17 mars 2011

Et voilà, comme chaque année, le retour de la grande foire du livre français - une grande foire que j’évite consciencieusement pour ma part, mais ce n’est pas pour autant que je ne vous recommande pas d’aller en parcourir les allées et même de prendre le temps d’aller écouter quelques conférences (celles sur le numérique notamment qui risquent d’être bien convenues, mais peut-être y trouverez-vous quelques pépites).

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Comme chaque année, beaucoup d’effets d’annonce. Certains intéressants. D’autre pas. Je retiens pour ma part, le fait que l’organisation du numérique culturel pose partout question et que tout le monde cherche une réponse en ordre dispersé. Les initiatives sont nombreuses : entre la région Rhône-Alpes qui se pose des questions pour savoir comment participer et accompagner la filière culturelle sur le domaine et les propositions de Laboratoire du livre lancé par la mairie de Paris (un lieu de 500 m² dans le 5e arrondissement de Paris qui a vocation à créer de l’échange autour de l’édition numérique et à incuber des starts-ups et des porteurs de projets autour de l’édition), ou encore de l’initiative if:lire lancée par Samuel Petit d’Actialuna et Alain Pierrot, (une déclinaison française de If:Books, l’Institut pour le futur du livre américain fondé par Bob Stein)…

Les initiatives sont nombreuses disais-je (et on ne voit pas celles qui ont lieu en interne dans bien des maisons d’édition)- pensons également au Labo BNF, à l’Atelier Français qui explorent ces questions - j’en oublie, mais je sais que vous me les signalerez en commentaires - mais elles demeurent encore souvent dispersées et isolées les unes des autres, quand elles ne sont pas concurrentes (notamment sur les financements)…

En France, les catalogues de livres électroniques gagnent de l’importance grâce au travail et à la lente et patiente structuration de toute une chaîne du livre (composée d’acteurs traditionnels, d’acteurs du numériques et de nouveaux entrants). Les supports se démultiplient (malgré l’échec du FnacBook, qui se voulait pourtant le pendant du Kindle avec un écosystème intégré), on sent chaque année que l’effervescence sur le sujet grandit. Mêmes les consommateurs se réveillent ! C’est preuve qu’ils sont aussi plus nombreux.

Face aux éditeurs traditionnels (qui ne sont pas inactifs sur le sujet, mais qui sont souvent moins dynamiques pour montrer ce qu’ils font que bien des petits acteurs), on compte désormais de nombreux projets déjà structurés (citons au hasard Izneo et AveComics, Immateriel, ePagine, Feedbooks, Babelio…), et de nombreuses petites maisons d’éditions numériques - souvent pure player - conquérantes (Publie.net, Bragelonne, NumerikLivre, Smartnovel, StoryLab…) - mais fragiles (comme le montre l’échec de Leezam).

Le succès de l’App Store d’Apple renforce l’effervescence actuelle… Il ne se passe quasiment pas un jour sans que je reçoive un communiqué de presse m’informant du lancement d’un nouveau livre au format applicatif sur iTunes. Pour l’essentiel émanant de société de développement ou de développeurs tentant l’aventure de l’édition (au hasard à nouveau Les éditions du nuage, Walrus-books, Bolivart, Byook…). Des projets et des réalisations variés, avec des propositions de navigation souvent moins nouvelles que ne le clament leurs communiqués, mais qui investissent ce nouveau marché avec une réelle énergie.

Les 99 exposants regroupés sous la spécialité numérique reflètent mal l’énergie actuelle qui se déploie autour du numérique. Pour vraiment la voir, il faut plutôt lancer iTunes et consulter son ordinateur ou son mobile. C’est peut-être ce que vous ferez dans le métro en y allant ou en en revenant du Salon finalement… avec quelques livres papier sous le bras, parce que vous ne les aurez pas trouvé autrement. ;-)

PS : Pour suivre le salon du livre sur Twitter utilisez le #hastag dédié : #salondulivre.

PS : logolabonouvelleslectures.1300274072.pngJe boude le Salon du livre de Paris, mais pas celui de Genève qui se tiendra du 29 avril au 3 mai. Je participe au laboratoire des nouvelles lectures, un forum pour réfléchir à l’avenir de la lecture et qui propose un concours autour des nouvelles formes de lectures auxquels tout un chacun est invité à participer (5000 FCH de prix). Dans ce cadre, j’animerai avec Frédéric Kaplan une journée de formation et d’ateliers lundi 2 mai (130 places maximum).

16 mars 2011

Les supports induisent-ils des modes de lectures particuliers ? Comment se caractérisent les différents types de lecteurs électroniques ? On pourrait légitimement penser que leur comportements sont à peu près similaires. On savait pourtant déjà que les possesseurs de liseuses avaient plus tendance que les possesseurs de tablettes à lire des livres et à en consommer. L’étude de Michael Tamblyn est donc intéressante à bien des égards. Car pour construire des offres, il va falloir comprendre les différences entre les lecteurs et leurs habitudes de consommation.

Michael Tamblyn est le responsable des ventes de Kobo Reader, une société canadienne (filiale du groupe Borders, la chaine américaine de librairies qui s’est déclarée en banqueroute depuis février) qui fabrique et vend des liseuses sous sa marque - ainsi que sa librairie numérique associée . A TOC 2011, qui se tenait il y a quelques semaines à New York, il animait une table ronde pour aider à comprendre ce que voulait vraiment les lecteurs numériques, à l’occasion de laquelle il a fait une présentation qui mérite l’attention.

Kobo est aujourd’hui un petit acteur du livre électronique. Néanmoins, sa librairie électronique vend des livres à quelque 2 millions d’utilisateurs enregistrés.Son application de lecture gratuite et sociale (voir le billet que lui a consacré eBouquin) est la troisième de l’App Store (derrière l’application de l’iBookstore et celle du Kindle), mais est la première sur Blackberry et Androïd (et ce alors que le marché des applications disponibles pour Androïd est en train de rattraper celui d’Apple). Depuis mai 2010, ils se sont dotés d’une liseuse à 149 $ (mais il en existe des versions moins chères, rappelle eBouquin)… Voilà pour le contexte.

Visiblement, chez Kobo, on est un peu obsédé par les chiffres et l’équipe de Kobo tient une conférence quotidienne sur les données en provenance des clients, car pour l’instant, les profils d’achats et de lecteurs ne sont pas si simples à décrypter. De ces données qu’ils analysent quotidiennement, Michael Tamblyn et son équipe proposent de dresser 4 profils de lecteurs.

1. Les lecteurs sur liseuse
C’est le segment de clientèle le plus apprécié. Et pour cause. Ce type de lecteur dépense 35 $ en moyenne (des dollars canadiens, attention) a sa première visite, puis 20 à 25 $ chaque fois qu’il revient sur la boutique, en moyenne 7 fois par mois ! Ce sont des lecteurs continuels. Ils lisent de la fiction. Ils vont être des clients de longue durée. Ils payent 100 % de ce qu’ils lisent. Leur mode de lecture passe par le web, mais surtout via la liseuse Kobo. Chez ces clients là, la consommation de livre électronique s’accélère, dans le temps ainsi qu’à mesure que de nouveaux clients rejoignent la plateforme (un primoclient de février 2011 consomme plus qu’un primoclient de mai 2010) . Pourquoi est-ce que ça marche aussi bien ? Michael Tamblyn pense que c’est lié au fait qu’ils séduisent là un public de lecteur assidu, qui est motivé par l’amélioration des applications, des systèmes de recommandation et de commercialisation. Mais surtout, ce sont de meilleurs consommateurs de livres que les autres.

2. les lecteurs sur petit écran (smartphone)
En nombre, c’est le plus grand segment d’utilisateurs de Kobo. Ils achètent moins fréquemment et sont des clients qui dépensent moins que ceux qui consultent des livres sur un écran plus grand. A leur première visite, ils dépensent en moyenne 15 dollars. Ils font en moyenne une visite par mois et dépensent 7 dollars à chaque fois. Ils consomment surtout les contenus via leurs iPhone. Leur conversion est assez faible : c’est visiblement pour Michael Tamblyn, le moins bon canal de vente (peut-être aussi parce que Kobo a d’autres concurrents sur ce secteur). Ce sont des clients volatils (taux de désabonnement élevé) qui ont plutôt tendance à acheter de la romance qu’autre chose. Ce sont des consommateurs qui consomment à la fois des titres gratuits et des titres payants.

3. Les mondains de l’iPad
Ce segment n’est pas aussi intéressant que le premier. Ils dépensent en moyenne 22 $ à la première visite. Ils achètent presque fréquemment : ils dépensent en moyenne 16 $ par commande et font en moyenne 4,5 commandes par mois ! Depuis décembre 2010, ils bénéficient de l’application Reading Life (vidéo), dotée de fonctionnalités sociales (et de gratifications via des badges).

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Et cette application a des effets importants : les gens qui l’utilisent et la connectent à leur compte Facebook passent 33 % de temps en plus dans l’application. Cette application permet d’obtenir des statistiques de lectures plus précises montrant ainsi que les lecteurs du soir lisent plus que ceux qui lisent tard dans la soirée, depuis leur lit. Les lecteurs qui ont lu au cours de la journée (déplacement, repas…) passent plus de temps à lire ensemble. Les utilisateurs montrent également qu’il y a plus de lecteurs en soirée que de lecteurs en journée, par contre, les gens achètent principalement des livres électroniques entre 20h et minuit !

4. Le freegan
Le freegan (je ne sais pas comment traduire cela) ne dépense pas d’argent pour ses livres électroniques. Il les veut gratuitement. Le web est sa source première. Il dispose de plusieurs objets électroniques et cherche du contenu gratuit à charger sur chaque. Tous les utilisateurs qui lisent des livres électroniques gratuits ne sont pas des freegans, certains sont des paygans. Ces clients ont en moyenne quelques livres gratuits : 1 à 2. Les vrais freegans ont en moyenne 9 livres gratuits dans leur bibliothèque électronique et ils passent du temps à chercher activement des livres gratuits. Ils sont “scandaleusement” résistants à la commercialisation.

La conclusion de Michael Tamblyn est simple. Les données collectées servent à améliorer l’expérience de lecture de l’utilisateur. “Et c’est en connaissant mieux ses lecteurs qu’on va pouvoir améliorer les ventes”. CQFD. En tout cas, il a montré qu’il existait bien bien différentes catégories de lecteurs de livres électroniques, avec des comportements d’achats et de lectures différents et que ce comportement semble corrélé aux supports que les consommateurs utilisent. On avait déjà eu des esquisses de cela, mais en se focalisant sur la lecture de livres, la démonstration est plus éclatante, vous ne trouvez pas ?

01 mars 2011

Les appareils de lecture électronique s’adressent d’abord et avant tout aux gros lecteurs.

Mais également, bien souvent, contrairement à ce qu’on croit, aux plus âgés (les possesseurs de liseuses sont en moyenne plus âgés que les possesseurs d’iPad - les chiffres divergent encore un peu pour savoir qui des hommes ou des femmes sont les plus férus lectures électroniques (GoodReads, GFK)).

Depuis l’iPhone et l’iPad, on constate pourtant une grande vague de développement d’applications dédiées aux plus jeunes (et notamment aux enfants comme celles distinguées par la Kirkus Review), sans être capable d’apprécier réellement leur succès général… Quant à la lecture de livres électroniques pour les plus jeunes, elle était jusque-là un mystère. Or, révèle le New York Times, depuis Noël dernier, les chiffres de vente de livres électroniques pour adolescents sont en nette augmentation.

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Chez Harper Collins par exemple, on a noté une progression de 25 % de ventes de livres électroniques dans la catégorie “jeunes adultes”, contre 6 % les mois précédents. Une augmentation qui a attiré l’attention des éditeurs. Alors que les livres électroniques deviennent moins chers (on annonce un eReader à 35 £ au Royaume-Uni, certains imaginent même le Kindle devenir gratuit d’ici novembre, des tablettes à moins de 150 euros…), ils commencent à franchir les barrières démographiques et générationnelles. Parmi les titres pour ados disponibles sur le marché américain, beaucoup auraient doublé leurs ventes depuis Noël. “Il est encore trop tôt pour dire si les plus jeunes vont continuer à utiliser leurs liseuses ou s’ils vont s’en ennuyer et passer à autre chose”, distille prudemment Julie Bosman pour le New York Times.

