas Renault, c’est bien trop réducteur. Renault n’a pas pris ses décisions en fonction de Besson mais en fonction de Ghosn qui est le grand patron et se croit visiblement au-dessus des autres.

    Pour moi, les gens de la sécurité ne sont que des pions. Ils se sont fait berner et ont dû subir la pression de leurs patrons. C’est au patron qu’il incombe de démissionner et à Ghosn en premier.

    Il a eu une gestion désastreuse de cette crise. En tout cas, les trois cadres licenciés n’ont plus de souci à se faire, ils sont quasi innocentés et vont toucher le jackpot, c’est tant mieux pour eux :-)

    Tommy

    Fan d’espionnage ? Désolé, ce truc n’est pas pour toi, ici c’est familial et sympa !

  4. Cette affaire basée sur de supposés comptes bancaires à l’étranger fait penser au scénario de l’affaire ClearStream avec sa liste de faux comptes attribués à des d’hommes politiques français.
    Les dirigeants de Renault ont condamné leurs trois employés sans leurs présenter les preuves de leurs culpabilités et même sans avoir en main de manière. effective ces mêmes preuves !
    Cela s’apparente à de la violence gratuite envers des êtres humains.
    Je ne comprendrais pas que messieurs Goshn et Pelata ne soit pas pendus à un crochet pour ce qu’ils ont fait à leurs trois “collègues”.

  5. Bonjour,
    en entendant sur france info les commentaires d’un syndicaliste de renault sur ce qu’est la gestion du personnel dans cette entreprise (rappelons les affaires de suicides avant ceux de france telecom), j’imagine aussi qu’il pourrait aussi s’agir d’une affaire interne sciemment monté par les dirigeants pour virer quelques chefs et qui a ensuite dérapé en atteignant les oreilles de la presse.

    cordialement

  6. Je ne suis pas pour demander la demission de Ghosn. Mais il faut evidemment reconnaitre que la gestion de la crise a ete minable.
    Pour changer de sujet, un chose m’a vraiment surpris. Baltazar qui se fait 300K Euros par an… Il doit avoir du mal a choisir une Renault.

  7. “Les enquêteurs de Renault n’ont pas contacté la DCRI”…

    Troisième fois que je lis cette énormité !

    Donc l’affaire se dégonfle vraiment, si la DCRI veut faire croire qu’elle n’y est pas mêlée…

    Les complices des barbouzes forment 5% à 20% de la population française, bien plus dans un centre de recherche ou un siège social, et quasiment 100% dans la direction des entreprises, la direction du personnel… Quand à la sûreté, elle est monopolisée par les “anciens” très actuels des services secrets, qui utilisent même les moyens de leurs employeurs précédents.

    Donc pour que la DCRI soit impliquée, on n’a pas vraiment besoin de “l’informer”…

    Les entreprises ont même beaucoup de mal a développer une sûreté qui ne soit pas seulement une succursale des barbouzes étatiques, avec pantouflage rémunérateur obligé des “anciens”.

    Et si ladite opération devait servir à décourager de créer une sûreté d’entreprise trop indépendante de l’Etat ? C’est bien la conclusion qu’on nous susurre.

    —–

    En signe de mépris pour la clique s’imaginant intimider les citoyens en décrétant que les FAI et sites doivent dénoncer les internautes aux services “antiterroristes”, je signe de mon nom.

    Marc Schaefer, alias Pointeurdevide

  8. De même que la guerre, comme disait Clémenceau, est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires, la guerre économique est une chose trop sérieuse pour être confiée à des policiers. Pour l’avoir oublié, Ghosn et Pelata vont devoir payer le prix fort.

  9. n’oublions pas une chose, deux mois avant que cette affaire ne voit le jour, l’allemagne, très officiellement accusait la france d’espionage massif, laissant entendre que les cas les plus récurents concernent l’automobile et renault était désigné à demi mots….
    coincidence ?

  10. […] Voir article original: Tête-à-queue chez Renault Aucun tag pour cet article. […]

  11. L’affaire Renault a éclaté le lendemain de la publication par la presse de récréminations de différents pays européens (l’Allemagne surtout) reprochant aux français des pratiques douteuses dans le domaines du renseignement économique et industriel. Comme par magie, cette annonce Renault,télécommandée peut-être, a fait taire les critiques et il serait bon que l’on revienne à écouter nos partenaires.

  12. Pour une histoire similaire de faux compte bancaire, Nicolas Sarkozy avait promis, en parodiant Hitler punissant ses putschistes, de “PENDRE A UN CROC DE BOUCHER” ceux qui avaient voulu le faire plonger de cette manière.
    Carlos Gohsn, Pelata et leurs sbires devraient aller illico presto en prison et y passer de longues années avec pour distraction un travail bénévole à l’atelier de mécanique de celle-ci.

  13. Ce qui prouve, tout simplement, que toute justice privée est à condamner sévèrement. Dés qu’un service de sécurité privé, comme celui d’une entreprise, détecte quelque irrégularité que ce soit, la règle devrait être de déclencher une procédure judiciaire publique : plainte auprès du procureur de la république, avec constitution de partie civile, pour éviter que l’affaire ne soit classée sans suite ? Si c’est la règle, s’il existe des textes interdisant le règlement de délits en privé, alors les responsables doivent être poursuivis, en particulier, vu l’importance de l’affaire en question ici, le président, qui ne peut évidemment pas prétendre “ne pas être au courant”. Donc, mise en examen du président Ghosn ? Et pourquoi pas un peu de préventive aussi, pour calmer tous ces dirigeants qui s’exonèrent trop facilement des lois de la république ?

  14. Georges, es tu bien sûr que les deux “anciens” de la financière, et de la Sécurité Militaire,soient des “Professionnels Expérimentés”(sic) ?
    Personnellement, j’en doute beaucoup depuis d’ailleurs le début, non pas de cette affaire, mais de cette pantalonnade.
    LAMENTABLE !!!


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