26 novembre 2010

Quand en mars nous avons fait nos premiers pas dans le quartier pour ce blog, nous avons trouvé de nombreuses portes closes, des visages fermés, des regards méfiants. Nous étions journalistes, et en tant que telles, de toute évidence pas les bienvenues dans ce quartier qui en a vu débarquer des tas avant nous, ces quarante dernières années. Comment ne pas se souvenir de cette fois-là où nous rendions visite à une association de femmes… La porte s’est ouverte sur un joyeux sourire avenant, qui s’est brusquement inversé lorsque nous nous sommes présentée.

Mais ce n’était en fait qu’une question de temps. Ça n’a l’air de rien, mais c’est crucial dans notre métier, à l’heure où de nombreuses rédactions restreignent drastiquement les possibilités de reportage pour réduire les coûts. C’est une des choses que nous a confirmées cette expérience du blog : avoir le temps, c’est extrêmement précieux. Surtout quand on est en terrain “sensible”, comprenez “à fleur de peau”.

Samira, Abdel et Annie lors d'un comité de voisinage, fin juin

Le temps nous a ainsi permis de tisser doucement une relation de confiance avec des habitants, qui ont accepté de nous ouvrir leurs portes, de nous faire rencontrer leurs familles, de nous décrire leurs conditions de vie, en sortant de l’urgence et des petites phrases toutes faites qu’on peut attraper au vol quand on n’est là que pour quelques heures, pour “ramener un sujet”.

Saïd dans le tram Le temps nous a permis aussi de devenir nous-mêmes témoins. Nous avons vu par exemple la barre Balzac se vider de ses habitants, ses cages d’escalier murées, le lieu de deal jusqu’ici au bas de la barre se déplacer vers les porches des immeubles voisins. Nous avons constaté de nous-mêmes les ascenseurs en panne à répétition. Nous avons compris que le petit panneau “les policiers sont en îlotage dans le quartier” accroché en permanence sur la porte du poste de police créé en 2005 entre Balzac et la Tour était un mensonge, confirmé par les toiles tissées sur la porte par les araignées : par manque d’effectifs, voilà longtemps qu’aucun policier n’est plus affecté au poste du quartier, qui a même servi de bureau de Poste cet été pendant les travaux de la Poste du quartier. La nouvelle Poste, parlons-en : depuis qu’elle a rouvert à la rentrée, au bas de la Tour, il n’y a toujours pas de boîtes aux lettres accessibles, il faut entrer donner sa lettre en main propre au postier. Pratique, non ? Peu à peu, nous avons compris ce que voulaient dire les habitants du quartier quand ils confiaient avoir l’impression de ne pas être considérés comme des citoyens comme les autres. Mais nous avons vu aussi les moments forts de convivialité que tous nous décrivaient, nous avons compris que ce quartier était aussi un petit village auquel on pouvait vite s’attacher. Que quand la confiance était là, alors les gens donnaient beaucoup, plus qu’ailleurs.

Au risque parfois de se faire durement prendre à parti par des lecteurs du blog, d’ailleurs. À la lecture de certains commentaires méprisants, nous nous sommes souvent demandé, découragées, si nous avions su bien expliquer ce que nous avions vu, entendu, compris. Si nous n’avions pas trahi ceux qui nous avaient fait confiance. Nous aurions voulu faire tomber certains a priori. Mais nous avons souvent eu l’impression désagréable que malgré nos efforts, certains ne voulaient pas entendre, ne voulaient pas voir, ne voulaient pas s’ouvrir à la réalité que nous décrivions.