Visiblement, certains parents américains et professeurs encouragent le phénomène : les parents en pensant que l’appareil va aider à donner le goût de lire, les professeurs en acceptant les appareils dans les classes au même titres que les livres papiers. Qu’importe le support, l’important est qu’ils lisent ! Mais visiblement, à en croire les exemples que donne le New York Times, on parle surtout ici d’enfants qui étaient déjà lecteurs avant de passer à l’électronique. Si l’appareil permet de redonner de la vigueur à la lecture, il se destine visiblement et avant tout (prix oblige) aux enfants appartenant aux catégories socio-professionnelles aisées, et ayant déjà certains atouts culturels dans leurs bagages.

Bien sûr, modère Publisher Weekly, il y a encore beaucoup de titres inaccessibles au format électronique. Mais cela n’entame pas la confiance de nombre d’éditeurs : “quand la lecture sociale va commencer à décoller, d’ici 12 à 18 mois, vous allez voir les adolescents rappliquer”, estime Dominique Raccah directrice de Sourcebooks. Le prix n’est pas nécessairement dissuasif, car bien des éditeurs ont fait des efforts pour ce public, comme le montre le top 100 des ventes de livres électroniques d’Amazon pour jeunes, au contraire, la plupart des éditeurs travaillent à des versions augmentées - souvent un peu plus chères - pour satisfaire les fans de séries. Le marketing dans le secteur est visiblement très agressif.

Reste encore à conquérir les écoles. En Amérique, où les écoles privées usent parfois de n’importe quel subterfuge pour attirer les élèves, offrir un cadeau électronique aux élèves est souvent bien vu. A l’école secondaire Clearwater en Floride, l’établissement a offert un Kindle à chacun des 2 100 élèves. Comme le dit le School Library Journal : aux Etats-Unis, les programmes pilotes de prêts de Kindle à l’école se multiplient. “C’est le signe d’un changement, estime la bibliothécaire Buffy Hamilton. Il a 5 à 10 ans, nous avions 1 à 5 ordinateurs par classe. Maintenant, nous avons des laboratoires, les bibliothèques ont des PC voir des unités d’ordinateurs mobiles. Peut-être suis-je trop optimiste ou naïve, mais d’ici 5 à 10 ans, ces programmes seront devenus communs.”

11 février 2011

Je suis toujours surpris qu’on évoque ces moteurs de recherche qui se veulent de niches sans l’être, comme c’est le cas des moteurs de recherche de livres électroniques comme Luzme ou LeatherBound pour n’évoquer que les derniers que j’ai vu passer - parmi des centaines (des milliers, les mots clefs “search” et “ebook” sur Delicious renvoient plusieurs milliers de moteurs plus ou moins dédiés à cela). Pour ma part, leur usage n’a tout bonnement aucun intérêt.

Etrange qu’aucun moteur de recherche de livres électronique ne trouve grâce à mes yeux. Car en même temps, nous sommes tous à la recherche d’une adresse unique où chercher - et être sur de trouver - des livres (comme de remplacer Amazon par Bibliosurf dans la tête des gens, n’est-ce pas Bernard). Et de ce côté-là, la plupart du temps, c’est soit à notre moteur de recherche généraliste que nous confions cette tâche, soit vers l’incontournable Amazon que nous nous tournons - puisque c’est lui qui dispose de la boutique la plus complète. Nul ne cherche purement des livres électroniques par rapport à des livres papier (sauf si vous êtes en train d’étrenner votre liseuse ou votre tablette reçue à Noël) : tout le monde cherche par contre des contenus spécifiques identifiés par un nom d’auteur et un titre (qu’ils soient de papier ou d’électronique, cela n’a pas beaucoup d’importance).

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Que cherche-t-on ?

Google ou Amazon ont un avantage. Quand on cherche un titre ou un auteur, ils renvoient un résultat. Google finit par nous envoyer vers le site de l’auteur ou sa page Wikipédia permettant de prendre connaissance de la liste de ses oeuvres. Amazon en dressant la liste des oeuvres référencées ne fait pas autre chose. Cela montre que bien souvent, on ne cherche pas que l’auteur ou le titre que l’on a en tête, mais qu’on veut que cette recherche organise quelque chose autour de ce que l’on cherche. Qu’il nous fasse une réponse autour de l’auteur et du thème.

On sait également que bien souvent nous n’allons pas trouver ce qu’on cherche. La plupart de mes recherches de titres ne m’amènent pas jusqu’au livre que je cherche. Mais ils m’amènent vers des pis-aller : un résumé bibliographique, des critiques, au mieux, des extraits (parfois copieux, notamment sur Google Books). Ces recherches m’amènent souvent jusqu’au bord de livre, c’est-à-dire jusqu’à son achat potentiel, sous forme papier ou numérique. Souvent, d’un clic, je peux décider d’accéder pleinement au livre. Mais je n’achète que rarement sans réfléchir pour ma part. L’achat d’impulsion que facilite le Kindle ou l’iPad est un concept marketing pour CSP++ (sauf si le prix du livre numérique est adapté, “On n’achète pas un livre numérique comme on achète un livre”, rappelait avec raison François Bon en décidant d’abaisser le prix de tout le catalogue de Publie.net).

Je n’ai pas les moyens pour ma part d’acheter tous les livres que ma boulimie me fait feuilleter.

Or ces services ne référencent pas les livres qui ont une forte probabilité de m’intéresser : ceux auxquels je peux pleinement accéder. La possibilité par exemple de pouvoir accéder à un livre qu’un auteur propose gratuitement sur son site internet (comme dernier Dan Gillmor, Mediactive) ou qu’on peut télécharger illégalement sur un site de partage, est pour ma part assez déterminante dans certains de mes choix. C’est certainement une déformation professionnelle qui me fait lire pour l’essentiel des services de presse que je sollicite, des livres que j’emprunte. Je suis bien conscient que ce n’est certainement pas la façon de faire de beaucoup de lecteurs.

Comment cherche-t-on ?

rownloadressourcebooks.1297443774.pngSouvent, on cherche un livre par le nom de son auteur et le titre du livre. Ce qui n’est pas idéal pour parvenir jusqu’à lui, tant les résultats vont être pollués par des centaines de références (sites de médias ayant évoqué l’auteur, sites de commerce en ligne…).

J’ai découvert récemment quelque chose d’assez efficace pour trouver un livre : chercher son “numéroISBN.rar” [Attention, certains sites génèrent automatiquement des réponses à ce type de requête, ne croyez pas pour autant que vous trouverez au bout le contenu de vos rêves ni que payer pour un contenu illégal - c’est bien souvent ce que finit par vous proposer ce type de requêtes - vous le servira sur un plateau d’argent. Au contraire ! Parfois le contenu que vous recherchez n’existe pas de manière illégale. Dans le domaine du livre, c’est encore très souvent le cas et notamment pour les livres en français].

C’est ce que propose par exemple ISBN LIB l’un des premiers moteurs de recherche dédiés au livre qui trouve grâce à mes yeux (pour des livres en anglais surtout). Les informations qu’il donne autour d’un livre sont plutôt intéressantes. Prenons l’exemple du dernier livre de Sherry Turkle, Alone Together (qu’on évoquait il y a quelque temps sur InternetActu : un livre que je me procurerai bien pour le feuilleter en détail, mais que je n’achèterais pas car lire un livre en anglais ne me procurera jamais un plaisir suffisant pour motiver la moindre pulsion d’achat de ma part) : il y a d’abord l’information sur le livre (il manque le blog de l’auteur et/où la page Wikipédia de l’auteur) qui est augmentée d’un champ de requête avec cet “ISBN.rar” et “Titredulivre.rar” permettant de regarder tout de suite si le livre est disponible sur les plateformes de téléchargement illégales ou les sites de streaming (ce qui n’est visiblement pas le cas pour elle). S’il ne l’est pas, vous avez accès à la rubrique “acheter ce livre” qui pointe la plupart des libraires de neuf et d’occasion (sans faire de distinction livre numérique livre papier).

Enfin, il y a une page de résultat permettant de lire des extraits (la plupart du temps, ça ne marche pas) et une page de critiques sur le livre (sans intérêt sur ce site : ici, on voudrait plutôt que la page référence les meilleures critiques sur le livre telles qu’elles paraissent dans l’actualité de la presse, comme c’est actuellement le cas par exemple autour du livre de Turkle - mais ces résultats vont se perdre avec le temps).

Ces 4 grandes catégories me semblent tout à fait pertinentes : elles résument bien l’information que je veux avoir autour d’un livre. Il n’y manque que les livres sur le même sujet ou les livres qui citent ce livre. Elles me semblent aussi plutôt dans le bon ordre. Du plus chaud au plus froid. Je veux d’abord savoir si je peux accéder au livre (gratuitement, puis de manière payante), si je peux lire un extrait ou avoir des informations pertinentes pour en décoder le contenu.

De ce que l’on trouve à ce que l’on propose

Quand j’ai vu cette fonctionnalité (numéroISBN.rar), ma première réflexion a été de me dire : on ne verra jamais de catalogue de bibliothécaire proposer ce type de liens… On ne verra jamais d’éditeurs non plus proposer ce type de liens. On verra peut-être des libraires le faire. Faciliter l’accès aux contenus que les gens cherchent est un moyen de rendre son site indispensable et perdre une vente permet certainement d’en gagner une autre… Pourtant, c’est là la fonctionnalité de base que l’on réclame quand on cherche un livre. C’est pourquoi la plupart du temps on commence par utiliser Google avant Amazon. On ne présuppose pas la forme de ce qu’on cherche.

Aujourd’hui, le monde de l’offre gratuite et illégale vit dans un silo complètement déconnecté du monde de l’offre payante et légale - et inversement (voir les 6 modèles de plateformes du livre numérique). Or, ce n’est pas le cas pour les lecteurs, qui sont tout à fait capables d’aller de l’un à l’autre selon leurs besoins, leurs envies. On ne peut pas penser le monde du livre numérique sans l’observer dans sa diversité, en se mettant des oeillères sur ses zones d’ombres. Bien des sites d’éditeurs ne signalent pas les versions poches de leurs livres (ou ne permettent pas de les acheter depuis leurs sites), car ils n’en sont plus l’éditeur. C’est absurde ! Proposer le choix entre les deux éditions ne veut pourtant pas dire que tous les clients du livre vont l’acheter en poche. Proposer un lien vers une version gratuite en ligne ne signifie pas que tous les lecteurs vont s’y précipiter, ni que cette version va répondre à toutes les pratiques (loin de là). Ne rien proposer ou se mettre des oeillères sur la réalité, au final, finit surtout par encourager d’autres pratiques qui ne rapportent à personne d’autres qu’à ces sites qui proposent des gigabits de téléchargement. Mais ce n’est pas en les bridant ou en cherchant à les interdire qu’on changera la donne.

Pour combattre l’offre gratuite illégale, il faut bâtir une offre gratuite légale.

Développer l’offre gratuite légale

Les différentes versions et prix permettent différents usages. Dan Gilmor avec Mediactive le montre bien en proposant plein de versions différentes de son dernier livre pour des usages et des prix différents. Tous les lecteurs ne sont pas motivés par l’achat. C’est bien une gamme que l’éditeur et l’auteur sont appelés à produire et à reconnaître, chaque élément de la gamme ayant son lot de contraintes.

A minima, une grille de gamme pourrait donner quelque chose de ce type :

  • Lecture gratuite : uniquement en ligne, contraintes d’inscriptions, publicités embarquées, contraintes formelles, etc.
  • Lecture payante modique : téléchargement du texte brut.
  • Lecture payante plus élevée : téléchargement illimité et pérenne, pas de DRM, contenus additionnels ou fonctionnalités nouvelles, dédicaces, etc.

