14 mars 2011

L’élève est assis dans le bureau du proviseur adjoint. Mlle Latik, la Conseillère Principale d’Education (CPE) se tient près de lui, face à M. Berachategui, leur hôte. L’élève, 19 ans, ne trahit aucune émotion. Il défend mollement son cas et encaisse la sanction sans trop broncher : une journée d’exclusion et trois heures de Travaux d’Intérêt Général (TIG), une nouveauté au lycée. C’est seulement quand M. Berachategui décroche le combiné pour prévenir sa maman que le garçon se raidit et laisse tomber sa tête dans ses mains. Il secoue le chef en silence, un peu tassé sur lui-même, pendant toute la conversation, puis sort du bureau d’un pas plus lourd.

Cette fois, la faute est collective- un cours chahuté - mais les punitions restent individuelles. Près de la moitié de la classe de première professionnelle BELEEC du  lycée Romain Rolland, à Goussainville, y passera. Avant chaque entretien d’une durée de dix minutes environ, Mlle Latik briefe une dernière fois le proviseur adjoint : définit en quelques mots le profil de l’un de ces garçons qu’elle suit depuis deux ans et suggère la sanction idoine. M. Berachategui sait son texte. Pas de gueulante, mais des mots appuyés qui s’enchaînent jusqu’au verdict en une démonstration dont la logique tient de la notice d’utilisation. « Est-ce que tu comprends la sanction ? », répète enfin Mlle Latik.

Entretien d'un élève avec le proviseur adjoint et la CPE suite à des débordements survenus en classe - photo : Marie Augustin 2011

Arsenal

Colles, TIG, « exclusions-inclusions », exclusions temporaires, changement de classe, conseil de vie scolaire … L’arsenal des avertissements et punitions est bien garni. Ce n’est qu’en dernier recours que l’on exclut définitivement, après délibération en conseil de discipline.

Mme Benbassa, chef de l’établissement, affirme que 30% de ceux qui passent en conseil de discipline à « Romain Rolland » écopent d’une exclusion définitive. Quant au nombre exact de ces conseils, elle refuse de le décliner. « Ce n’est pas le nombre de conseils de discipline qui compte mais ce que l’on veut en faire », dit-elle.

Une étude réalisée en 2010 par Georges Fotinos , ancien inspecteur général de l’Education nationale, avance que dans les établissements qui accueillent des élèves en difficulté, 5 élèves pour 1 000 sont exclus définitivement chaque année. Ce chiffre aurait déjà été largement atteint au lycée polyvalent Romain Rolland pour 2010-2011, notamment à cause du blocus organisé au moment des mobilisations lycéennes contre la réforme des retraites. Tous ceux qui avaient caillassé la façade de l’établissement ont été débarqués.

« Sans une remise en contexte, le nombre d’exclusions et de conseils de discipline peut être mal interprété, alors que cela fait partie de la pédagogie pour le changement d’image du lycée», argumente Mme Benbassa. En tous cas, au lycée, tout le monde a compris que la nouvelle équipe de direction- en poste depuis la rentrée de septembre- est plus sévère que la précédente. Juste au-dessus de son bureau, Mme la proviseur a affiché une grande photo sous-marine : le sourire d’une murène tout en crocs surgissant d’un creux de rocher. Un petit rappel en forme de poster.

Dossier

Mme Benbassa semble miser sur l’effet dissuasif et la vertu d’exemplarité de l’exclusion. Et selon l’équipe pédagogique, cette politique de l’établissement ne saurait être évaluée que sur le long terme. Autrement dit, un nombre élevé d’exclusions ne prouve pas que le lycée est beaucoup plus violent qu’un autre. Reste que, de l’avis de tous, « l’exclusion est un aveu d’échec ».  « Le but du conseil de discipline n’est pas de déboucher là-dessus», précise la proviseur, « le but est de poser les limites, de montrer jusqu’où l’on ne peut pas aller ».

Avant l’ultime sanction, donc, il reste toute une collection de blâmes dont le principal argument auprès des élèves serait qu’ils restent annexés à leur dossier durant une année. Ce dossier, les élèves s’en préoccupent  lorsqu’ils veulent passer dans la classe supérieure ou s’inscrire en BTS , par exemple, et que leurs notes ne suffisent pas. Les colles et les TIG, en revanche, ne sont pas inscrits au dossier. Ils sont juste pénibles. La stratégie inverse étant celle de l’encouragement au travail, avec un projet pédagogique par exemple.

Rigoler

- « Alors t’as pris quoi ? »

- « Pfff, une journée ! J’ai le seum, mon daron il va même pas me laisser poser une main sur la play…»

- « Pas de TIG ? »

- « T’es ouf gros ! Même quand ma mère elle me donne des TIG je les fais pas, alors pas moyen que je lave le lycée ! »

De retour en classe après l’entretien dans le bureau du proviseur, les première BELEEC accueillent les punis comme s’ils revenaient du front. Le cours fait place à une effusion de solidarité, compassion, raillerie chaleureuse. Est ce qu’ils ont « compris la sanction » ? Ils l’ont affirmé à Mlle Latik. Devant les autres il faut garder la face. Rigoler.

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