16 mars 2011

Les supports induisent-ils des modes de lectures particuliers ? Comment se caractérisent les différents types de lecteurs électroniques ? On pourrait légitimement penser que leur comportements sont à peu près similaires. On savait pourtant déjà que les possesseurs de liseuses avaient plus tendance que les possesseurs de tablettes à lire des livres et à en consommer. L’étude de Michael Tamblyn est donc intéressante à bien des égards. Car pour construire des offres, il va falloir comprendre les différences entre les lecteurs et leurs habitudes de consommation.

Michael Tamblyn est le responsable des ventes de Kobo Reader, une société canadienne (filiale du groupe Borders, la chaine américaine de librairies qui s’est déclarée en banqueroute depuis février) qui fabrique et vend des liseuses sous sa marque - ainsi que sa librairie numérique associée . A TOC 2011, qui se tenait il y a quelques semaines à New York, il animait une table ronde pour aider à comprendre ce que voulait vraiment les lecteurs numériques, à l’occasion de laquelle il a fait une présentation qui mérite l’attention.

Kobo est aujourd’hui un petit acteur du livre électronique. Néanmoins, sa librairie électronique vend des livres à quelque 2 millions d’utilisateurs enregistrés.Son application de lecture gratuite et sociale (voir le billet que lui a consacré eBouquin) est la troisième de l’App Store (derrière l’application de l’iBookstore et celle du Kindle), mais est la première sur Blackberry et Androïd (et ce alors que le marché des applications disponibles pour Androïd est en train de rattraper celui d’Apple). Depuis mai 2010, ils se sont dotés d’une liseuse à 149 $ (mais il en existe des versions moins chères, rappelle eBouquin)… Voilà pour le contexte.

Visiblement, chez Kobo, on est un peu obsédé par les chiffres et l’équipe de Kobo tient une conférence quotidienne sur les données en provenance des clients, car pour l’instant, les profils d’achats et de lecteurs ne sont pas si simples à décrypter. De ces données qu’ils analysent quotidiennement, Michael Tamblyn et son équipe proposent de dresser 4 profils de lecteurs.

1. Les lecteurs sur liseuse
C’est le segment de clientèle le plus apprécié. Et pour cause. Ce type de lecteur dépense 35 $ en moyenne (des dollars canadiens, attention) a sa première visite, puis 20 à 25 $ chaque fois qu’il revient sur la boutique, en moyenne 7 fois par mois ! Ce sont des lecteurs continuels. Ils lisent de la fiction. Ils vont être des clients de longue durée. Ils payent 100 % de ce qu’ils lisent. Leur mode de lecture passe par le web, mais surtout via la liseuse Kobo. Chez ces clients là, la consommation de livre électronique s’accélère, dans le temps ainsi qu’à mesure que de nouveaux clients rejoignent la plateforme (un primoclient de février 2011 consomme plus qu’un primoclient de mai 2010) . Pourquoi est-ce que ça marche aussi bien ? Michael Tamblyn pense que c’est lié au fait qu’ils séduisent là un public de lecteur assidu, qui est motivé par l’amélioration des applications, des systèmes de recommandation et de commercialisation. Mais surtout, ce sont de meilleurs consommateurs de livres que les autres.

2. les lecteurs sur petit écran (smartphone)
En nombre, c’est le plus grand segment d’utilisateurs de Kobo. Ils achètent moins fréquemment et sont des clients qui dépensent moins que ceux qui consultent des livres sur un écran plus grand. A leur première visite, ils dépensent en moyenne 15 dollars. Ils font en moyenne une visite par mois et dépensent 7 dollars à chaque fois. Ils consomment surtout les contenus via leurs iPhone. Leur conversion est assez faible : c’est visiblement pour Michael Tamblyn, le moins bon canal de vente (peut-être aussi parce que Kobo a d’autres concurrents sur ce secteur). Ce sont des clients volatils (taux de désabonnement élevé) qui ont plutôt tendance à acheter de la romance qu’autre chose. Ce sont des consommateurs qui consomment à la fois des titres gratuits et des titres payants.

3. Les mondains de l’iPad
Ce segment n’est pas aussi intéressant que le premier. Ils dépensent en moyenne 22 $ à la première visite. Ils achètent presque fréquemment : ils dépensent en moyenne 16 $ par commande et font en moyenne 4,5 commandes par mois ! Depuis décembre 2010, ils bénéficient de l’application Reading Life (vidéo), dotée de fonctionnalités sociales (et de gratifications via des badges).

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Et cette application a des effets importants : les gens qui l’utilisent et la connectent à leur compte Facebook passent 33 % de temps en plus dans l’application. Cette application permet d’obtenir des statistiques de lectures plus précises montrant ainsi que les lecteurs du soir lisent plus que ceux qui lisent tard dans la soirée, depuis leur lit. Les lecteurs qui ont lu au cours de la journée (déplacement, repas…) passent plus de temps à lire ensemble. Les utilisateurs montrent également qu’il y a plus de lecteurs en soirée que de lecteurs en journée, par contre, les gens achètent principalement des livres électroniques entre 20h et minuit !

4. Le freegan
Le freegan (je ne sais pas comment traduire cela) ne dépense pas d’argent pour ses livres électroniques. Il les veut gratuitement. Le web est sa source première. Il dispose de plusieurs objets électroniques et cherche du contenu gratuit à charger sur chaque. Tous les utilisateurs qui lisent des livres électroniques gratuits ne sont pas des freegans, certains sont des paygans. Ces clients ont en moyenne quelques livres gratuits : 1 à 2. Les vrais freegans ont en moyenne 9 livres gratuits dans leur bibliothèque électronique et ils passent du temps à chercher activement des livres gratuits. Ils sont “scandaleusement” résistants à la commercialisation.