Ca ne me gène pas d’être contraint de lire en ligne un contenu gratuit. Je trouverais cela bien mieux que de pouvoir le télécharger illégalement d’ailleurs. J’y accéderais plus vite. Je pourrais vérifier rapidement s’il contient ce que je cherche. Je pourrais le lire dans ce format, si je ne peux le faire autrement…

Construire une offre légale gratuite est d’autant plus facile pour le livre, que son piratage n’est pas massif. Le livre à l’avantage d’être durablement protégé du piratage par rapport à d’autres médias, comme le film ou la musique. D’abord parce que le phénomène des nouveautés n’est pas aussi fort. Il faut en moyenne 4 à 12 mois pour trouver un livre piraté sur les sites de streaming et encore, bien des titres n’y accèdent jamais. C’est impensable en ce qui concerne la musique ou le film. Ensuite parce que la demande également n’est pas aussi forte (peut-être que le nombre de références n’aide pas non plus à concentrer cette demande) : tant et si bien que le téléchargement moyen s’avère souvent très faible et parfois s’épuise et disparaît par manque de demande. Enfin, la numérisation (manuelle) est une étape encore suffisamment fastidieuse pour protéger le livre (mais cela ne va pas durer).

En tant qu’utilisateur en tout cas, je n’ai pas envie que le vendeur (le libraire ou l’éditeur) ou l’offreur de service (le bibliothécaire ou n’importe quel service 2.0) me prenne pour un gogo. J’ai envie de savoir avant d’acheter si je peux me procurer autrement le livre que je cherche. Cela ne veut pas dire qu’au final je ne l’achèterais pas, au contraire. J’ai acheté plusieurs exemplaires de certains livres papier que j’avais à l’origine téléchargé illégalement pour les offrir voir pour me les offrir. Je n’ai pas encore acheté une version numérique légale d’un livre numérique que j’avais déjà en version illégale, certainement pour plusieurs raisons : aucune assurance que la pérennité du fichier ou sa qualité soit meilleure que la version illégale que je m’étais procurée. Si j’étais assuré de pouvoir récupérer cette version autant de fois que j’en ai besoin peut-être que je passerais plus facilement cette étape. J’ai fini par acheter une version numérique d’un livre que dont j’avais trouvé une version électronique trop pourrie pour être lisible, alors que mon début de lecture m’avait suffisamment motivé.

Motivation, le mot est lâché. C’est certainement de ce côté-là et par cet angle-là qu’il faut regarder les choses. Mieux connaître les lecteurs, les acheteurs. Mieux saisir leurs motivations et surtout leurs manques de motivation. Proposer une offre légale gratuite (avec contraintes et limites) est en tout cas au final un comportement bien plus responsable que de laisser courir une offre gratuite illégale sur laquelle nul n’a prise et n’aura jamais prise. Mieux vaut un Spotify du livre que des milliers de fichiers qui s’échangent sans que personne ne maîtrise quoi que ce soit.

03 février 2011

Ce n’est pas la première fois que je vais vous parler d’Etienne Mineur et des éditions Volumique, mais la présentation qu’il a donnée aujourd’hui à l’occasion de la conférence Lift11 à Genève que je couvre pour le compte d’InternetActu.net, était suffisamment stimulante pour mériter, je pense, votre attention. Etienne Mineur est designer et a fondé (avec Bertrand Duplat) les éditions Volumiques, une entreprise qui conçoit des jeux basés sur des livres. Mais pas des livres-jeux, non. L’approche du designer est bien plus originale.

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“Que deviendraient les livres si on y mettait tout ce qu’on a appris du monde des jeux ?” interroge Etienne Mineur, qui a longtemps travaillé dans le monde du jeu vidéo. Que serait un livre doté de capteurs qui réagirait comme nos consoles de jeux réagissent à la pression des boutons que nous actionnons ? Que serait un “Livre qui voudrait être un jeu vidéo” ? C’est tout l’intérêt du travail exploratoire que mènent les bricoleurs des éditions Volumiques.

“Le livre qui voudrait être un jeu vidéo” est un livre augmenté de nombreux capteurs grâce à Arduino (la vidéo n’est hélas pas disponible sur le compte Vimeo des éditions volumiques). Le livre comporte de nombreuses applications. Il est possible de jouer à Simon avec : le livre joue une mélodie quand vous arrivez à la page du jeu et vous devez la rejouer en tournant les pages de couleurs associées. Plutôt que d’appuyer sur le bouton bleu pour jouer le bleu, vous devez ouvrir le livre à la page bleue. Il est doté d’un éthylomètre, car il est nécessaire d’avoir bu pour l’ouvrir. Il permet de jouer à d’autres jeux assez simples. Comme celui consistant à taper sur une page pour faire apparaitre un message, grâce à des encres thermosensibles qui réagissent à la chaleur des mains. Une autre double page permet de jouer à Pong en ouvrant une page noire puis blanche en rythme avec le son de la balle… “Le livre qui voudrait être un jeu vidéo” est un livre qui ne marche que s’il est branché et qui doit être conversé au frigo pour que les encres thermosensibles disparaissent.

Ce concept permet de réinterroger la forme papier. Que se passe-t-il quand un livre sait à quelle page on est, où l’on en est dans sa lecture… ?

Etienne Mineur s’est inspiré de ces jeux vidéos qui vous donnent un temps limité pour jouer pour créer “Le livre qui disparaît”, un livre composé de papier thermosensible (du papier de Fax) sur lequel on trouvait reproduit L’Autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune et du Soleil de Cyrano de Bergerac qu’il fallait lire dans un temps limité (20 minutes) parce qu’une résistance, cachée dans la tranche chauffait le livre et rendait petit à petit les pages illisibles en les noircissant d’encre.

le livre qui disparaît from éditions volumiques on Vimeo.

Les éditions volumiques ne font que du bricolage, explique Etienne Mineur. Elles hackent le papier et le livre pour créer des oeuvres d’art. “Duckette” est un autre livre-jeu utilisant des encres réactives permettant de faire apparaître et disparaître des formes dynamiquement sur le papier. Ici, un petit joystick permet de faire apparaître un petit canard sur dans un labyrinthe pour l’amener d’un point A à un point B. Très proche des premières formes de jeux vidéos, l’expérience permet de répéter, avec d’autres matériaux, ce qu’était le jeu vidéo à ses débuts. En constatant le fossé technologique qui sépare les premiers jeux vidéos des plus récents, on se prend à imaginer que ces techniques rudimentaires pourraient être appelées demain à connaître le même type d’évolution…

Duckette from éditions volumiques on Vimeo.

En réfléchissant au livre sensible, les éditions Volumiques ont imaginé le livre qui tourne ses pages tout seul.

le livre qui tourne ses pages tout seul / interactive book with self-turning pages from éditions volumiques on Vimeo.

Couplé à une application iPhone, on peut être amené à jouer à un jeu sur son mobile, quand on touche une page et quand on a accompli le jeu, le livre vous amène à la page suivante, un peu à la manière d’un livre dont vous êtes le héros.

ballons from éditions volumiques on Vimeo.

Un exemple, qui pour Etienne Mineur montre bien qu’on a déjà franchi la barrière de l’hybridation : l’univers numérique est déjà capable d’agir sur le réel !

Etienne Mineur reconnait n’être pas très convaincu par la réalité augmentée pour l’instant (on le comprend) : regarder un document via son téléphone plutôt que de le regarder vraiment n’est effectivement pas très convaincant en terme d’ergonomie. iPirates repose sur un autre concept. Il consiste en une carte papier d’un océan peuplé d’îles, sur lequel on pose son iPhone (avec l’application adéquate téléchargée) qui sert de pion sur ce plateau de jeu. Grâce à l’accéléromètre, le téléphone connait sa position sur la carte. Quand on le déplace, ce pion (doté d’un petit bateau animé) déclenche des animations en fonction de sa localisation, comme si la “seconde carte”, celle de l’iPhone, était animée. On peut même y jouer avec plusieurs téléphones et s’échanger des pions de cette manière…

pirate from éditions volumiques on Vimeo.

L’équipe des éditions Volumiques a également développé, sur le principe inverse, iPawns. Ici, c’est le téléphone qui devient le plateau de jeu. C’est sur lui qu’on pose des pions. Ceux-ci sont reconnus grâce à la spécificité de la pression qu’ils ont sur la surface tactile. Le dos de chaque pion, qu’on pose sur la surface tactile, est doté d’une petite feuille de papier bosselée de manière unique, permettant, quand on appuie sur l’écran de reconnaître chaque pièce du jeu. Les premiers essais ont tout de suite été très amusants, rappelle Etienne Mineur…

(i)Pawn vidéo 2 from éditions volumiques on Vimeo.

Depuis, le projet a évolué, et il nous a montré le prototype de Wizards, un jeu qui devrait bientôt sortir pour l’iPad. Celui-ci consiste en une application et en série de petits bonshommes en plastiques, représentant divers éléments qui transforment la surface tactile de l’iPad en plateau de jeu permettant de faire s’affronter les petits personnages. Conçu comme un vrai jeu de société, il y a des chances qu’il fasse fureur à sa sortie… Surtout que, visiblement, d’autres concepts sont en cours d’exploration par le biais de cette technologie simpliste. L’équipe des éditions Volumiques s’est d’ailleurs augmentée d’un concepteur de jeux de plateaux…

Plutôt que de jouer avec des pions, sur le même principe, on peut jouer avec des cartes à jouer. Quand on les applique sur son iPhone ou son iPad : l’application les reconnait. L’un des démonstrateurs permet par exemple de jouer à une bataille de cartes de couleurs. Volumiques disposent de plus d’une 50aine de prototypes différents…

Mais comme l’a dit Etienne Mineur, son univers de référence c’est le livre, le papier. Quand il travaille, explique-t-il, il utilise un crayon, du papier et son iPhone pour chercher ce dont il a besoin en ligne. Etienne ne lit plus sur le web : le papier et le téléphone sont devenus ses deux modes de lecture. Et de nous montrer à nouveau un autre prototype… C’est un exemplaire papier du journal Libération, reprenant la façon dont les contenus y sont disposés. En couplant cet exemplaire de prototype à se technologie qui fonctionne sur la pression de certains points identifiables, on peut ainsi accéder à des contenus supplémentaires sur son téléphone, juste en touchant son téléphone à travers le papier. Dans un geste très simple, très fluide, très naturel, loin des techniques de QR code qui nécessitent de prendre une photo du journal, on peut accéder d’une manière assez naturelle à des contenus additionnels, comme accéder aux commentaires de Libé depuis un article qui nous a intéressés. Quand on est sur une page de brèves, il suffit de poser son téléphone sur le journal, pour que celui-ci reconnaisse l’endroit où il est dans la page et jouer précisément une vidéo adaptée à la nouvelle sur laquelle il se trouve. On peut même faire tourner son téléphone au centre de cette page pour jouer une vidéo de brève au hasard. Un prototype qu’Etienne Mineur a appelé “Aberration”, comme pour désigner un Libération impossible.

L’idée n’est pas d’opposer le livre et le téléphone. Mais au contraire, de faire de manière à ce qu’ils communiquent ensemble de manière complémentaire.

Autant dire que les exemples livrés par Etienne Mineur sont extrêmement stimulants. Et montrent combien, en s’intéressant aux pratiques, aux technologies, en bricolant, en bidouillant… on peut aussi réinventer le monde du livre et de la lecture.
Mise à jour : Ceux qui le souhaitent peuvent consulter en ligne la vidéo de la présentation d’Etienne Mineur à Lift11 (qui s’exprimait en français), ce qui devrait vous permettre de voir les exemples évoqués ci-dessus.

