09 mars 2011

Au début du siècle dernier, quelques idéalistes conduits par les écrivains Romain Rolland et Maurice Pottecher réalisèrent le rêve révolutionnaire d’un théâtre dédié au peuple. « Le théâtre du peuple (…) est l’expression impérieuse d’une société nouvelle, sa voix et sa pensée ; et c’est, par la force des choses, dans les heures de crise, sa machine de guerre contre une société caduque et vieillie », écrivait Romain Rolland en 1903. L’expérience fut riche et belle, même s’il reste aujourd’hui peu de chose du répertoire dramatique de Rolland ou Pottecher…

Ces jours-ci, à Saint Etienne, le 8ème « Festival des arts burlesques » offre une certaine version de ce que peut être aujourd’hui un “théâtre du peuple” Certes, cette manifestation mise un peu trop sur la facilité, notamment parce que, sous couvert de « burlesque », elle programme essentiellement des « comiques », ce qui est un peu réducteur.

anne_roumanoff_reference.1299680363.jpg

Anne Roumanoff, marraine du 8e Festival des arts burlesques, à Saint Etienne

Mais le plus grand charme du festival, c’est d’être adossé à un lieu qui symbolise assez joliment ce que peut être une entreprise culturelle portée « par et pour le peuple ». Statutairement, ce lieu n’est autre qu’une Maison de la jeunesse et de la culture, mais cette MJC s’est dotée d’un plateau et d’une régie dignes de certains Centres dramatiques nationaux. Parfois, elle accueille des créations avant même que celles-ci soient programmées dans l’Opéra de la ville. Or les murs de ce lieu furent construits presque artisanalement, sur des ruines, au début des années 2000. « Notre théâtre est entièrement participatif : tout est fait avec l’aide des habitants, des associations… Bref, avec le public ! Par exemple, chacun a mis la main à la pâte pour le reconstruire », se félicite Michel Mazziotta, directeur de ce « Nouveau Théâtre de Beaulieu », situé dans un des quartiers les plus difficiles de Saint Etienne, en face d’un hôpital, lui-même construit sur les vestiges d’une gigantesque tour HLM surnommée la « muraille de Chine »…

Récemment, la façade du théâtre a été entièrement repeinte pour la modique somme de 3 000 euros - tandis que la mairie en était à son cinquième appel d’offre infructueux à 30 000 euros. Partenaire de la « protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) et de tous les centres sociaux de la ville, la MJC fait partie des lieux où l’on peut faire des « travaux d’intérêt généraux »… en apportant sa pierre à l’édifice du théâtre. En outre, les bénévoles ne manquent pas à l’appel, comme cet ancien cadre supérieur mis à la retraite anticipée, qui consacre désormais tout son temps et toute son énergie à la gestion du « Nouveau Théâtre », juste pour l’amour de l’art… Rien de tel, en effet, que d’associer la population à la vie quotidienne d’un tel lieu pour le rendre accessible à tous.

p0032.1299680663.jpg

Parade burlesque organisée le 8 mars dans les rues de Saint Etienne pour l’ouverture du Festival

Reste la subtile question de la programmation : idéalement, il faudrait être populaire sans être populiste… Or le « Festival des arts burlesques » réunit essentiellement des humoristes que l’on peut voir ou entendre chaque jour dans les médias : d’Anne Roumanoff, la marraine du festival, à Christophe Alévêque, autre pilier de la manifestation, en passant par Audrey Lamy, Dany Mauro, Jérôme Commandeur, ou le jeune Sanaka…

« Le comique est au théâtre ce que le hip-hop est à la danse : c’est une porte d’entrée dans la culture », affirme Michel Mazziotta pour justifier ces choix, tout en confiant que le stand up, si « populaire » soit-il, n’est pas sa tasse de thé. A la fin des années 1940, lorsque Jean Vilar inventait « le » théâtre populaire au premier festival d’Avignon, il ne forçait pas tant son caractère, et programmait Claudel et Shakespeare. Loin de miser sur la démagogie pour s’adresser au peuple, il conciliait au contraire à merveille ce qu’on sépare presque toujours aujourd’hui: « un public de masse, un répertoire de haute culture, et une dramaturgie d’avant-garde », pour reprendre les termes d’un beau manifeste publié en 1954.  


Commentaires

  1. Le succès des ” Folles Journées” à Nantes et ailleurs dans le monde prouve que l’on peut viser très haut et attirer un très large et nombreux public sans avoir à faire du racolage avec de la culture facile digne du Pétomane.

