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Chronique

Le krach des régulateurs

LE MONDE ECONOMIE | 24.01.11 | 15h58

 

Loin d'être stabilisée, l'Europe débute 2011 sous le signe de la poursuite de la crise des risques souverains, à laquelle s'ajoute désormais un risque de krach financier provoqué par l'incohérence de ses initiatives en matière de régulation.

L'éclatement de la bulle spéculative sur le crédit a rappelé que le risque de liquidité est central dans l'activité bancaire, tandis que la faillite de Lehman Brothers, à l'automne 2008, a mis en lumière la nature systémique du défaut d'un grand établissement.

En 2010, le choc sur les dettes souveraines en Europe a souligné la liaison fatale qui unit désormais les Etats et les banques : la faillite de ces dernières peut provoquer l'implosion financière d'un pays, comme l'ont montré les crises islandaise et irlandaise ; à l'inverse, le défaut d'un Etat entraînerait la faillite des établissements bancaires et des assureurs, dont l'exposition aux risques grecs, irlandais, portugais et espagnols atteint 2 300 milliards d'euros.

La situation de l'Europe est critique. Le Portugal en récession emprunte à 6,7 % pour financer une dette représentant 86 % de son produit intérieur brut (PIB), ce qui équivaut à un défaut assuré. L'Espagne masque quelque 250 milliards d'euros de pertes dans les bilans bancaires liés à l'immobilier.

Les incertitudes politiques se renforcent en Belgique, sans gouvernement depuis sept mois, et en Italie. Les tensions s'exacerbent sur la liquidité des banques, qui doivent se refinancer à hauteur de 750 milliards d'euros en 2011, sur fond de concurrence croissante avec les Etats pour attirer une épargne qui se raréfie sous l'effet du vieillissement et de la hausse de la consommation dans les pays émergents.

L'EUROPE TERGIVERSE

De leur côté, les Etats-Unis ont restructuré et recapitalisé leur système bancaire, désormais en position offensive, et mis en place une nouvelle régulation financière, avec le Dodd Frank Act voté en juillet 2010. Mais, plus de deux ans après la faillite de Lehman, l'Europe tergiverse et multiplie les projets d'autorités et de normes contradictoires, créant un risque majeur de krach financier tout en minant la reprise.

A défaut de traiter les problèmes-clés de la liquidité et des effets systémiques, elle s'abandonne à un populisme délétère en laissant s'installer une régulation aussi anarchique qu'inefficace.

La Commission européenne propose de donner un statut spécial aux Etats pour leur notation afin de faciliter leur financement, tout en recommandant d'assimiler les créanciers obligataires aux actionnaires en cas de faillite bancaire.

Le Comité de Bâle veut encadrer la dette hybride. Les trois nouvelles autorités de régulation des marchés (ESMA), des assurances (EIOPA) et des banques (EBA), où les grands Etats ont été mis en minorité, prévoient d'intensifier des "stress tests" sur la base d'hypothèses... qui renforcent la crédibilité d'un défaut souverain et d'un choc de liquidité. Bruxelles et les Etats rivalisent dans les projets de taxes sur les banques, amputant leur capacité à dégager des profits.

Les régulateurs sont ainsi en train de provoquer le krach qu'ils sont censés prévenir, en coupant les banques européennes des financements à long terme (actions et obligations) et en tarissant leurs ressources à court terme.

Dans le même temps, avec les normes prudentielles Solvency II, ils interdisent aux assureurs d'investir en actions pour les forcer à acquérir des dettes publiques risquées. Ce faisant, ils assèchent le financement de l'économie européenne, qui dépend à 70 % des banques, et celui de l'investissement productif, détourné vers le trou noir des déficits publics.

Il faut cesser cette course folle ; repenser la supervision et la régulation financière autour de la prévention du risque de liquidité et des enchaînements systémiques et les réintégrer dans le contexte de la compétition mondiale pour les capitaux.

D'où les priorités suivantes :

1) Rétablir une régulation financière cohérente et coordonnée au sein de la zone euro ;

2) Vite fixer des normes prudentielles, comptables et fiscales stables et économiquement efficaces ;

3) Favoriser l'épargne et les financements de long terme ;

4) Traiter de la même façon le financement des dettes publiques et l'investissement productif ;

5) Adopter une politique monétaire flexible associant taux d'intérêt durablement bas et programmes ambitieux et assumés de rachat de dette publique ;

6) Doubler le programme de stabilité financière européen à 1 500 milliards d'euros, notamment pour pouvoir répondre au risque espagnol, en l'étendant au rachat des dettes publiques et des garanties bancaires, à la baisse des taux d'intervention et à l'allongement de la durée des prêts.

Il est urgent de remettre de l'ordre dans la régulation monétaire et financière de l'Europe.

Si l'Union reste virtuelle en matière de coordination des politiques économiques, elle est bien réelle en matière de risques.

Une du "Monde Economie" daté du mardi 25 janvier 2011.

Une du "Monde Economie" daté du mardi 25 janvier 2011.DR

Nicolas Baverez, économiste et historien
 

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Vos réactions (1)

 

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  • Jeanne Wegrzyn 18h05

     Nous avons excellentes économistes, mais malheuresement de l'autre côté de l'océan pensent autrement. C'est la gueurre économique et financier qui fait des concitoyens européennes les victimes. Tous les décisions doivent être pris en Europe. Les americains doivent savoir que la II guerre est fini et l'Europe c'est quelque chose l'autre que les satelites et pays de soviet. Répondre


 

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