28 janvier 2011

kindle3.1296254845.pngComme chaque année, Amazon vient de publier le communiqué de presse de ses résultats annuels. C’est un communiqué de presse, où les quelques chiffres accessibles sont difficilement préhensiles et où chaque mot du discours est pesé pour nous détourner de l’essentiel. A part les résultats records d’Amazon (10 milliards de dollars de produits vendus pour le dernier trimestre 2010 : merci Noël), on n’y apprend pas grand-chose. Avec le moins de chiffres possible, Amazon vante le succès de son Kindle et de sa librairie électronique qui semblent expliquer à eux seuls les résultats du dernier trimestre 2010. Ce n’est pourtant pas le cas. Amazon est un cybermarchand et les ventes de Noël que le marchand capitalise n’ont pas été faites que de Kindle et de livres électroniques, malgré leurs succès. Loin de là.

Reste qu’il est impossible de connaître la part du Kindle (”quelques millions”) et celle de la vente de livres électroniques dans ce succès. Le communiqué de presse associe les deux, mais en se gardant bien de faire la démonstration du lien de cause à effet.

Pourtant, le Kindle, en créant un écosystème, a indubitablement ouvert un marché, même si on a encore du mal à le mesurer véritablement, sauf à prendre pour argent comptant les chiffres dithyrambiques d’Amazon. Sur 100 livres de poche vendus, Amazon livre 115 livres au format Kindle (hors livres gratuits). Sur 100 livres brochés, Amazon livre 300 livres au format Kindle - alors que, semble-t-il, c’est bien en concurrence des livres brochés que l’ebook s’impose, si on regarde les chiffres d’usages du réseau social GoodReads. Ce qui signifie (mais étrangement, Amazon n’utilise pas cette expression ce qui veut dire qu’elle ne doit pas être exacte) que le Kindle est devenu le premier format de livre que vend Amazon, mais l’ensemble des formats papier est encore un peu devant l’électronique : plus pour longtemps. Ce pourrait être peu de choses si Amazon était un petit acteur du livre, s’il ne représentait pas grand-chose dans le business de la vente de livre papier. Mais ce n’est pas le cas. Il est de loin, l’un des premiers vendeurs de livres papier de la planète, représentant pour certains éditeurs jusqu’à 40 % de leurs ventes.
Amazon vendrait donc désormais et en moyenne plus de livres électroniques que de livres de poche (et ce, sans compter les livres gratuits, qu’il “vend” à la pelle, ce qui est une information importante). Et l’on pourrait penser qu’il y a un lien entre le support et les contenus. Le problème, c’est que c’est certainement de moins en moins le cas.

Pourquoi ? Parce que si le Kindle a certainement encore convaincu quelques acheteurs pour Noël (il aurait fait son meilleur chiffre de vente au dernier trimestre 2010), le produit a décroché du coeur des early adopters. Depuis son lancement en 2007, Amazon aurait vendu 11 millions de Kindle, alors qu’en moins d’une année, Apple a vendu 15 millions d’iPad. Ce dernier, bien que beaucoup plus cher, a de bien nombreuses qualités par rapport au premier, comme le souligne très bien Frédéric Cavazza sur son nouveau blog. On peut faire plus de choses avec (jouer, surfer sur le web…).

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Les succès du dernier CES à Los Angeles étaient des tablettes, pas des liseuses, comme le souligne très bien Olivier Ezratty dans son incontournable rapport. Les écrans noirs et blancs ont été déboutés par la couleur. Et tant que la technologie des écrans encre électronique couleur n’est pas arrivée à maturité (on l’attend pour cette année, mais beaucoup disaient la même chose l’année dernière), les liseuses auront du mal à séduire le grand public (les écrans couleurs ont une capacité de rafraichissement bien supérieure aux écrans à base d’encre électronique, permettant également d’envisager de jouer de la vidéo voir à des jeux sur ce type d’écrans). Apple et son iPad, malgré son prix 4 à 6 fois plus élevé, se sont bien plus imposés auprès des utilisateurs (et en un temps plus court) que le Kindle.

Ces bons résultats pourraient donc bien être un chant du cygne pour Amazon. D’autant que les liseuses ont en fait un défaut. Elles ne séduisent que les gros lecteurs, puisqu’elles ne permettent de faire que cela : lire. Le marché a donc un potentiel limité. Tous les lecteurs n’étant pas de gros lecteurs.

Amazon sait pourtant où est encore sa force : c’est celle de sa boutique de titres. Avec 810 000 titres, Amazon damne le pion à Google (qui en annonce beaucoup plus pourtant, mais pour l’essentiel des titres du domaine public, donc plus éloigné des désirs des usagers) et Apple (60 000 titres environ dans l’iBookstore dont beaucoup provenant du projet Gutenberg et donc du domaine public : si on ne compte que les livres sous forme d’applications, ce doit être beaucoup moins). Beaucoup d’utilisateurs, comme Joe Wikert, sont passés à l’iPad, tout en continuant à acheter des titres électroniques chez Amazon, parce que le catalogue y est plus riche, plus diversifié, plus récent (et nous lisons avant tout des livres récents)…

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La tentative de Bezos de lancer les “Singles”, des titres au format uniquement électronique entre 0.99 $ et 4.99 $, doit bien s’entendre ainsi, comme l’explique très bien Olivier Ertzscheid : une offensive aussi redoutablement structurante que celle de l’iTunes d’Apple pour la musique. Mais contrairement à son modèle, Amazon n’est pas parvenu à imposer un prix unique. Ni le fameux 9,99 $ qu’il a tenté désespérément d’imposer pour les nouveautés (même si cela lui coutait, puisqu’il a vendu et vend encore certains bestsellers à perte pour faire appel d’offre !), ni ce nouveau prix d’appel (qui est plus une fourchette qu’un étalon) ne sont satisfaisants.

Sa boutique compte 810 000 titres dont 82 % est à moins de 9,99 dollars. Un prix que beaucoup d’éditeurs ne jugent pas assez rentable. Et ce d’autant que le prix “idéal” du livre électronique tournerait plutôt autour de 2,99 $ (2,2 euros), comme l’explique très bien Evil genius (malgré une base d’analyse trop limitée), pour la simple et bonne raison que c’est le prix plancher à partir duquel Amazon reverse 70 % des droits aux auteurs et éditeurs. Si demain, Amazon décidait de revoir ce reversement à la baisse, le prix plancher des livres électroniques se trouverait certainement à nouveau tiré vers le bas.

Reste qu’Amazon a pourtant réussi à prendre la main sur le marché du livre électronique payant.

Certes Amazon a pour l’instant le monopole de la boutique de livre électronique. En rendant ses livres disponibles sur tous les supports, via des applications, Amazon a certainement sauvé son marché des offres concurrentes. Mais son support est en perte de vitesse. A moins qu’il n’équipe la prochaine génération d’un écran couleur Mirasol ou Pixel Qi ou qu’il en baisse encore drastiquement le prix (encore plus vite que ne le prévoient les analystes), l’année 2011 sera l’année des tablettes, qui s’adressent à un public un peu plus large que les seuls très gros lecteurs des liseuses.

Amazon est devenu le vendeur incontournable du livre électronique en se constituant un catalogue à nul autre pareil. Plus que son appareil (malgré ses réelles qualités et son écosystème qui invite à consommer des contenus), c’est en favorisant l’interopérabilité entre les appareils (le fait de pouvoir lire ses livres Kindle sur iPad, iPhone, Androïd…) et en rendant disponibles les dernières nouveautés qu’Amazon s’est imposé. Google, avec son catalogue de titres du domaine public peine à s’imposer, malgré la bonne humeur de Abraham Murray.

Amazon n’a donc pas le choix. Il doit continuer la course au support qu’il a lancé. Néanmoins, même sans support, il a déjà gagné une bataille. Il est, et pour longtemps, le libraire électronique de la planète. C’est à l’augmentation et à la structuration de ce catalogue qu’Amazon doit désormais travailler (notamment en développant des catalogues nationaux, pour l’instant inexistants et en continuant à proposer toujours plus de nouveautés). Comme le notait sur Twitter Rémi Mathis, “Sur Amazon, on peut désormais signaler qu’on aimerait qu’une version électronique d’un livre soit disponible”. Il va falloir également qu’Amazon enraye la concurrence en évitant que les éditeurs portent leurs contenus chez d’autres cyberlibraires (ce qu’il est plutôt parvenu à réussir pour l’instant).

Tout cela est intéressant, car cela montre, que finalement le plus intéressant n’est pas tant l’écosystème fermé du support qui s’impose sur un marché et facilite l’achat, comme on l’a longtemps cru, mais bien le fait qu’on puisse passer d’un support à un autre. Amazon n’aurait pas réussi à atteindre de tels chiffres de vente de livres électronique si le Kindle était demeuré fermé sur lui-même. Cela dit, à ceux qui voudraient comprendre le marché, que celui-ci ne décollera pas tant qu’il sera verrouillé, que ce soit par des DRM ou par des formats trop spécifiques. Au contraire. Il faut privilégier l’interopérabilité. Il faut que l’utilisateur puisse faire passer ses contenus d’un support l’autre.

L’autre apprentissage majeur : c’est l’importance primordiale du catalogue. Pour vendre au format électronique il faut rendre les titres les plus récents et les plus courants disponibles. Mais il faut aussi élargir la gamme par tous les moyens. Et Amazon a eu l’intelligence de tous les utiliser : en travaillant avec les éditeurs, comme avec les auteurs : en permettant à tous d’envahir facilement le marché (jusqu’à l’édition à la demande et l’auto-édition). La politique de contrôle d’Apple montre certainement ses limites et les plateformes d’éditeurs, qui restent fermés au reste de la production, sont également à terme, un écueil.

24 janvier 2011


Rethink Books est une start-up dont le projet est d’ajouter une interface sociale à tous les livres, quelque soit le support sur lesquels vous les consultez (même si pour l’instant, ça ne fonctionne que sur iPad). L’idée est de pouvoir partager facilement sélections et annotations via les sites sociaux comme le montre la vidéo qu’ils ont mis en ligne. Comme le soulignait le New York Times à la sortie du service en novembre, le problème que rencontre le système pour l’instant est qu’il n’est disponible que pour des livres du domaine public, puisqu’il faut que tout le monde puisse partager les contenus pour voir les notes ou les sélections des uns et des autres. Un inconvénient assez majeur au développement du système, il faut bien le reconnaître.

Une fois que vous aurez téléchargé l’application et apprécié la vidéo, je vous invite à aller faire un tour sur le blog de Rethink Books, plutôt stimulant. Ils évoquent ainsi “le moment Napster” (qui fait écho au “moment e-book”, cher à Virginie Clayssen, qui décrit pourtant presque le contraire puisque le moment e-book évoque ce moment où l’on place les contenus dans un canal de distribution particulier). Le moment Napster, désigne l’inverse : ce moment d’explosion créative où la création de contenu dépasse la capacité du canal de l’absorber…

Mais ils se font surtout l’écho des prédictions pour le livre numérique de Michael Hyatt, président de l’éditeur américain Thomas Nelson. Celui-ci attire l’attention sur 6 tendances à surveiller pour 2011 :

  • Les livres en bundle : permettant d’acheter les livres à la fois au format papier et électronique ou des livres électroniques en paquet (tous les titres d’un auteur par exemple ou une sélection de livres sur un sujet). Une tendance marketing qui devrait se développer Outre-Atlantique.
  • La lecture sociale permettant de discuter à plusieurs dans le détail d’un contenu spécifique (et Hyatt cite RethinkBooks comme exemple).
  • Les clubs de lectures électroniques, car plus que jamais nous avons besoin de curators pour nous aiguiller dans les masses de contenus. On les voit poindre auprès des utilisateurs du Kindle, depuis qu’ils peuvent s’échanger des livres. Mais on les voit également arriver jusque chez Babelio par exemple.
  • La première édition électronique : une tendance qui devrait s’accélérer estime Hyatts car pour les éditeurs, c’est un moyen de réduire les risques et de tester le marché d’abord sous forme numérique pour passer à une version imprimée si le numérique a fait ses preuves.
  • Les liseuses gratuites : offrir une liseuse à des clients récalcitrants pour les convaincre… La liseuse va avoir tendance à être considérée comme le rasoir : un cadeau pour amener les clients à acheter des lames (des livres). C’est la prédiction qui m’enthousiasme le moins pour ma part. Amazon gagne plus d’argent en vendant ses appareils qu’en vendant des livres électroniques. Hyatts prédit une forte baisse du prix des e-readerses. Il est fort probable qu’il ait raison et que ça aille encore plus vite qu’on ne l’annonce, certainement plus pour soutenir un tassement des ventes de liseuses que comme argument promotionnel.
  • De nouvelles expériences de monétisation : le livre avec de la publicité dedans, avec des liens sponsorisés, etc. Il n’y aucune raison pour que les expériences de monétisation s’arrêtent. Au contraire. Mais cela, ce n’est pas vraiment de la prédiction…
19 janvier 2011

Lundi 17 janvier, la Société civile des auteurs multimédia organisait une rencontre sur le sujet de “l’écrivain à l’heure du numérique”. Dans ce débat (vidéo) d’1h30, animé par Pierre Haski (écrivain, journaliste, directeur de la publication de Rue89), se confrontaient Benoît Peeters (écrivain), François Bon (écrivain et éditeur numérique avec publie.net - dont je vous recommande la dernière livraison, Après le Livre sur les mutations du livre), Hervé Rony (directeur général de la Scam) et Alban Cerisier (secrétaire général des Éditions Gallimard) pour échanger sur la place de l’auteur à l’heure du numérique. Les habitués de la bouquinosphère n’apprendront pas grand chose, mais il est intéressant de regarder comment le discours sur la place de l’auteur évolue, combien les convictions de chacun renforcent des positions de principes.

