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Point de vue

Il faut sauver la Grameen Bank et le microcrédit au Bangladesh

LEMONDE | 15.03.11 | 13h35  •  Mis à jour le 16.03.11 | 09h21

 

En 2006, Muhammad Yunus et la Grameen Bank recevaient le prix Nobel de la paix pour leur combat contre la pauvreté. Le monde entier saluait alors un modèle de microcrédit unique permettant à des millions de Bangladais de prendre leur destinée en main pour sortir de la grande pauvreté. Ce modèle est menacé, le gouvernement du Bangladesh cherche en effet par tous les moyens à destituer le professeur Yunus et à prendre le contrôle de la Grameen afin de la mettre au service de sa politique.

Nous qui connaissons le professeur Yunus depuis de nombreuses années et partageons son combat, nous qui considérons que la disparition de la Grameen serait un coup porté à la lutte contre la pauvreté au Bangladesh et dans le monde, demandons à notre gouvernement d'exprimer au plus vite sa solidarité au professeur Yunus et sa désapprobation la plus totale des manoeuvres menées par le premier ministre du Bangladesh.

La vision du microcrédit du professeur Yunus et l'action quotidienne de la Grameen sont parmi les armes les plus efficaces de lutte contre la pauvreté. La Grameen est, en effet, unique, et ce pour trois raisons. Elle ne cherche pas à faire du profit, à l'inverse de certains organismes qui usurpent la notion de microcrédit en Inde ou au Mexique. Elle responsabilise les emprunteurs, car les petits emprunts accordés sont destinés à financer des projets entrepreneuriaux. Enfin, elle est extrêmement démocratique : en empruntant, les personnes deviennent actionnaires de la banque (ils possèdent actuellement 97 % du capital et l'Etat 3 %) et en assurent la gouvernance en élisant neuf des douze membres du conseil d'administration. L'efficacité de ce modèle n'est plus à démontrer : près de 9 millions de Bangladais sont membres de la Grameen Bank. D'autres s'en sont inspirés, comme l'ADIE, premier organisme européen de microcrédit.

Aujourd'hui, l'avenir de la Grameen est en péril, menacé politiquement. Depuis près de quatre mois, le gouvernement bangladais a décidé de mettre la main sur l'institution. La manoeuvre politique a commencé par des déclarations provocantes. Le premier ministre, Sheik Hasina, a accusé le microcrédit de "sucer le sang des pauvres". Nous pouvions alors lire dans ses déclarations une vengeance personnelle contre Muhammed Yunus, un homme qu'elle jalouse depuis plus de vingt ans. Les attaques et les menaces se sont multipliées pour arriver à un point de non-retour la semaine dernière.

ARBITRAIRE

Outrepassant ses droits et en violation des règles de la Grameen Bank, son nouveau président, nommé dans l'urgence par le gouvernement, a décidé de "démissionner" Muhammad Yunus de ses fonctions de directeur général, alors que les membres du conseil d'administration élus par les emprunteurs lui témoignaient toute leur confiance. L'arbitraire a pris le pas sur les règles démocratiques, insultant de fait les 9 millions de membres de la banque. Depuis, la population bangladaise se mobilise et organise des manifestations de soutien. Au niveau international, les condamnations ne se sont pas fait attendre. Hillary Clinton a elle-même appelé Muhammad Yunus pour lui témoigner son soutien.

Face à un gouvernement enfermé dans une idéologie étatiste d'un autre âge qui veut que rien ne puisse ni ne doive exister en dehors de l'Etat et dont l'attitude actuelle est lourde de menaces pour les acteurs de l'économie sociale au Bangladesh, il est de notre devoir de réagir et d'appeler le gouvernement de la patrie des droits de l'homme à faire entendre sa voix.

Muhammad Yunus continue de mener un travail considérable. Il a su faire évoluer la pensée de nombreux dirigeants sur les questions de développement et de solidarité, sur la capacité de chacun à mener son propre projet. Il a aussi joué un rôle moteur dans la reconnaissance économique et sociale des femmes, qui représentent plus de 95 % des membres de la Grameen Bank.

N'acceptons pas l'éviction d'un homme de conviction, acteur majeur dans la lutte contre l'extrême pauvreté. N'acceptons pas que la Grameen Bank devienne un outil d'Etat, pire, de propagande.

La Grameen n'est pas une banque comme les autres, ne la mettons pas au profit de quiconque. Accepter serait se résigner et faire le choix d'abandonner un modèle de développement alternatif qui a fait ses preuves. Muhammad Yunus et la Grameen Bank constituent des remparts contre une mondialisation ultrafinanciarisée. La communauté internationale doit s'impliquer, et dans ce cadre la voix de la France est particulièrement importante à un moment où elle préside le G20 et cherche à replacer au coeur des débats actuels les conséquences sociales de la mondialisation.


Maria Nowak, présidente du comité exécutif de l'association Friends of Grameen ;
Michel Rocard, ancien premier ministre ;
Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international ;
Martin Hirsch, président de l'Agence du service civique ;
Jérôme Chartier, député (UMP) du Val-d'Oise.

 

Maria Nowak, Michel Rocard, Michel Camdessus, Martin Hirsch, Jérôme Chartier Article paru dans l'édition du 16.03.11
 
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