A la Une > Idées

L'éclairage de Martin Wolf

La zone euro survivra

LE MONDE ECONOMIE | 14.03.11 | 18h02  •  Mis à jour le 14.03.11 | 18h19

 

La "une" du "Monde Economie", daté 15 mars 2011.

La "une" du "Monde Economie", daté 15 mars 2011.DR

Le 16 décembre 2010 à Bruxelles, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont solennellement déclaré qu'ils étaient prêts à "faire tout le nécessaire " pour protéger la zone euro. Même si elle doit connaître de nouvelles difficultés, l'Union monétaire a, quoi qu'il en soit, toutes les chances de survivre.

J'avancerai trois arguments pour étayer cette conviction. Tout d'abord, la zone euro s'appuie sur un engagement politique fort ; deuxièmement, les intérêts à long terme des pays membres sont liés à sa survie ; enfin, ses membres ont les moyens de la faire perdurer. Bref, la volonté et les ressources qui doivent permettre de maintenir à flot cette expérience de monnaie unique sur le Vieux Continent sont avérées.

C'est ce que démontre un récent rapport, "L'Europe fonctionnera", publié par Nomura Global Economics sous la direction de John Llewellyn et Peter Westaway. Le texte rappelle que la zone euro est le résultat d'un processus d'intégration qui a débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Même si le souvenir de la guerre s'est estompé, l'"idée" européenne reste un projet existentiel pour les dirigeants actuels. De plus, l'hypothèse selon laquelle l'intégration économique produirait de puissants intérêts en faveur de sa perpétuation a de nombreux défenseurs. Enfin, les conséquences d'une désagrégation même partielle de la zone euro seraient incertaines et effrayantes.

C'est pourquoi, même si ceux qui stigmatisent le comportement désinvolte de certains pays membres sont nombreux en Allemagne, l'élite y reste consciente des dangers de l'isolement et des avantages que le projet européen a procurés au pays dans sa relation avec ses voisins. Quant aux dirigeants des pays aujourd'hui en difficulté, ils redoutent le statut d'exclu dans lequel les mettrait une sortie de la zone euro.

Cela ne signifie pas pour autant que des ruptures soient inconcevables. L'Allemagne sortirait de la zone si sa classe politique parvenait à la conclusion qu'y rester devenait incompatible avec la stabilité monétaire ; les pays périphériques, s'ils en arrivaient à penser qu'y demeurer devenait incompatible avec la prospérité. Ni l'une ni les autres ne sont à la veille d'une telle décision. Et si des restructurations de dettes sont très probables, le détachement d'un ou de plusieurs pays de l'Union monétaire l'est beaucoup moins.

Paradoxalement, la tragédie de la zone euro est qu'elle a trop bien fonctionné. La convergence des risques perçus a stimulé celle, accélérée, des revenus. Dans l'euphorie du moment, des prêteurs imprudents ont donné aux emprunteurs la corde avec laquelle ils allaient pouvoir se pendre, qu'il s'agisse de gouvernements irresponsables (comme en Grèce) ou de stupides entités privées (comme en Irlande ou en Espagne). Le résultat ? Un endettement colossal.

Les plus aveugles des prêteurs finissent toujours par recouvrer leurs esprits. Mais quand ceux issus du secteur privé resserrent le noeud coulant, les dettes théoriquement privées ont tendance à se transformer en dette publique, les gouvernements s'efforçant de sauver les systèmes financiers.

Même des pays disposant de finances publiques saines, comme l'Irlande et l'Espagne, se retrouvent alors en proie aux difficultés. La dette publique irlandaise devrait passer de 25 % à 125 % du produit intérieur brut (PIB) entre 2007 et 2013, le tiers environ de cette hausse étant dû au sauvetage des banques.

La bonne nouvelle, c'est que les marchés ont reconnu leur erreur. La mauvaise, c'est qu'ils l'ont fait à une échelle trop spectaculaire. Ce qui a entraîné un énorme problème d'endettement dans les pays en difficulté, et flanqué une terrible migraine à la zone euro.