Je serais plutôt d’accord avec François Bon bien sûr pour dire qu’il n’y aura pas un scénario, mais c’est toujours intéressant de voir que les gens sont convaincus que leur scénario aura plus de probabilités que ceux des autres. Comme je le disais ailleurs, le futur est plus simple que le présent, moins complexe, toujours plus divertissant.

L’écrivain au cœur du numérique
envoyé par La_Scam. - Futurs lauréats du Sundance.

13 janvier 2011

Read It Later (A lire plus tard) est une petite application qui permet de gérer une liste de lecture de choses que l’on souhaite lire plus tard. Mais comment cette application, qui a déjà permis à l’ensemble de ses utilisateurs de conserver plus de 100 millions d’articles, est-elle utilisée ? C’est la question que pose Trends (tendances) le blog que l’équipe de Read It Later vient de lancer, dans l’un de ses premiers billets.

Les données du service permettent de confirmer combien nous sommes bombardés d’information à longueur de temps.

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Un premier graphique montre la courbe des articles sauvegardés par les utilisateurs : une courbe qui connaît peu de variation dans la journée. Nous sommes bombardés constamment de choses à lire et d’information et notre seul répit face à ce flux continu, est de dormir.

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Si l’on observe maintenant comment les utilisateurs du service consomment les articles qu’ils ont mis de côté, on constate que ceux qui le font depuis un ordinateur ont assez tendance à être soumis au même flux, avec peut-être un léger pic de fin de journée (le moment où on écrème nos derniers onglets qui sont restés ouverts ?). L’utilisateur d’un ordinateur semble être soumis au même stakhanovisme que le flux d’information dont il est l’esclave.

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Cela est très différent pour les utilisateurs de l’iPhone. On constate chez ceux-ci des pics d’activités à certains moments de la journée : le matin au petit-déjeuner (avant les transports), au début de la matinée, à la fin de la journée de travail, à 20 heures et au moment de se coucher. Ici, l’iPhone permet de faire de la lecture interstitielle, dans les moments de vides, moments de transports, de déplacements… La lecture sur smartphone vient s’insérer dans nos pratiques, notamment dans nos moments de mobilité.

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Les usages sont encore très différents pour les utilisateurs de l’iPad. La lecture sur iPad subit un pic entre 19h et 23h, à un moment de repos, de détente (en concurrence directe avec la télévision notamment). L’iPad s’avère bien un outil de consultation personnel, dont l’usage pourrait paraître limité, mais qui indique bien qu’il a conquis un espace de lecture particulier…

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Mais quand on compare les usages des utilisateurs de Read it Later qui possèdent un ordinateur et un iPad et ceux qui ne possèdent qu’un ordinateur, on constate alors que les premiers n’ont pas le même comportement de lecture que les seconds. Les possesseurs d’iPad continuent à lire sur leur ordinateur entre 10h et 14h (au coeur des heures de bureau), mais leurs usages de fin de journée ont basculé sur l’iPad. Ils sauvegardent donc de l’information pour la lire confortablement et de manière détendue en fin de journée.

Qu’est-ce que cela dit à propos de l’avenir de la lecture de contenu en ligne ? Que les gens ont certainement tendance à vouloir trouver un moment et un support plus confortable pour consommer du contenu que devant leurs écrans d’ordinateur. Visiblement, l’iPad conduit à un changement de consommation du contenu. On passe de la contrainte de lire, de s’accrocher aux flux, au plaisir. On passe du fauteuil de bureau au canapé du salon ou au lit.

Cela a certainement aussi une influence sur ce qu’on lit, mais pour le savoir, il faudra certainement attendre que Read It Later nous livre d’autres statistiques.

12 janvier 2011

Les tablettes et les téléphones mobiles sont en train de donner une nouvelle jeunesse aux livres dont vous êtes le héros, estime Keith Stuart du Games Blog du Guardian. La société “Choose Your Own Adventure” (CYOA, Choisissez votre propre aventure), qui détient les droits de nombreux classiques de cette littérature dite interactive a porté plusieurs de ses titres sur l’iPhone. Edward Packard, le créateur originel de la série CYOA a créé la marque U-Ventures pour faciliter l’adaptation de nombres de ses anciens titres sur le système d’exploitation de l’iPhone.

La société Bright AI travaille à la conversion des titres de Steve Jackson, l’un des auteurs phares des livres dont vous êtes le héros (notamment la série Fighting Fantasy (Défis fantastiques en français publiés chez Folio Junior) en court de portage sur smartphones comme Le labyrinthe de la mort, Le sorcier de la montagne de feu). Pour l’iPad et l’iPhone, le développeur australien Tin Man a conçu l’excellente série de Fantasy Adventures Gamebook (déjà 4 titres : 1er épisode), qui dans un monde Tolkienesque vous entraîne dans des cimetières humides, des réseaux d’égouts labyrinthiques accompagné d’élégantes illustrations sépia et doté d’un système très efficace de jeté de dés et de mémorisation des pages… Car ici, la fiction interactive fusionne avec des éléments de jeux de rôle (combats avec des dés, inventaires des possessions…).

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D’autres applications, moins élaborées, permettent également de télécharger des romans d’aventures interactifs en mode textes, comme Twisty pour téléphones Androïd ou Frotz pour les iPad et iPhone.

Le Kindle d’Amazon connait également ses premières applications interactives, notamment avec Choice of Broadsides (Kindle Store), une histoire interactive développée par Choice of Games, qui a reçu une mention honorable au dernier Festival des jeux indépendants (également disponible pour iPhone), l’une des compétitions du secteur.

Ce qui est intéressant c’est que les systèmes logiciels qui permettent de construire ces histoires deviennent également disponibles. Choice of Games a publié ChoiceScript, un langage disponible gratuitement sur le web et qui permet aux utilisateurs de créer leurs propres titres (même si, reconnaît Keith Stuart, le langage n’est pas encore très facile à utiliser). iStory (disponible sur l’iPhone), permet également de développer ses propres histoires interactives - même si l’interface utilisateur n’est pas encore très amicale.

Reste que cela ouvre des perspectives, estime Keith Stuart. Notamment celui de voir de plus en plus d’utilisateurs (et d’auteurs) investir ces dispositifs pour créer de nouvelles histoires, où les éléments interactifs pourraient faire partie du processus créatif lui-même.

Pour l’instant, il est juste amusant de redécouvrir le concept des romans interactifs, leurs limites et leurs bizarreries, leurs conventions et leurs tactiques narratives. Il y a juste encore deux problèmes, estime Keith Stuart, très peu d’applications vous permettent de retracer votre itinéraire à travers les pages ou de relancer les dés. Comme dans trop de versions informatiques de jeux familiaux traditionnels (comme le Monopoly ou le Scrabble), les règles l’emportent sur le lecteur. Dit autrement, ces systèmes ne permettent pas suffisamment de tricher !

Visiblement, on ne trouve encore aucun de ces titres en français. Peut-être que les éditeurs des éditions françaises devraient se rapprocher des développeurs originaux pour y porter leurs titres ? Vite, avant que la mode ne passe à nouveau, ou que les formes interactives commencent à conquérir de nouvelles natures d’histoires. Ce qui, technologie aidant, ne devrait pas être improbable, pour autant que les auteurs réinventent les conventions et les tactiques narratives un peu simplistes de ces formes précurseures.

PS : pour ceux qui cherchent quelques bonnes applications de lecture, Le BookLab vient de publier son Best Of des applications de livres enrichis.

04 janvier 2011

Sur l’excellent O’Reilly Radar, Tim O’Reilly, fondateur de la maison d’édition O’Reilly et du groupe éponyme, a été interviewé par Mac Slocum dans un entretien publié en plusieurs parties sur les grands sujets que le gourou des nouvelles technologies prédit pour 2011 (gouvernement 2.0, Do It Yourself, Neutralité du net, données) . Parmi elles, bien sûr, Tim O’Reilly est revenu sur l’édition.

Comment le livre électronique change-t-il l’édition ?, lui demande Mac Slocum. Et Tim O’Reilly de faire une intéressante distinction entre formats et formes. “Un livre broché, une édition de poche, un livre audio et un livre numérique représentent différentes formes d’un même travail. D’un autre côté, les nouveaux formats représentent des changements plus profonds de la façon dont les auteurs développent des contenus et dons les lecteurs les consomment. (…) Les gens pensent que les livres électroniques sont simplement une autre forme, mais ils représentent également une opportunité de changer de format.” Passer d’un atlas imprimé à un atlas dynamique, mis à jour en continu et en temps réel n’est pas qu’un changement de forme, mais bien un changement de format. Le changement de forme a des impacts réels, insiste l’éditeur. Désormais O’Reilly publie surtout des livres en forme de cours que des livres de références, qui ont été complètement cannibalisé par le web et la recherche en ligne. Et désormais, les livres tutoriels d’O'Reilly sont de plus en plus concurrencés par de nouvelles formes de tutoriels, comme les vidéos et les vidéocasts.

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Image : Tim O’Reilly par Luca Sartoni.

Faut-il étendre la notion d’éditeur ? demande encore Mac Slocum. “Les éditeurs pensent trop étroitement le type d’entreprise qu’ils font, et par conséquent sont aveugles à la façon dont le paysage concurrentiel évolue. Si quelqu’un à des racines dans l’encre ou le papier, alors il est éditeur. Si elles sont sur le web ou le mobile, alors il n’en est pas. Mais cela est aberrant !” Zagat et Yelp effectuent tous deux des travaux similaires. Etre éditeur se définit par le travail que l’on fait pour les utilisateurs, explique O’Reilly.

La “curation” (mot à la mode, qui, à l’origine évoque les conservateurs de musées (curator), et qui, employé dans son sens numérique, désigne tout ce qui permet de trouver, regrouper, organiser et partager le contenu en ligne le meilleur et le plus pertinent sur un sujet spécifique) et l’agrégation sont le coeur de métier de l’éditeur. “Nous avons encore besoin que quelqu’un tri le bon grain de l’ivraie à mesure que de plus en plus de contenu est accessible en ligne. A l’avenir il y aura de nouvelles façons d’être payé pour faire ce travail, mais il y aura aussi de nouvelles façons de les faire. “

Est-ce que trop regarder l’infrastructure bloque la capacité d’adaptation ?
“J’ai récemment fait un exposé et une personne dans l’assistance m’a demandé comment les nouveaux modèles économiques pourraient payer pour “tout cela”, disait-il en faisant référence aux bâtiments où nous étions, le siège d’une maison d’édition de plusieurs étages. Mais c’est comme si le maintien de ce qu’ils possédaient déjà était le coeur du problème. C’est comme si on demandait, à l’heure où le PC ne faisait que démarrer, si l’ordinateur personnel allait payer pour tout cela. HP et IBM ont compris comment faire la transition vers l’ère de l’informatique personnelle. Microsoft est désormais aux prises avec la transition de l’ère du PC à l’ère du Web. Pourrions-nous imaginer quelqu’un dans une conférence Microsoft demandant : “Mais est-ce que le web va payer pour tout cela ?”

