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La directrice de l'office HLM de la ville d'Yves Jégo licenciée après son cancer

LEMONDE.FR | 14.03.11 | 10h27  •  Mis à jour le 14.03.11 | 10h43

 

Brigitte Brevan, ancienne directrice de l'office HLM de Montereau, licenciée à son retour de congé maladie pour cancer du sein.

Brigitte Brevan, ancienne directrice de l'office HLM de Montereau, licenciée à son retour de congé maladie pour cancer du sein.Le Monde.fr

D'habitude, les cadres dirigeants licenciés dans des conditions contestables préfèrent garder le silence et trouver un accord amiable. Mais Brigitte Brevan, 49 ans, ancienne directrice générale de l'office HLM de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), licenciée d'après elle à la suite de son cancer du sein, a décidé de parler.

"C'est une question de principe, je suis une femme, qui a été malade, dans un milieu d'hommes. Ils ont cru qu'ils pourraient m'avoir", lâche-t-elle. Les conditions financières proposées par les avocats de Confluence Habitat, office HLM présidé par Yves Jégo, député-maire (UMP) de Montereau, ne l'ont pas non plus satisfaites. "Mais surtout, Yves Jégo a profité de mon cancer pour placer un proche", affirme-t-elle.

Jusqu'en décembre 2008, elle connaît pourtant une carrière sans accrocs, montant progressivement dans la hiérarchie de l'office. Entrée en 2002 comme responsable financière, elle enchaîne deux CDD de trois ans. "En 2008, on me propose de prendre la direction. C'était logique, j'avais déjà effectué plusieurs intérims", affirme-t-elle. Salaire : 4 900 euros nets mensuels. Certaines compromissions deviennent nécessaires : "C'était juste avant les municipales, on me dit qu'il serait bien vu de prendre sa carte à l'UMP. Je l'ai fait pour le poste mais aussi car j'appréciais Yves Jégo". "Ce poste a toujours été politique", confirme Christian Ferrand, délégué CGT de l'office.

REMPLACÉE PAR UN PROCHE DE JÉGO

Mais en décembre 2008, la maladie la frappe : cancer du sein. Opérée immédiatement pour extraire la tumeur, elle suit les classiques radio et chimiothérapies. "Je m'arrête le moins possible et je vais faire mes radiothérapies et chimiothérapies entre midi et deux pour éviter de perturber le service", assure-t-elle. Mais en mai la fatigue et les effets secondaires se font sentir. "Yves Jégo me reçoit alors dans son bureau et me conseille de m'arrêter. Il me dit qu'il a déjà quelqu'un pour me remplacer le temps que je revienne. A ce moment-là, je me doutais de rien et je pensais en effet qu'il valait mieux s'arrêter. J'étais très fatiguée."

Elle s'arrête le 1er juillet 2009. A sa place, le conseil d'administration de l'office nomme Jean-Philippe Sudre. Un proche d'Yves Jégo qui, sur son blog — ouvert quelques mois avant sa prise de poste — clame son "admiration toute particulière" pour le maire. Dès le 22 juillet, le conseil d'administration, sur proposition d'Yves Jégo, déclasse Brigitte Brevan en directrice générale adjointe alors qu'elle est censée reprendre son poste début septembre. "Je reçois un avenant à mon contrat courant août, je comprends qu'ils essaient de m'écarter alors que je suis malade. Je refuse de le signer". "Dès ce conseil d'administration, il est évident qu'Yves Jégo fait tout pour l'écarter", confie un administrateur sous le couvert de l'anonymat. Ce déclassement n'a d'ailleurs même pas été inscrit à l'ordre du jour du CA, contrairement à ce qu'impose la loi.

Elle espère pouvoir se battre à son retour à la rentrée. Mais la maladie est trop forte. Elle est contrainte de s'arrêter un an et doit reprendre son poste début juillet 2010. "J'avais fini par accepter de revenir en tant que directrice générale adjointe. Ce poste était moins exposé." Mais le retour se passe très mal : son nouveau bureau est mal équipé, éloigné de ceux de la direction, ses nouvelles missions sont minimales et on ne lui donne pas les moyens de les accomplir. "Jean-Philippe Sudre tente de me piéger en m'autorisant à faire des astreintes depuis chez moi, puis en me reprochant de n'être pas venue", affirme-t-elle.

Impossible de recueillir l'avis de Jean-Philippe Sudre sur ces accusations. Malgré de multiples tentatives pour le joindre, il n'a pas répondu à nos questions. Dans un communiqué envoyé en réponse, il affirme seulement que "madame Brevan tente manifestement, en période électorale, de faire dévier un contentieux administratif ordinaire vers un terrain politique et médiatique" et que "Confluence Habitat n'entend pas se prononcer sur les différentes allégations publiques de son ancien agent".

OUVERTURE D'UNE ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE

Epuisée par cette placardisation, elle fait appel à l'inspection du travail. PV pour harcèlement au travail. Le parquet de Fontainebleau ouvre une enquête préliminaire. Mais le 13 septembre, elle reçoit sa convocation pour un entretien préalable à licenciement. Cause officielle : suppression de poste pour réaliser des économies. L'office, certes en très grande difficulté financière, fait pourtant trois nouveaux recrutements au même moment. Par ailleurs ce nouveau changement de tête se fait au mépris des inspecteurs du ministère du logement qui dans un rapport très sévère sur la gestion de l'office, ont pointé le manque "d'une direction stable et compétente".

