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Chronique

Un code d'éthique à l'intention des économistes

LE MONDE ECONOMIE | 24.01.11 | 16h02

 

Les professeurs d'économie n'ont pas l'habitude de jouer le rôle des méchants dans les films hollywoodiens. Et ils ont depuis longtemps renoncé à l'espoir d'y figurer en tant que héros.

Pourtant, le documentaire Inside Job, de Charles Ferguson, présenté en séance spéciale au Festival de Cannes en 2010, avec la voix d'un Matt Damon en proie à une colère à peine maîtrisée, offre au spectateur un véritable défilé d'économistes supposés avoir vendu leur âme pour chanter les louanges du bon fonctionnement du système financier.

De nombreuses critiques, dans ce film comme dans la presse, épinglent des experts qui avaient caché des conflits d'intérêts, notamment des honoraires perçus en travail de conseil pour des entreprises financières.

La prestigieuse American Economic Association est suffisamment inquiète de ces atteintes à l'image de la profession pour avoir décidé, le 7 janvier, d'établir un comité chargé de proposer un "code de bonne conduite".

Le citoyen désillusionné pourrait se demander si l'idée d'un code d'éthique pour les économistes ne ressemble pas à un code de végétarisme... pour les requins.

Les économistes, eux aussi, sont partagés.

Certains appellent à une prise de conscience collective et solennelle.

D'autres doutent de l'efficacité d'un nouveau code : après tout, proposer de l'expertise en cachant des conflits d'intérêts est déjà considéré comme une faute grave dans beaucoup de professions, et on voit difficilement pourquoi la réaffirmation de ce principe déjà connu changerait les comportements.

D'autres encore considèrent qu'il ne faut pas confondre la motivation des individus et la qualité de leurs idées. Ce qui rend une conclusion scientifique n'est pas le caractère désintéressé de son géniteur, mais la rigueur de l'examen auquel elle aura été soumise. La vérité émerge d'une concurrence vigoureuse sur le marché des idées, pour ainsi dire.

La métaphore est séduisante, mais le marché des idées économiques ne fonctionne pas toujours très bien. Il ressemble parfois à un ancien marché soviétique, avec un acheteur monopolistique représenté par une bureaucratie fatiguée et cynique.

L'acheteur des idées est bien souvent un gouvernement qui s'intéresse plus à plaire aux électeurs qu'à connaître une vérité qui dérange ; il peut s'agir aussi d'une entreprise commerciale qui veut conquérir un marché, persuader un régulateur plutôt que regarder sobrement la réalité en face.

Comme en Union soviétique, un tel acheteur préfère traiter avec un vendeur également monopolistique pour avoir la vie tranquille, et la vraie concurrence peut lui paraître une cacophonie infernale.

D'où le fait que, très souvent, un petit nombre d'experts d'un domaine donné se recyclent, proposant un conseil à celui-ci, avant d'être embauchés pour tenir la main à celui-là. La qualité de leur recommandation est rarement soumise à un examen aussi rigoureux que le contrôle des cours dispensés aux plus jeunes de leurs étudiants.

Le système soviétique a pu survivre très longtemps en dépit de ces dérives, en grande partie grâce au professionnalisme et au désintérêt d'un grand nombre de ses citoyens. Des normes plus rigoureuses de comportement augmenteraient sans doute la qualité de la politique économique.

Mais les incitations perverses demeureront. Il restera toujours difficile de vendre la rigueur scientifique à des demandeurs de conseil qui veulent tout acheter... sauf la vérité.

Une du "Monde Economie" daté du mardi 25 janvier 2011.

Une du "Monde Economie" daté du mardi 25 janvier 2011.DR

Paul Seabrigth, Ecole d'économie de Toulouse
 

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Vos réactions (3)

 

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  • Clément 25/01/11 - 13h01

     Faux procès aux économistes : qui est donc l'abruti qui a fait la supposition que la vérité nous mènerait à une perfection à la fois morale et rationnelle ? L'économie n'est pas un monstre désincarné : elle part d'hypothèses (très nombreuses hypothèses) et parvient à des conclusions. Et parmi ces hypothèses : la recherche effrénée du profit, la production exponentielle, la productivité cardinale, etc. Comment voulez-vous parvenir à des conclusions "déontologiquement acceptables" ? Répondre


    • Epistemon 25/01/11 - 21h45

       L'abruti s'appelle Platon, semble-t-il. Par ailleurs, malheureusement, l'économie ne se contente pas de tirer des conséquences d'hypothèses.Elle est un champ de bataille ideologique où l'on soutient des thèses pour des raisons qui n'ont pas nécessairement à voir avec l'établissement de la verité.C'est en cela qu'elle n'est pas désincarnée.Si elle ne faisait que déduire des conclusions à partir de postulats, elle serait aussi désinterressée que n'importe quel jeu ou n'importe quelle mathématique


  • Gloubiboulga 24/01/11 - 20h09

     Ces gens seraient donc marxistes sans le savoir ? Marx, en effet, affirme que l'économie est une science morale de part en part, qui doit être évaluée déontologiquement, comme n'importe quelle science dont l'objet est humain. Répondre


 

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