Comment les éditeurs peuvent-ils s’adapter au numérique? Quelle mentalité doivent-ils adopter ?
“Les éditeurs doivent se demander : comment pouvons-nous faire de meilleurs contenus en ligne ? Comment pouvons nous faire de meilleurs contenus pour les mobiles ?” Dans le domaine des essais les éditeurs doivent améliorer la forme des liens, qui est elle-même une meilleure version de la note. Ils doivent également ajouter des contenus additionnels, comme on les voit dans les DVD de films. Mais pas toujours. D’autres fois, un meilleur contenu sera un contenu plus petit : Google a plus de données que n’importe quel Atlas, pourtant l’utilisateur en voit souvent moins. “Il y a une énorme opportunité pour les livres à être repensée comme des applications de bases de données”, explique Tim O’Reilly en faisant référence au guide ornithologique pour iPhone, iBird Pro, développé par Mitch Waite.

“Les livres donnent aux gens de l’information, du divertissement et de l’éducation. Si les éditeurs se concentrent sur la façon dont ces trois éléments peuvent être mieux apportés en ligne ou par mobile, les modèles d’affaires suivront. Si nous n’innovons pas pour mieux faire ce travail pour nous clients, alors ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu’un d’autre le fasse à notre place.”

17 décembre 2010

La technologie change notre compréhension des sciences humaines et sociales (SHS), comme elle a changé notre compréhension des sciences, expliquait il y a peu Patricia Cohen pour le New York Times. Bien sûr, face à cet objectif, les médias numériques sont des moyens plus qu’une fin, rappelle consciencieusement l’historien Anthony Grafton. Mais pour Brett Bobley, directeur du bureau des humanités numériques de la Dotation nationale des humanités américaines (National Endowment for the Humanities, NEH), l’analyse de quantités sans précédent de données peut révéler de nouvelles caractéristiques et tendances et soulèvent des questions inattendues pour l’étude.

“La technologie a non seulement rendu l’astronomie, la biologie et la physique plus efficaces. Mais elle a permis aux chercheurs de faire des recherches qu’ils ne pouvaient pas faire auparavant”. Et c’est notamment le cas dans le domaine des SHS, où l’accès à de formidables corpus documentaires sous forme informatique peut apporter de nouvelles connaissances. C’est en tout cas, ce que se propose de montrer le concours de Google ou le Digging into data, un programme de subventions pour aider à la recherche en sciences humaines à aller dans de nouvelles directions, propulsées par le bureau de Brett Bobley au NEH.

Les Humanités numériques pour comprendre le monde
Comme bien souvent dans le domaine des Humanités numériques (Digital Humanities), pour les non-spécialistes, ce sont les résultats qui sont les plus intéressants. L’un des projets ayant bénéficié de ce programme est celui de Dan Edelstein, professeur de français et d’italien à l’université de Stanford qui a réalisé une cartographie de la circulation des idées au Siècle des Lumières, en étudiant, avec l’aide de l’informatique, la correspondance des grands penseurs de l’époque (Locke, Newton, Voltaire, Swift, Rousseau, Bentham…). La cartographie interactive mise en place permet de mieux mesurer le réseau relationnel des grands penseurs du XVIIIe siècle et montre qu’il a des structures très différentes selon les penseurs (vidéo). La cartographie a montré par exemple, la rareté des échanges entre Paris et Londres, alors que les historiens pensaient que les penseurs français avaient été inspirés par les penseurs britanniques : dans les faits, les penseurs du Continent semblent avoir peu échangé avec les îles Britanniques.

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Image : La cartographie des échanges de courriers de la république des Lettres au Siècle des Lumières pour quelques-uns des plus importants penseurs de l’époque.

Les universités américaines semblent se mettre activement aux outils numériques. L’université de Virginie a ainsi développé pour ses étudiants une interface web, baptisée Visual Eyes, permettant de réaliser facilement des visualisations dynamiques et interactives.

Digital Mappaemundi est un projet d’étude des cartes et textes géographiques médiévaux, permettant aux chercheurs d’annoter leurs cartes simultanément et de partager leurs annotations avec d’autres, explique Martin Foys K, médiéviste à l’université Drew dans le New Jersey. “Ces cartographies numériques ont le potentiel de transformer les études médiévales”, estime enthousiaste le chercheur, notamment parce qu’elles sont communautaires, c’est-à-dire partagées par un réseau d’experts dont les apports contribuent à la qualité du projet. “La facilité avec laquelle une communauté peut être amenée à collaborer via ces outils est quelque chose qui change fondamentalement la façon dont nous faisons notre travail”. Sauf que la culture du partage n’est pas nécessairement de mise entre les spécialistes, et que bien souvent toutes les fonctions sont loin d’être utilisées par les chercheurs, qui sont plutôt en concurrence les uns les autres sur leurs recherches.

Le phénomène des humanités numériques est encore nouveau et les praticiens sont encore souvent surpris par ce qui se développe. Lorsque les œuvres complètes publiées d’Abraham Lincoln ont été mises en ligne il ya quelques années, le directeur des Cahiers d’Abraham Lincoln, Daniel W. Stowell, s’attendait à ce que les historiens soient plus attentifs à son projet. Mais il a été surpris de découvrir que les plus grands utilisateurs étaient des gens connectés depuis les Presses de l’université d’Oxford : les rédacteurs du dictionnaire d’Oxford étaient allés traquer dans les archives de Lincoln les premières occurrences de certains mots.

“Les gens vont utiliser ces données de manières que nous ne pouvons pas encore imaginer”, s’enthousiasme Daniel Stowell, “et je pense que c’est l’un des développements les plus excitants des sciences humaines actuellement”. Pour Tom Scheinfeldt, directeur du Centre pour l’histoire et les nouveaux médias à l’université George Mason, le milieu universitaire est entré dans une ère “post-théorique”. Un “moment méthodologique” semblable à celui qu’on a connu à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. “Les questions pratiques de la construction de la discipline, de l’assemblage d’une bibliographie annotée, de la définition d’un programme de recherche et de la signification du rôle de l’historien” ont alors été les principaux travaux d’un grand nombre de savants. Sommes-nous en train d’entrer dans une phase similaire ? C’est ce qu’espèrent les partisans des humanités numériques en tout cas.

Comprendre l’évolution des lois du langage
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le nouvel outil que vient de dévoiler Google : Google N-Grams - un nom qui s’inspire des travaux du théoricien de l’information Claude Shannon et qui évoque les n-grammes (des suites de mots consécutifs), visiblement très utilisés par les programmes de traitement automatique du langage. Google N-Grams est moteur de recherche qui fouille dans les 5,2 millions de livres numérisés par Google et accessibles librement au public, explique le New York Times, soit 500 milliards de mots, comme s’en émerveille avec raison Jean Véronis sur son blog, soit “4 % des livres jamais publiés sur Terre”. Un outil qui permet de tracer des courbes lexicales sur plusieurs siècles, puisque la base de livres sur laquelle il est construit est constituée de livres publiés entre 1500 et aujourd’hui, provenant d’un corpus réparti en 5 langues (anglais, français, espagnol, allemand, chinois et russe : interrogeables séparément).

On peut ainsi constater que Marilyn Monroe et Mickey Mouse ne reçoivent pas la même attention dans les livres imprimés … Ou que Freud est devenu une référence plus importante que Galilée, Einstein ou Darwin

“L’objectif est de donner à un enfant de 8ans la possibilité de parcourir les tendances culturelles de l’histoire telle qu’inscrite dans les livres”, a expliqué Erez Lieberman Aiden, un chercheur de Harvard parmi les auteurs provenant du MIT, de Google, de l’Encyclopaedia Britannica et d’Houghton Mifflin Harcourt, signataires de l’article de la revue Science qui fait l’actualité. “Nous voulions montrer ce qui devient possible lorsque vous appliquez de très hautes capacités d’analyse de données à des questions de sciences humaines”, a déclaré M. Lieberman Aiden. Une méthode que les chercheurs ont baptisée Culturomics, et qui a pour volonté, comme l’indique son nom, de dégager les “lois”, les principes de la culture - rien de moins ! D’un coup, avec ce corpus rendu accessible, le mot devient un organisme vivant, dont on peut percevoir l’écosystème, permettant de regarder les trajectoires culturelles des termes, des noms, des formes grammaticales et orthographiques.

Comme le dit très justement Erez Lieberman Aiden : “Plus qu’une machine à apporter des réponses, nous avons là une machine génératrice d’hypothèses”.

Ce nouvel outil va exiger beaucoup de réflexion sur les divers biais dans la façon dont les données sont recueillies, a déclaré le biologiste Paul Ehrlich, dont les enquêtes sur l’évolution de la pirogue polynésienne a transformé les études culturelles, et qui remarque, par exemple, que la fréquence de l’obscénité ne peut pas seule être un indicateur de tendance culturelle.

Culturomics, Genomics… “Il y avait un grand battage autour du projet de cartographie du génome humain à l’origine… Avant qu’on comprenne que cette liste n’était pas très utile à ceux qui n’en sont pas spécialistes”, estime Mark Pagel, biologiste de l’évolution à l’université de Reading. Nous comprenons maintenant que ce n’est pas les gènes qui importent, mais comment ceux-ci sont exprimés dans les organes”.

“Je ne dis pas que les données ne sont pas utiles”, a-t-il précisé. “Mais que la base de données ne va pas “cracher” des réponses simples”. Rien ne sera plus facile en effet, que d’en faire sortir beaucoup de banalités.

13 décembre 2010

L’association Diversités (blog) organisait la semaine dernière un atelier pour favoriser la coopération entre la France et les pays en développement sur la question du livre numérique. Diversités est une association qui a pour but de favoriser les échanges dans le domaine des industries culturelles, financée par le ministère des Affaires étrangères pour faire la promotion de la France à l’international et faciliter les relations entre les acteurs des industries culturelles françaises et leurs homologues étrangers.

Un atelier qui m’a donné l’occasion d’écouter et de rencontrer plusieurs éditeurs méditerranéens, dont l’écrivain et éditeur Sofiane Hadjadj, qui dirige les éditions Barzakh en Algérie, et qui a tenu à la délégation française un discours dont les adresses étaient importantes, et pas seulement parce qu’on ne les entend pas assez.

L’édition numérique est-elle une opportunité pour les pays du Sud ?

“Je représente les profanes dans cette assemblée de spécialiste”, rappelle Sofiane Hadjadj. “Nous, éditeurs méditerranéens, nous regardons les débats, les inquiétudes et les agitations de loin.” Mais les regarder de loin ne signifie pas ne pas s’y intéresser de près. Sofiane se souvient avoir entendu déjà il y a quelques années un “prêche” de Google qui, de passage par les pays du Maghreb, venait y rôder son discours libéral et libertaire, qui sous couvert de philanthropie, n’évoquait déjà que des réalités marchandes et économiques. Depuis l’eau à coulé. Google depuis a avancé, bien plus vite que les pays du Maghreb. La nécessité de comprendre les enjeux et les conséquences que la révolution numérique va avoir sur l’édition traditionnelle et sur les lecteurs n’en est que plus vive.

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Image : une application pour lire le Coran développée par Batoul Apps, la start-up du développeur américain Ameir Al Zoubi.

Sofiane est membre de membre de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, une association qui prône la bibliodiversité éditoriale et favorise l’édition solidaire. Cette association va d’ailleurs avoir, cette semaine, à Ouagadougou (Burkina Faso) où se tient la Foire internationale du livre, une première rencontre sur le sujet, notamment pour évoquer le lancement d’une étude sur l’opportunité de l’édition numérique pour les pays en développement.