La conclusion de Michael Tamblyn est simple. Les données collectées servent à améliorer l’expérience de lecture de l’utilisateur. “Et c’est en connaissant mieux ses lecteurs qu’on va pouvoir améliorer les ventes”. CQFD. En tout cas, il a montré qu’il existait bien bien différentes catégories de lecteurs de livres électroniques, avec des comportements d’achats et de lectures différents et que ce comportement semble corrélé aux supports que les consommateurs utilisent. On avait déjà eu des esquisses de cela, mais en se focalisant sur la lecture de livres, la démonstration est plus éclatante, vous ne trouvez pas ?

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Commentaires

  1. Merci Hubert pour cet excellent billet qui replace clairement les enjeux.

  2. Pourquoi les bibliothèques ne propose pas des locations de livre numérique?
    ça serai intéressant de tester ce nouveau mode de lecture

  3. Très intéressante analyse.

    @fabien, il existe des prêts de livres numériques dans certaines bibliothèques et pour tester, la BNF propose les classiques libres de droits en téléchargement sur Gallica.

  4. Ah le livre numérique, merveilleuse invention ! Vous ne pouvez plus prêter vos “livres” à vos amis, et quand l’éditeur le souhaite il peut cliquer sur un bouton et supprimer/modifier à la volée des livres dans l’ensemble des lecteurs électroniques de ses clients (cf Kindle).

    Quel bel avenir, décidément !

    Ca finira :
    - soit en une plate-forme de censure globale
    - soit en une plate-forme libre, sur laquelle les livres seront gratuits (piratage etc).

  5. […] Lire la suite au source […]

  6. “Les vrais freegans ont en moyenne 9 livres gratuits dans leur bibliothèque électronique”
    Ca ne me paraît pas beaucoup, s’agissant de personnes qui ne téléchargent QUE des livres gratuits.
    Personnellement, je suis un freegan (je ne connaissais pas ce mot avant de lire ce blog), et j’ai plusieurs centaines de titres gratuits dans ma bibliothèque électronique.

    En tout cas, merci pour votre très intéressant blog, que je consulte souvent…

  7. Amazon a mis en place un système (partiel) de prêt de livres électroniques ( si l’éditeur a autorisé le prêt) : http://www.amazon.com/gp/help/customer/display.html?nodeId=200549320

  8. freegan = radin ?

  9. Freegan = gratuivore ?

    Comme le Vegan, c’est le végétarien (ou végétalien pour le côté extrême de la chose), “gratuivore” me paraît pas mal …

  10. freegan = free + vegan
    http://en.wikipedia.org/wiki/Freeganism

  11. Ca avance fort heureusement. Ce ne sont pas forcément les plus performants qui sont les meilleurs celui de mon éditeur est un Cybook sans Wifi et m’a l’air assez bien.

  12. @Etienne : la longue traine des Freegans est effectivement impressionnante. Certains, comme vous, en ont effectivement beaucoup beaucoup plus… ;-)

    @Roms, Mathieu, Maelig : Merci. Je ne connaissais pas le terme Vegan. Gratuivore, ça me semble très bien effectivement !

  13. La corrélation entre appareil et dépenses était assez évidente : quelqu’un qui ne lit que des livres gratuits ne va pas acheter un appareil pour ça, et quelqu’un qui a payé un appareil (horriblement cher) ne va pas le laisser moisir dans un coin…

    “Gratuivore” est chouette, mais on ne dit pas “végétivore”… Sur le modèle de “végétarien”, on pourrait dire “gratuitarien” :-b

  14. Excellent article qui m’apprend que je suis un freegan. J’ai plus de 4000 livres papier, et je n’ai pas envie de racheter quelques paquets d’octets sans valeur au prix du livre imprimé. Quand le livre numérique sera à son juste prix (le support physique, les frais d’édition, les droits d’auteur et la marge normale de l’éditeur), qui ne devrait pas dépasser 30% du prix de l’édition de poche, j’y réfléchirai. Les éditeurs veulent se goinfrer sur notre dos alors que le marché n’existe pas encore.

  15. “Quand le livre numérique sera à son juste prix (le support physique, les frais d’édition, les droits d’auteur et la marge normale de l’éditeur), qui ne devrait pas dépasser 30% du prix de l’édition de poche”

    C’est pas sur… Ce n’est pas le prix de l’impression d’un livre de poche qui fait la grande partie du prix. C’est même presque rien.

    Ceci dit le numérique à aussi un cout : il faut des serveurs pour stoker les livres, puis, je suppose, payer une licence à Adobe pour les DRM (pas mal de livre au format .epub sont avec DRM).

    Il y a aussi autre chose : la TVA. Je ne sais pas si ça a changé mais la TVA sur un livre papier est 5.5% alors qu’en numérique c’est (ou c’était ?) 19.6%
    D’où le fait qu’au final les prix support physique vs support numérique ne soit pas tellement différent.

  16. J’ai l’impression qu’il y a également un autre frein important pour les vegans et d’autres d’ailleurs, c’est tout simplement qu’ils n’ont aucune assurance de la pérennité des données qu’ils vont acheter. S’ils veulent se constituer une bibliothèque, il va falloir qu’ils doublent voire triplent leurs données en permanence (ordi, liseuse, disque dur externe etc.). Rajoutez à tout ça les bon vieux DRM et les bons vieux formats propriétaires en tout genre (AZW and co) en tout genre et vous obtenez :
    - comment vont évoluer les formats ?
    - Est-ce que les fournisseurs de livres sous DRM ont conscience que les gens s’informent et qu’en gros ils ne sont pas des poires, qu’ils savent donc que leurs données ne sont pas un poil pérennes ?


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