Comme le souligne le rapport de Nomura, la gestion de la dette publique dépend de trois facteurs : le déficit budgétaire primaire (avant paiement des intérêts) ; la "boule-de-neige" (le rapport entre taux d'intérêt et croissance potentielle) ; l'impact sur la dette publique des ajustements "flux-stocks" - il s'agit de la nécessité de sauver les banques, ou de "déflation par la dette" (hausse du poids de la dette due à la baisse des prix intérieurs ou aux dévaluations, lorsqu'elle est libellée en devises). Il est de la nature des crises d'aggraver fortement ces trois éléments.

Le fait que les pays endettés ont perdu beaucoup de leur compétitivité durant les années de convergence est particulièrement important pour la croissance potentielle, la position budgétaire et le risque de déflation par la dette.

Par rapport à celui de l'Allemagne, le coût unitaire de la main-d'oeuvre entre 1999 et 2007 a augmenté de 31 % en Irlande, de 27 % en Grèce et en Espagne et de 24 % au Portugal. Ces pays vont mettre beaucoup de temps à retrouver leur compétitivité.

Le rapport présente aussi des chiffres inquiétants sur l'ampleur de la tâche budgétaire qui attend les pays en difficulté. Imaginons que l'objectif soit de parvenir, avant 2030, à un ratio "dette publique-PIB" équivalant à 60 % - la norme fixée par le traité de Maastricht. Et imaginons que le taux d'intérêt ne soit que de 1 % supérieur au taux de croissance du PIB nominal brut. Le resserrement nécessaire du déficit budgétaire primaire structurel entre 2009 et 2020 devra être compris entre 16 % et 18 % du PIB en Grèce, 14 % et 16 % en Irlande, 10 % et 12 % en Espagne et 8 % et 10 % au Portugal.

L'ampleur du défi s'explique en partie par la taille des déficits budgétaires initiaux : 9,8 % du PIB en Grèce, 9,7 % en Irlande, 7,5 % en Espagne et 5,4 % au Portugal. Il n'est pas surprenant que les marchés aient été réticents à financer de manière durable ces pays.

Il s'agit là de gigantesques challenges. J'ai du mal à croire que l'on parvienne partout à éviter une restructuration de la dette. Je trouve impardonnable que le dernier gouvernement irlandais ait garanti l'endettement des banques de manière aussi insouciante et que le reste de l'Union européenne l'ait approuvé. Qu'un pays détruise son propre crédit pour sauver les créanciers de ses banques est une faute grave. Loin d'arranger les choses, qu'il le fasse en grande partie pour protéger les systèmes financiers dans d'autres pays ne fait que les aggraver.

Cela dit, les restructurations de dettes ne représentent pas un danger mortel pour la zone euro. Il est important de garder à l'esprit que la Grèce, l'Irlande et le Portugal ne représentent que 6 % du PIB de l'Union monétaire. Par ailleurs, la dette publique totale de la zone n'équivaut qu'à 84 % de son PIB, tandis que son déficit budgétaire est de 6 %. Ces deux chiffres sont meilleurs que ceux des Etats-Unis.

Mais la zone euro doit réaliser trois objectifs : stopper les paniques bancaire et budgétaire ; aider les pays en difficulté à recouvrer leur santé économique ; mettre en place un régime capable d'éviter de nouvelles crises. Pour atteindre ces objectifs, l'Union monétaire dispose d'un énorme avantage : la fin de l'euphorie de la convergence. Mais elle bute sur le fait que certains de ses membres sont plongés dans d'énormes difficultés. Les idées actuellement débattues en son sein seront-elles à la hauteur des défis ?

Cette chronique est publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times".

(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)

 

Martin Wolf, éditorialiste au Financial Times
 
Dans la rubrique Idées