“Il est difficile de regarder la question du numérique pour un éditeur profane, pour qui ces questions ne sont pas essentielles au quotidien. Mais ce qui semble secondaire pour l’instant, peut aller vite demain”, estime l’éditeur avec un doute dans la voix, le même qui agite l’édition mondiale… Qui n’est pas de savoir si la révolution numérique va avoir lieu (tout le monde en est persuadé), mais quand la bascule va réellement se produire.

Sofiane Hadjadj rappelle pourtant l’étendu de la fracture numérique qui sépare pour l’instant les pays du Sud des pays du Nord. Des pays du Sud qui ne forment pas pour autant un ensemble homogène : rien ne rapproche le Qatar du Burkina, ni en terme de connexion, d’équipement ou d’usage. Autant d’obstacles qui empêchent de regarder la question du numérique de la même façon. “Sur le plan éditorial également, nous ne parlons pas des mêmes réalités”, rappelle l’éditeur. Alors que le Maroc ou l’Algérie publient difficilement 4000 titres par an (contre quelque 55 000 par an en France), le différentiel (de 1 à 15) est encore incroyablement plus important en ce qui concerne le livre numérique. “Nous sommes durablement confrontés au manque structurel de production de savoir dans les pays en développement et à la surproduction des industries culturelles des pays développés.” Dans les pays en développement, l’individu cherche encore sa place sur le numérique.

En même temps, vue du Sud, le livre numérique semble intéressant pour sa légèreté, sa facilité d’accès, sa facilité de fabrication. Il apparaît même comme un remède miracle, car il demande des investissements bien moindres que la production d’ouvrages en papier. “Est-il pour autant un remède pour les pays en voie de développement ? Peut-il nous permettre d’espérer un rattrapage ?” Sofiane Hadjadj ne semble pas vraiment y croire. Les réalités économiques auxquelles il est confronté sont certainement trop lourdes pour laisser beaucoup d’espoirs.

La réalité du livre dans les pays du Maghreb est plutôt un échec

“Pour l’instant, les livres viennent du Nord et arrivent au Sud, avec un chemin compliqué de vente et de distribution. Ils suivent une chaîne longue, coûteuse, écologiquement et économiquement catastrophique.” Bien souvent, les éditeurs français pensent savoir se trouver une place sur les marchés francophones, et rechignent à céder des droits pour des zones linguistiques identiques. Pourtant, ils ne parviennent pas à pénétrer ces marchés. Leurs produits, même au format poche, n’ont pas des prix adaptés aux réalités du marché local, leurs distributeurs ne connaissent pas très bien ces micro-marchés locaux composés d’à peine une cinquantaine de librairies dignes de ce nom par pays, là où la France en compte 3000 (dont 800 de qualité).

Or, les cessions de droits permettent aux éditeurs du Sud de vivre, elles leur permettent de construire des éditions adaptées à leurs marchés comme l’explique très bien Layla Chaouni des éditions Le Fennec au Maroc, qui a lancé une superbe collection de livres de poche à 1 euro. Bien des écrivains méditerranéens édités en France sont ainsi inaccessibles à leurs publics d’origine parce que les éditeurs rechignent à céder les droits sur ces marchés qu’ils ne maîtrisent pourtant pas. Ils proposent des livres grands formats ou de poches à des prix allant de 10 à 30 euros : ce qui est inaccessible dans les pays où le revenu moyen tourne autour de 350 euros.

Certes, les éditeurs du Sud font le même constat : il ne semble pas y avoir de barrière psychologique par rapport au numérique. L’appétit et la fascination pour la technologie sont primordiaux dans les pays du Maghreb où deux tiers de la population à moins de 25 ans. “Le livre est plutôt un échec dans nos sociétés”, constatent avec une grande lucidité les éditeurs. Il n’est pas inscrit dans la vie quotidienne des gens. Le réseau de librairie est très limité et vendre deux mille exemplaires d’un livre est considéré comme un grand succès de ce côté de la méditerranée.

“Le problème c’est le manque d’appétence des jeunes pour la culture”, estime l’éditeur tunisien Wallid Soliman (blog) des éditions Walidoff. “Il faut aller les chercher. Trouver les livres qui les adressent.” Les jeunes sont donc très décomplexés : “Lire un livre papier ou un livre sur ordinateur, pour eux, c’est pareil !”

Pour autant les éditeurs ne sont pas idiots, ils savent bien qu’il faut regarder qui contrôle les tuyaux et là où ils s’arrêtent. Dans des pays où l’équipement individuel est inexistant, où les connexions sont souvent lentes et aléatoires, où seul le téléphone mobile semble s’être installé, quelles solutions sont accessibles ? Pour l’instant, les éditeurs du monde arabe les plus avancés sur le numérique sont les éditeurs libanais, qui forment le coeur de l’édition arabe, et les éditeurs de livres de propagandes religieuses.
“Les situations de déséquilibres se creusent. Or, le livre n’est pas que du domaine du marchand. C’est un bien culturel. Il ne doit pas répondre qu’à la loi de l’offre et la demande. Dans les pays méditerranéens, le livre circule mal. Or, ici, le livre est une question de survie au quotidien. Il est l’avenir des sociétés, de la civilisation arabe dans toute sa diversité”, insiste Sofiane Hadjadj.

L’accès d’abord… au risque du piratage ?

Le livre numérique est-il une solution pour combattre le différentiel des savoirs et des connaissances ? Et Sofiane de faire référence à la musique et au cinéma. “Il y a 20 à 30 ans, il y avait dans les pays du Maghreb un grand retard dans l’accès au divertissement, lié à des problèmes de diffusion. Le passage au numérique, via le CD et le DVD, a été une révolution extraordinaire : on s’est adapté, en retard, mais cela a été un outil de développement important. On a pu accéder à un Nouveau Monde culturel, via des supports légers, nouveaux, accessibles. Un lecteur DVD désormais cela coûte 30 euros. Un DVD, 1 euro. D’un coup, les populations ont eu le sentiment de participer de la marche du monde. Mais cela s’est fait à la condition du piratage : et tout cet apport est basé sur un piratage, largement consenti. Les Majors des industries culturelles savent très bien que leurs films, leurs musiques et leurs logiciels sont massivement piratés. Ils ont compris que c’était dans leur intérêt. Qu’ils n’allaient pas faire leur business ici ! Ils ont compris qu’ils ont intérêt à ce que cette culture se développe, de manière accessible, qu’elle touche les clients de demain, pour que leurs marchés soient assurés quand ces pays se développeront. Le débat sur le contrôle, ici, n’a pas lieu, même pour les producteurs de culture locaux.”

Avec un très faible déploiement du parc des ordinateurs personnels, des connexions internet très rares, des pratiques de lectures papier assez faibles… et une existence forte des pratiques de piratages des livres papiers, les éditeurs du Sud demeurent dubitatif face aux promesses de l’électronique. D’autant, qu’il y a une autre raison au piratage du livre numérique. Le paiement dématérialisé n’existe pas de ce côté-ci de la méditerranée. Comment parvenir à se rémunérer dans un marché atone et techniquement inexistant ?

Des questions similaires, des réponses différentes

Il est intéressant de constater que les questions que nous adressent les éditeurs du Sud sont les mêmes que celles que se posent les éditeurs du Nord. Quels contenus vont-ils pouvoir proposer ? Vont-ils pouvoir faire exister les leurs dans une culture toujours plus Mainstream, comme l’explique le livre éponyme de Frédéric Martel ?

Qui diffuse et qui vend ? La question de la constitution d’une chaîne de diffusion numérique est aussi importante des deux côtés de la méditerranée, chacun comprenant bien que sans elle, rien n’est possible, et que celles que proposent Apple, Amazon ou Google, ne sont peut-être pas des solutions sans conséquences pour la chaîne du livre et la diversité culturelle.

La question de l’accès est bien sûr essentielle. Celle de la démocratisation des supports, celle des possibilités de connexion ou de modes de paiement bien sûr. Mais peut-être plus encore, celle de l’accès à la culture. Au Nord comme au Sud, ces outils s’adressent d’abord à ceux qui lisent, à ceux qui ont le plus de moyens économiques ou culturels. Qui s’adressera aux autres ?

Quant aux questions de paiements et de modèles économiques, elles demeurent entières, même si la différence des conditions économiques conduira à ne pas apporter les mêmes réponses. Construire des offres sur de la téléphonie mobile traditionnelle par exemple n’intéresse pas beaucoup les éditeurs occidentaux, même si le parc de téléphones mobiles est de loin le premier parc de terminaux électroniques au monde, loin devant la radio, la télévision, l’ordinateur voire même les téléphones de seconde génération ou les outils dédiés, cibles de toutes les attentions.

Ce qui est certain, c’est que la révolution du téléphone portable est palpable. Elle est technologique et civilisationnelle, conclut Sofiane Hadjadj. “Le téléphone mobile a fait devenir les gens des individus”. C’est également ce que la culture et la connaissance proposent, mais d’une toute autre manière. Encore faut-il nous défier que demain, la communication prenne le pas sur la culture pour libérer l’homme.

07 décembre 2010

Quand on arrive sur la home du nouveau Google Books Edition (il faut avoir une IP américaine pour cela, sinon, visiblement, vous n’accéderez à rien d’autre qu’à l’ancienne interface puisque le projet pour l’instant ne se destine qu’aux Etats-Unis : une ouverture pour l’Europe est prévue début 2011), que vient de lancer Google, on est frappé par cette brisure de l’écran en deux. Google ne nous avait pas habitué à cela.

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Il y a désormais deux projets Google Books - l’un est magasin en ligne qui permet d’acheter et de consulter des livres électroniques (Google ebooks store), l’autre est un moteur de recherche dédié aux livres (Google Books Search) (sans compter Google Scholar dédié aux articles de revues qui est pleinement complémentaire dans le champ de la connaissance) - et il n’est pas sûr qu’ils parviennent à nouveau à se rejoindre un jour. La bibliothèque personnelle de chaque utilisateur enregistré est censée être le point de ralliement des deux projets, mais elle donne accès à une interface trop personnalisée pour être pleinement fédératrice. La première impression avant d’entrer dans cette librairie en ligne est qu’elle repose sur un éclatement, une double option, comme s’il y avait deux projets concurrents, comme si l’Ogre de Mountain View était en train de devenir une hydre à têtes multiples.

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googleebookstoreerreur.1291672785.jpgLa seconde impression de cette première visite donne le sentiment que cette ouverture a été précipitée. Sur la home de la boutique, trois des liens accessibles : la liste des bestsellers du New York Times, celle des livres de Noël et des meilleurs livres de 2010 conduisent à une page d’erreur. J’ai tendance à penser que c’est peut-être lié à ma connexion (pas sûr que tous ceux qui ont eu accès à la boutique aient eu cette erreur). Mais la perspective d’être absent des ventes de Noël a visiblement joué.

googlebooksfreedom.1291672949.jpgLa quatrième impression est que l’intégration de la boutique rend le moteur de recherche de livres d’un coup déséquilibré. Comme on le voit dans cette capture d’écran, d’un coup une recherche donne la part belle aux livres de Google sur les livres proposés par la concurrence. L’équité, qui avait paru être un gage du projet Google Books Search, puisqu’après discussions, Google avait incorporé de nombreux libraires tiers à son moteur, est rompue. Google se donne un avantage commercial. “Le Léviathan Google, qui ne se voulait que le relais de toute l’information, de toutes les connaissances de l’univers”, comme le dit Ariel Kyrou dans Google God. Son projet démiurgique à long terme de numérisation des connaissances du monde est visiblement déchiré par son objectif de rentabilité immédiate qu’incarne cette boutique. Les deux logiques de Google s’affrontent et se synthétisent dans ce projet.

