Jacques PEREZ

Il était une fois un motard pressé, et persuadé, comme souvent chez les chauffards, que la vitesse lui tenait lieu, en tout et partout, de bon droit. Derrière chez lui s'étendaient des montagnes. Belles, désertes, et tellement inutiles qu'on en avait fait un parc national (c'est dire !). Ces espaces vides et qui ne rapportaient pas un sou lui étaient devenus proprement intolérables. C'était à lui, il en était persuadé, de venir combler cette lacune, d'imprimer sa marque sur ces terres vierges, et de les intégrer enfin dans l'offre touristique « moderne », dont sa région, était le symbole.

Ainsi, à l'été 2008, Mr Estrosi, alors président du Conseil Général des Alpes maritimes, lança-t-il, avec force tambours et trompettes médiatiques, le pharaonique projet des « Balcons du Mercantour », sentier parcourant en haute altitude la crête frontière franco-italienne et que devaient équiper plusieurs nouveaux refuges-hôtels de « standing international ». Personne ne put en l'occurrence lui reprocher d'être mesquin (le budget prévu était de 20 millions d'Euros), ni de manquer de volonté politique, puisque les travaux démarrèrent avec la fougue d'un grand prix motocycliste. D'ailleurs, séduits par les idées de prestige international, ou alléchés par le nouveau pactole touristique que l'entreprise laissait miroiter, ou bien, sait-on ? Terrorisés par le Devil Angel qui leur tenait lieu de chef de bande, ni les élus locaux, ni les structures concernées (Club Alpin Français ou Parc National du Mercantour) ne se permirent d'exprimer autre chose que quelques roucoulements polis, dont le véritable sens était difficile à interpréter, même pour un ornithologue averti.

Hélas pour notre maniaque de la vitesse jusqu'alors béni des Dieux, cette précipitation excessive allait causer sa perte. Dans l'un des virages du fameux sentier en construction, la roue de sa machine lancée à fond faucha une petite fleur (mal) protégée, aussi malencontreusement qu'un gamin sur la route du Paris-Dakar. Quelques grenouilles vertes, qui avaient fortuitement assisté au drame, s'en émurent sérieusement et entamèrent sur Internet un Requiem dont les coassements lugubres et porteurs de présages alarmants, retentirent bientôt aux oreilles de chacun. Sommé de s'expliquer sur le bien-fondé d'une entreprise qui confondait, semble-t-il, raison et précipitation, Mr Estrosi crut dissoudre ces vertes ardeurs contestataires en les dispersant dans des commissions thématiques de réflexion, dont le seul objet était en réalité de noyer le poisson tout en gagnant du temps (toujours la course !). En vain : il fut impossible de réduire au silence le choeur offusqué des grenouilles.

Aujourd'hui, deux ans plus tard, les grenouilles attendent toujours patiemment d'être convoquées à la deuxième séance de réflexion sur un sujet qui, semble-t-il, n'a plus la même urgence qu'autrefois... Il faut dire que notre motard pressé vient enfin de se faire flasher pour excès de vitesse : le Conseil général des Alpes Maritimes a été condamné en ce début Janvier 2011 à 15 000 Euros d'amende pour non-respect de la réglementation sur les espèces protégées.

Cette histoire se termine bien. Pour les petites fleurs qui pourront traverser les alpages sans se faire écraser par un fou du guidon. Pour le contribuable des Alpes maritimes, qui ne déboursera que 15 000 euros au lieu des 20 millions prévus au départ. Pour les grenouilles vertes qui ont prouvé qu'elles pouvaient compenser leur petite taille et réussir à se faire entendre, à condition de coasser avec la même conviction. Pour Mr Estrosi, enfin, d'abord parce qu'il ne paiera pas l'amende de sa poche, et ensuite parce que la conclusion de cette aventure donne finalement raison à ses obsessions sécuritaires : il serait en effet souhaitable que la justice se montre beaucoup plus rigoureuse vis-à-vis des petits motards voyous.