C'est Yves Jégo lui-même qui la reçoit pour son entretien préalable. "Il me promet de m'aider à retrouver un emploi et de favoriser un accord entre nos avocats", assure-t-elle. Sollicité, Yves Jégo s'est contenté de renvoyer au communiqué de Confluence Habitat.

Le conseil d'administration ne fera que prendre acte de ce licenciement en novembre. Un des administrateurs, Michel Graveline, ne cache d'ailleurs pas son inquiétude face aux conditions de ce licenciement. "Ce qui me gêne c'est que cette affaire transpire très largement à l'extérieur et j'aimerais bien ne pas être interpellé sur un différend intérieur à l'office", lâche-t-il ainsi en comité technique paritaire.

Face à l'échec des négociations entre avocats, Brigitte Brevan décide de porter plainte contre X... le 5 février pour discrimination en raison de l'état de santé et harcèlement moral. Parallèlement, elle conteste son déclassement et son licenciement devant le tribunal administratif. Autant d'actes très rares à ce niveau de responsabilité et dans un monde politique où l'on préfère souvent régler les différends en coulisses. "Je fais ça parce que ce monde d'hommes a cru pouvoir m'avoir parce que je suis une femme", insiste-t-elle à nouveau, après avoir raconté son histoire.


Jean-Baptiste Chastand

Une gestion sévèrement critiquée

C'est peu dire que les inspecteurs du ministère du logement sont très sévères sur la manière dont l'office HLM de la ville dont Yves Jégo est maire depuis 1995 est géré. "L'analyse de la situation financière prévisionnelle de Confluence Habitat fait apparaître l'absence de perspective de redressement", assurent les inspecteurs de la Mission interministérielle d'inspection du logement social dans leur rapport (.pdf) rendu en août 2010 et dont Le Monde.fr a pu se procurer une copie "blanchie" par les services du ministère.

"Coûts de gestion exorbitants", "effectifs deux fois supérieurs à la médiane nationale", "absentéisme important", "taux de vacance élevé" : les maux de l'office sont nombreux et entraînent une "situation financière critique", assurent les inspecteurs. "Une faible rentabilité et une structure financière défavorable conduisent à s'interroger sur la continuité de l'exploitation de l'office", écrivent diplomatiquement les rapporteurs, avant d'ordonner : "Confluence Habitat doit rapidement mettre en œuvre les mesures nécessaires à son redressement".

Mais surtout, les inspecteurs pointent le manque "d'une direction stable et compétente". "Entre 2005 et 2008, l'office aura connu trois directeurs différents", sans compter Brigitte Brevan et Jean-Phillipe Sudre qui se sont succédé depuis 2008, ce qui "ne favorise pas une gestion efficace et nuit au redressement de l'organisme". Le vice-président de l'office, James Chéron, par ailleurs directeur de cabinet d'Yves Jégo à la mairie de Montereau, avait l'habitude d'animer une réunion de direction chaque semaine, au mépris de la loi. "Je continue encore aujourd'hui à convoquer des réunions, persiste-t-il malgré tout,  je ne sais pas comment font les autres offices, mais si le vice-président ne peut pas se retrouver régulièrement avec la direction, il ne sert à rien."

Le rapport critique également la politique d'embauches massives menées par l'office, notamment en 2007 et 2008. "C'était autour des élections municipales. On me disait qui il fallait recruter" témoigne Brigitte Brevan. Elle-même récrutera sa fille comme secrétaire en 2009, au risque d'être mise en cause pour prise illégale d'intérêts. "J'ai longtemps eu des difficultés avec ma fille et je pouvais enfin l'aider. La mairie faisait bien recruter ses propres candidats. Je ne voyais pas pourquoi je ne pouvais pas aussi en profiter", se justifie-t-elle désormais. "Cette pratique est répandue dans l'office", assure Christian Ferrand, délégué CGT.

 

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  • ALAIN LOUIS 16h31

     Ce parti est répugnant tout comme sa politique , conforme à ce que l'on peut attendre d'un parti qui brise la cohésion de ce pays chaque jour un peu plus et qui s'est trouvé un gourou totalement incompétent que tout le monde vénère Répondre


  • tou 12h26

     Sur mon lieu de travail, j'assiste à la même affaire. Une de mes collègues est tombé malade d'un cancer. Elle a du s'arrêter pour se soigner. Après quelques mois d'arrêt, on l'a avertie qu'elle risquer de ne plus pouvoir reprendre son poste. En fait on était en train de l'avertir qu'elle devrait penser à aller ailleurs. Elle a réussit à reprendre son poste malgré son état. Depuis tout est fait pour qu'elle s'en aille. Son remplaçant a été maintenu et à elle on lui donne des taches ingrates... Répondre


  • Hugues Talbot 11h36

     Elle a raison de s'exprimer, elle n'a plus rien à perdre. Malheureusement la plupart des gens s'écrasent car monter au créneau garanti de ne jamais retrouver le même niveau de responsabilité. Si ce qu'elle dit est vrai le comportement de cette mairie est odieux. Répondre


  • G. Ch. 15/03/11 - 09h35

     Pour qui a remarqué les interventions TV et les prestations du très sarkozyste Jégo au fil du temps, un piège à éviter : le délit de faciès ! Car si en le regardant on se fie à son instinct, beurk... Répondre


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