Nasreddinne en Bretagne avec Fatima, Zara et Aminatou Nous repensons à notre reportage en Bretagne, avec ces jeunes filles tellement joyeuses de sortir un peu de la cité. Nous repensons à Abdel, à son parcours du bidonville au pavillon et sa quête incessante de compréhension. Nous repensons à Samira, blessée dans sa position de maman. Nous repensons à Annie, qui lutte chaque jour pour vivre avec 500 euros par mois. Nous repensons à Saïd, qui sous un vernis de “jeune de banlieue”, cache des questionnements de jeune tout court. Nous repensons à Abdou et son trajet Moroni-La Courneuve, à ses rêves d’enseigner qui se sont fracassés sur la réalité de “l’intégration”. Et nous repensons enfin à tous ces commentaires virulents que, en notre âme et conscience, et sans aucun scrupule ni peur d’être accusées de censure, nous n’avons pas validés, mais qui disaient tant de haine de l’autre. Et nous comprenons alors que, comme dit Nasreddinne, “la route est longue”.

Le blog nous a aussi permis de rencontrer de nouveaux interlocuteurs, d’avancer sur d’autres problématiques, d’envisager d’autres perspectives. En 2011, la barre Balzac sera détruite, un événement historique pour le quartier. Le Monde.fr nous a proposé de nous donner encore du temps, pour écouter, comprendre et, nous l’espérons, détruire quelques images d’Epinal. Les posts seront moins fréquents, mais le reportage continuera donc l’année prochaine.

Avant de vous quitter pour quelques mois, nous voudrions sincérement remercier les internautes fidèles qui régulièrement nous ont encouragées dans notre démarche et parfois même défendues contre nos détracteurs. Vous n’avez pas idée de combien vos commentaires ont été précieux pour nous et pour les habitants du quartier qui nous en ont souvent parlé, vraiment émus d’être entendus. Nous voudrions aussi remercier Le Monde.fr de sa confiance et de sa démarche rare de soutenir le reportage au long court.

Chez Abdou, un soir de Ramadan Et bien sûr, nous voudrions par-dessus tout remercier chaleureusement Annie, Samira, Saïd, Nasreddinne, Abdou et Abdel pour avoir eu la patience de répondre à nos innombrables questions et pris le temps de nous montrer ce que nos yeux ne voyaient pas.

Aline et Elodie.

 

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Commentaires

  1. Merci aux auteurs et aux habitants des 4000 pour cette chronique. Continuez et gardez courage !

  2. […] Prenons le temps - Urbains sensibles - Blog LeMonde.fr lacourneuve.blog.lemonde.fr/2010/11/26/prenons-le-temps/ – view page – cached “On aspire aux mêmes choses que les habitants de Neuilly !” Accueil 26 novembre 2010 Tweets about this link […]

  3. bravo les filles…

  4. Vous effleurez ce pourquoi vous avez réussies.

    Vous avez été prises en considération … parce que vous leur avez apporté de la considération.

    L’intégration, la volonté et l’action de s’en sortir, sont le résultat de la considération que tout un chacun apporte à l’autre.

    Bon courage. Continuez . Merci !

  5. Bravo pour ces reportages intelligents qui m’ont beaucoup appris et à bientôt !

  6. Alors, l’aventure se termine… pour l’instant visiblement. Petite pause en attendant de nouvelles?
    En tout cas, j’ai l’impression de les connaitre un peu maintenant, Samira, Dayas, Annie et tous les autres. Oui, ce fût intéressant et j’espere que vous nous donnerez des nouvelles des uns et des autres de temps en temps!

  7. Bravo pour ce travail de journalisme - Dire la vérité de ce que l’on voit, parler du quotidien et sortir des clichés.

    Quel dommage si cela devait s’arrêter ! Quel dommage que ce ne soit pas dans l’édition papier mais juste… un blog.

    Pourtant, quelques colonnes chaque jour en mode “feuilleton”, ça ferait tellement de bien…

  8. Bravo. Continuez.

  9. Revenez vite !

  10. Bonjour,
    Comment prendre contact avec les 2 responsables de ce blog. Prof en archi, j’oblige mes étudiants à regarder la réalité ; je trvaille avec les femmes relais de Pantin et je voudrais bien avoir des contacts à la Courneuve.
    Cordialement,

  11. Excellent blog, j’ai toujours trouvé les posts intéressants et je me rejouis qu’il y en aura d’autres.


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