  2. Chère Judith Sibony, votre article est à la fois beaucoup et trop peu. Beaucoup par ses références (à Romain Rolland, Maurice Pottecher, Jean Vilar…) Trop peu parce qu’il ne dit pas à quelles conditions de prix de participation (des spectateurs) sont offerts des spectacles qui ressemblent en effet à une réunion de comiques bien connus. Rien à redire en revanche sur les efforts d’une MJC dotée d’un outil théâtral de qualité.
    Mais encore, sur des termes comme “festival”, “populaire” ou “burlesque”, il y aurait à dire. Je ne confonds pas Arts de la rue ou Royal de Luxe (qu’il fallait bien financer tout de même en ses interventions) avec un Festival des arts burlesques, sauf que vous donnez une photographie de parade… En somme, sans trop jouer de la “participation” populaire, et en restant au second degré, vous m’avez forcément fait songer à l’esprit du théâtre des artisans dans LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE, sans doute pas étranger à Pommerat et à son Estelle de MA CHAMBRE FROIDE. Car, pour faire d’une pierre deux coups : j’ai vu ce spectacle, ai trouvé que l’humour y était finalement assez noir sur l’entreprise (que l’on songe ou non à Vinaver), ai bien aimé votre compte rendu, même si le théâtre selon Pommerat m’a paru plus échappatoire que solution de “vraie vie”.
    Vous me passerez ces rapprochements rêveurs : il faudrait que j’aille y voir de plus près à Saint-Etienne, où sans doute on paye sa place comme à l’Odéon, ce qui n’est pas scandaleux. Mais combien ?

    Enfin, il y a toujours dans la “burla” la nuance d’une tromperie. Si elle est heureuse, tant mieux !

  3. […] Lire la suite sur : Le Monde Url de l’article : Blog - Splendeur et misère d’un “théatre du peuple”. Présent dans : La Une | […]

  4. […] Lire la suite : Blog – Splendeur et misère d’un « théatre du peuple » Cet article est sur : Le Monde […]

  5. Bravo pour “la main à la patte” !!! C’est ainsi qu’on devient “cinquipède” ?

  6. Bravo à l’artiste ! Il faut saluer la réussite qui consiste à parler de théâtre populaire à St Étienne sans parler de Jean Dasté et du centre dramatique de la Cité des mineurs, coopérative ouvrière qui fut l’une des premières compagnies de la décentralisation.

  7. […] http://theatre.blog.lemonde.fr/2011/03/09/splendeur-et-misere-dun-theatre-du-peuple/ […]

  8. Merci d’avoir supprimé mon commentaire. Si on peut même pas mettre de signature marrante.

  9. Bonjour Judith,

    Je suis le trésorier du Nouveau Théâtre Beaulieu et également “cet-ancien-cadre-supérieur-mis-à-la-retraite-anticipée-qui-consacre-désormais-tout-son-temps-et-toute-son-énergie-à-la-gestion-du-Nouveau-Théâtre-juste-pour-l’amour-de-l’art…” dont vous parlez dans votre “papier”.

    Vous regrettez que le festival fasse la part trop belle au “comique”; j’ai bien l’impression que, comme tout le Monde, vous n’avez retenu que les têtes d’affiche connues de tous (Roumanoff, Alévêque etc.) en oubliant les autres qui constituent la moitié de la programmation.
    Je ne citerai que “Trinidad”, qui en plus de son statut de chroniqueuse au Fou du Roi, sait entraîner son public dans une vraie histoire, drôle, belle et tendre.

    J’attire votre attention sur le fait que l’accueil de stars de l’humour dans des salles importantes à Saint Etienne nous conduit à développer un plan de communication important qui les nomme tous à parité (voir, en particulier, l’espace attribué à chacun dans le programme du Festival, l’ordre de citation étant l’ordre chronologique des spectacles).

    J’ai repéré aussi “la main à la patte” (heureusement corrigée depuis !); les bénévoles ne prennent pas leur pied avec la main, ils ont d’autres loisirs !

    Pour l’information de vos lecteurs, les prix des spectacles s’étagent de 0 à 33 €.
    avec un prix médian de 13.50 €

    Bien à vous

    Pierre

  10. Je reviens simplement pour remercier Pierre Gonon de ses précisions, tant sur l’équilibre d’un programme que sur le prix des places. Au reste, mon “combien ?” ne touchait pas seulement ce prix, mais ce qui était en jeu de part et d’autre, dans l’offre comme dans la demande.
    Je trouve très bien qu’il y ait ici débat.
    D’autant que, même si c’est sans doute une autre question que celle d’un Festival, des théâtres subventionnés, y compris de la proche banlieue parisienne, souffrent d’une bien réelle recentralisation, qu’elle soit l’effet d’une offre plus forte dans la capitale ou d’un nouveau découragement à se déplacer, même dans des lieux bien desservis. Les CDN en danger sont connus, et je vous passe leurs noms. Il se trouve, à mon sens, que les productions ou les captations télévisées n’arrangent guère les choses, pour ce que l’on peut encore appeler le spectacle vivant.

    P.S. Je n’ai certes pas, pour ma part, oublié le nom de Jean Dasté, pas plus que ceux d’autres grands directeurs d’entreprises de théâtre de province.

  11. bonjour je viens de lire l’article qui est je trouve vraiment très intéréssant et qui donne envie de voir la pièce qui se trouve abordable niveau prix a tous


Laissez un commentaire