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Communautarisme, affaires et procès

LEMONDE | 15.03.11 | 15h17  •  Mis à jour le 15.03.11 | 15h17

 

Est-ce un signe supplémentaire que les Américains, facilement adeptes du déni salutaire et du volontarisme à tous crins - entre "think positive" et "can do" -, se persuadent vite que rien ne sert de ressasser des vieilleries ? Toujours est-il que l'affaire Galleon passionne beaucoup moins l'opinion que ne l'ont fait, par exemple, l'escroquerie de Bernard Madoff ou les accusations graves de conflits d'intérêts portées par le gendarme de la Bourse américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC), contre la banque d'affaires Goldman Sachs.

Il y a pourtant de quoi s'étonner : le procès du gérant de ce fonds spéculatif, Raj Rajaratnam, et de sa trentaine d'acolytes, mêlant des figures de Wall Street de très haut calibre, est la plus importante affaire de délit d'initié depuis celui du trader des premières obligations pourries, Ivan Boesky. Fin 1986, l'homme avait fait la "une" de Time, et les audiences de son procès avaient tenu les médias en haleine. Rien de tel, cette fois, du moins à ce stade initial.

Pour ceux qui auraient manqué le premier épisode (le procès pourrait durer jusqu'à deux mois), voici un rapide rappel des faits. A la tête de son fonds spéculatif Galleon, M. Rajaratnam, un trader spécialisé dans les entreprises d'informatique et le marché des puces, est accusé d'avoir organisé depuis 2001 (et vraisemblablement bien avant) un vaste réseau d'informateurs de haut niveau ayant accès à des données internes des sociétés qu'il suivait, manipulant de fait les cours et permettant à son fonds, et donc à lui-même, de réaliser des bénéfices indus. Les victimes se nomment IBM, Intel, Google, eBay, etc. L'homme plaide non coupable. Dix-neuf de ses vingt-huit coaccusés l'accablent. La justice tranchera.

A ce stade, le procès symbolise les "années d'avidité et de corruption", dixit l'assistant du procureur, Jonathan Streeter, dans lesquelles tant d'acteurs financiers se sont émancipés de toute contrainte morale, chaque jour plus aveuglés et aiguillonnés par leur impunité et par les gains et privilèges mirobolants que leur octroyait leur "prise de risque".

Mais l'affaire Galleon n'est pas que cela : elle est aussi une tranche d'Amérique, symptomatique non seulement des fortunes qui peuvent s'y accumuler, mais aussi de la manière dont parfois elles se constituent, et du rôle que peut y jouer l'appartenance communautaire. Car il est un sujet, présent dans beaucoup d'esprits mais peu évoqué ou seulement de manière allusive : celui de la surreprésentation, parmi les acolytes présumés du fondateur de Galleon, de personnes originaires, comme lui, du sous-continent indien.

Les trois figures prééminentes du "réseau" constitué par M. Rajaratnam, un Tamoul hindou né au Sri Lanka, se nomment Rajat Gupta, Anil Kumar et Rajiv Goel. Le premier, diplômé de l'Indian Institute of Technology de Delhi et de la Harvard Business School, est un ancien PDG du consultant McKinsey, poussé, en 2010, quand l'affaire a éclaté, à démissionner de son poste au directoire de Goldman Sachs. Il récuse radicalement l'accusation d'avoir fourni des informations internes à son ami Raj, en particulier sur l'apport en pleine crise de 5 milliards de dollars de Berkshire Hathaway, le groupe du magnat Warren Buffett, à Goldman.

Le deuxième, diplômé de l'Indian Institute of Technology de Bombay, est un ex-directeur de McKinsey. Il a perçu pour ses informations 1,75 million de dollars de rétribution sur un compte en Suisse. Son bienfaiteur l'a "piégé", clame-t-il aujourd'hui. Le troisième était directeur des investissements stratégiques d'Intel. S'il a oeuvré à divers délits d'initié, admet-il, c'est "par amitié" pour M. Rajaratnam.

Pourquoi ne pas le croire ? Le patron de Galleon ne s'était-il pas lié avec MM. Kumar et Goel à la très prestigieuse Wharton Business School (Philadelphie), par laquelle ils sont tous trois passés ? En France, on a les réseaux X-Mines ou HEC. Ici s'ajoutent les appartenances "communautaires". Ainsi, hors toute visée délictueuse, se forment les réseaux professionnels amicaux entre "pays". Tous les portraits de Raj Rajaratnam insistent sur ce fait : lorsqu'il entreprenait de développer de nouvelles sources d'information, le patron de Galleon, travailleur acharné et d'une vénalité boulimique, cherchait d'abord en direction de personnes originaires du même pays que lui. Plusieurs autres que ceux précédemment cités apparaissent d'ailleurs parmi les accusés ou les témoins du procès.

Derrière cette affaire émerge une tranche d'histoire américaine comme en regorge un pays où les identités mêlées perdurent (des générations après l'arrivée de ses ancêtres, on y reste irlando ou italo ou sino-américain, etc.). Une histoire d'immigrés où les solidarités affectives liées aux origines géographiques, ethniques ou religieuses communes servent de viatique à une autre avidité : la soif de reconnaissance et de statut que confère la réussite - financière plus que toute autre.

Selon les données du Census Bureau (équivalent américain de l'Insee), les hindous, 0,6 % de la population des Etats-Unis mais en augmentation rapide, y constituent le groupe détenant le plus haut niveau d'éducation : 48 % disposent d'un diplôme universitaire et 43 % des chefs de famille dépassent les 100 000 dollars annuels de revenu. Informatique et finance sont les deux secteurs d'activité les plus emblématiques de l'intégration - jugée comme l'une des plus réussies - d'une communauté.


cypel@lemonde.fr

Sylvain Cypel Article paru dans l'édition du 16.03.11

Procès Galleon

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