Pourtant, le projet démiurgique pourrait presque sembler sauf, quand on constate l’effort d’interopérabilité affiché : avec des applications permettant d’accéder à ses livres quel que soit le support, partout, dans les nuages. Google eBooks store (la boutique) vous permet d’accéder à vos livres sur tout support… enfin presque, l’exclusion du Kindle, comme le souligne les commentateurs de Teleread, dans la liste graphique mise en avant sur la boutique est éclatante et sonne, à ce lancement, comme une déclaration de guerre. D’autant que les livres que propose Google seront lisibles sur presque toutes les plateformes (à l’exception du Kindle), alors que les livres numériques proposés par Amazon semblent n’être lisibles que sur le Kindle (à l’exception de toutes les autres plateformes) : mais c’est une fausse impression, puisque tout le monde a développé des applications permettant de porter sa lecture sur d’autres types de supports.

Enfin, Google a créé un classement thématique des livres, un rubricage qu’il faudra explorer, car, si mes souvenirs sont bons, il n’en possédait pas jusqu’alors.

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Difficile de se faire une idée sur les prix pratiqués. A première vue, ils semblent sensiblement les mêmes que ceux d’Amazon ou d’Apple, même si je suis certain que des commentateurs américains ne vont pas tarder de regarder cela de près. Le plus évident demeure tout de même la différence d’offre. Google met en avant son produit d’appel phare : la gratuité. C’est la deuxième ligne de la home de cette boutique. C’est ce fonds libre de droits, scanné depuis des bibliothèques publiques que Google met en avant. A la différence, quand vous entrez dans le Kindle Store, vous arrivez d’abord sur la page des Bestsellers payants. Google met en avant sa force, les 2,8 millions de livres libres de droits que composent sa boutique (pour 200 000 titres vendus par les éditeurs), rapporte Wired. D’un chiffre Google semble enfoncer Amazon et ses 700 000 ebooks. Mais là encore, le débat va faire rage. Google vend-il réellement des livres orphelins ? Pour l’instant, sur décision du juge, comme le rappelle l’AFP, Google ne propose qu’un immense fond gratuit, de livres libres de droits et un petit catalogue de titres payants. Les oeuvres orphelines, trésor de guerre de Google, ne sont toujours pas exploitées. De même Google est contraint d’appliquer les limites géographiques d’exploitation des livres, créant une grande complexité pour l’utilisateur de base dans la gestion de ses collections - sauf à les contourner grâce à une connexion VPN par exemple.

Et la lecture ? Sur le web, la page de rendu des oeuvres a été améliorée, même si elle est passée sur deux pages (et visiblement il n’est pas possible de revenir sur une page), ce qui tient peut-être mieux compte des écrans horizontaux. Elle est plutôt paramétrable (on peut régler la taille, l’interlignage, la justification et le mode - image ou texte…).

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La page de recherche dans une oeuvre est bien sûr toujours là, même si on peut regretter, comme le faisait remarquer Joe Wikert il y a quelques jours, qu’on ne puisse pas citer, hyperlier un extrait précis. Il est nécessaire qu’on puisse lier les pages d’un livre plutôt que de lier un livre. Comme le disait René Audet : “l’outil doit nous conduire du propos des lecteurs vers le texte et non l’inverse” (regardez d’ailleurs la nouvelle structure des liens du New York Times, qui permettent de citer et lier jusqu’au coeur d’un article : très puissant !).

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A chaque avancée de Google, on se rend un peu plus compte de ses limites. Pour ma part, ce que je retiens de ce premier coup d’oeil, c’est vraiment l’éclatement du projet de Google, l’affrontement des deux logiques du Léviathan, synthétisées ici, dans ce projet à la fois formidable et maudit, dans lequel Google se débat depuis plusieurs années.

Mise à jour : Je vous invite à lire les réflexions d’Olivier Ertzscheid sur le sujet qui offrent bien plus de perspectives que moi.

03 décembre 2010

David Havas, chercheur au département de psychologie de l’université du Winsconsin a publié dans Psychological Science en juin 2010, une intéressante étude sur les effets du Botox (oui, oui, cette protéine qu’on s’injecte pour paraître jeune) sur nos émotions et notre cognition, rapportait récemment Pour la Science :

“David Havas et ses collègues de l’Université du Wisconsin ont injecté du botox à des jeunes femmes dans certains muscles du front où se forment les rides, mais qui servent aussi à exprimer des émotions négatives comme la tristesse ou la colère. Ils leur ont fait lire des textes suscitant des émotions négatives, et ont constaté qu’elles mettaient plus de temps à comprendre le sens des phrases. En outre, elles comprenaient entre cinq et dix pour cent de phrases en moins.

Cette expérience montre que les mouvements des muscles du visage servant à exprimer une émotion sont une aide pour identifier l’émotion correspondante, parce qu’on la reproduit de façon imperceptible. Des expériences d’imagerie cérébrale avaient déjà montré que l’injection de botox réduit l’activité de certaines zones du cerveau impliquées dans la perception des émotions, telles que l’amygdale cérébrale ou le cortex orbitofrontal.

Selon les zones du visage où est réalisée l’injection, la compréhension des émotions décrites dans un texte est différemment altérée. Si le muscle facial ciblé est le muscle corrugateur du front, la compréhension des émotions négatives sera altérée ; si l’injection est réalisée autour de la bouche, les émotions positives risquent d’être moins bien perçues. Le botox donne un visage plus lisse, mais aussi une lecture sans relief.”

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Image : François Bon en lecture performance en 2009 à Fontevraud.

Ce qui est intéressant dans cette expérience, c’est qu’elle montre que la lecture n’est pas qu’une fonction intellectuelle. Elle engage notre corps tout entier. Nous ne sommes pas de purs cerveaux. Notre compréhension est également fonction de notre corporalité (comme notre mémoire, rappelle Rémi Sussan). L’expression de nos émotions nous aident à les comprendre. Des résultats qui confirment l’hypothèse de la cognition incarnée, explique Arthur Glenberg, professeur de psychologie à l’université d’Etat de l’Arizona : “L’idée de la cognition incarnée, c’est que tous les nos processus cognitifs, même ceux qui ont été considérés comme très abstraits, sont réellement enracinées dans des processus corporels de base de la perception, de l’action et de l’émotion.”

Si retenir nos émotions nous empêche en partie de comprendre ce que nous lisons, on pourrait presque en déduire que la lecture silencieuse et inexpressive telle qu’on nous apprend à la pratiquer est en fait contre-intuitive. Il va être temps de donner des cours de lecture performance à tout un chacun !

02 décembre 2010

L’émission A bon entendeur, sur la TSR, consacrait il y a peu un sujet au livre numérique (13′) qui résume bien certains des enjeux, notamment de savoir qui de la poule où l’oeuf, de l’offre ou de la demande, construit le marché.

01 décembre 2010

Enfin ! Les auteurs seraient-ils enfin en train de se réveiller ? C’est ce qu’on peut penser en lisant l’excellente (et très amusante) tribune de Paul Fournel, Cécile Guilbert, Hervé Le Tellier, Gérard Mordillat et Gilles Rozier sur LeMonde.fr. Un texte qui dénonce la prévarication que tente le monde de l’édition sur l’exploitation numérique des oeuvres.

Alors qu’au format papier, l’éditeur touche en moyenne le double de l’auteur, au format numérique, l’éditeur s’apprête à toucher 7 fois plus que l’auteur. Un rapport qui n’est pas équitable, dénoncent avec raison ces auteurs (à la suite du Groupement des auteurs de BD du Syndicat National des Auteurs Compositeurs qui avaient dressés les mêmes remarques il y a quelques mois), d’autant que les plateformes numériques (Amazon, Apple, Google) font toutes de bien meilleures offres aux auteurs (non seulement financièrement, mais également en capacité de distribution). Or, ce sont bien les auteurs qui détiennent les droits numériques de leurs oeuvres : elles n’appartiennent pas “naturellement” à l’éditeur, comme l’espéraient ouvertement ces derniers dans une inique pétition pour le #prisunic du livre qu’ils lancèrent fin septembre et comme le dénonçait fort justement l’écrivain François Bon récemment.

A l’heure où des plateformes numériques font les yeux doux aux auteurs en promettant des reversements plus alléchants (même si la part de prélèvement des plates-formes type Apple iBookstore ou Kindle d’Amazon voire Google Books est encore bien souvent trop élevée et injustifiée !) que les reversements que proposent les éditeurs aux auteurs, on peut comprendre que les auteurs s’interrogent. La question de confiance est à nouveau posée. Il va bien falloir crever l’abcès. Pire, si les éditeurs étaient lucides, ils feraient une meilleure offre que celles de ces plateformes à leurs auteurs, plutôt que de refuser le changement. Car l’enjeu n’est pas l’Eldorado des millions d’euros que va rapporter l’exploitation numériques des oeuvres (rien n’est moins sûr !). L’enjeu, c’est la confiance, c’est la relation qui lie l’auteur et l’éditeur comme le pointe très bien cette tribune.

Il est grand temps de discuter des droits d’auteur tous autour d’une table. Pour les éditeurs, qui risquent de voir leurs auteurs partir exploiter ailleurs leurs oeuvres au format numérique. Pour les auteurs, qui doivent être maîtres des conditions de diffusion de leur oeuvre - c’est eux et eux seuls qui imposeront la fin des DRM que réclament les lecteurs.

Comme l’a déjà dit plusieurs fois l’écrivain François Bon, il y a deux préalables à toute discussion sur les droits des oeuvres numériques : que la durée du contrat de session soit limitée dans le temps (et ce d’autant plus que le livre numérique n’est jamais épuisé alors que l’épuisement d’un titre est normalement une condition pour que l’auteur récupère ses droits) et que le pourcentage accordé à l’auteur ne soit pas sur les ventes mais sur les recettes.

La progression des marges de l’éditeur ne se gagnera pas en rognant les droits et la rémunération des auteurs, comme on le voit trop souvent dans ce secteur. Au contraire. C’est la confiance dans l’exploitation de l’oeuvre qu’il faut rebâtir. Les éditeurs peuvent vouloir “garder le contrôle” : il ne le garderont pas contre leurs auteurs, mais avec eux.

LibraryThing, le pari de l’innovation avec les lecteurs

Je suis toujours curieux de LibraryThing (LT), le service développé par Tim Spalding, qui demeure incontestablement le meilleur service de recommandation social des livre. Toujours curieux, car depuis l’origine (il y a 5 ans), LT n’a jamais cessé d’innover. J’y suis abonné et j’y enregistre régulièrement mes lectures, rapidement, comme tout ce que je fais… Mais de temps en temps (2 fois par an), je prends le temps d’aller voir les nouveautés de la plateforme, et je découvre toujours des choses surprenantes. LT a toujours un temps d’avance, innove sans cesse. A chaque fois, je suis surpris.

Le moteur de recherche a été récemment amélioré et il est effectivement bien plus accessible, notamment en permettant de chercher via la plupart des catégories, plus facilement. Ainsi par exemple, on peut désormais chercher par éditeurs (ceux-ci on d’ailleurs un programme dédié qui leur permet d’importer leurs catalogues notamment) et d’un accéder à la popularité des titres des éditeurs entre eux et d’un éditeur en particulier (regardez avec Le Belial, l’un des rares éditeurs français référencé : pour l’instant, le système ne permet que de rechercher des éditeurs vérifiés hélas : amis éditeurs, déclarez vos catalogues !).

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Image : Les livres les plus populaires du Belial sur LT.

thorgalparlt.1291201963.pngVoilà longtemps que LT développe des aides contextuelles assez remarquables (la basse de “connaissances communes”) qui permet de déclarer les récompenses que les livres ont reçues, mais également des personnages, des lieux, etc. Regardez un exemple très simple, la qualité du classement de Thorgal, la série BD de Rosinski où l’on trouve les lieux (bienvenue à Asgard et d’un coup voici tous les livres qui évoquent ce lieu…), les personnages principaux, et même les cycles dans le cycle… Peu d’outils bibliographiques arrivent à ce degré de précision. Il ne manque plus qu’à introduire des critères de style, permettant aux lecteurs de qualifier l’oeuvre selon son contenu comme le fait Culture Wok .

LT propose désormais un impressionnant ensemble de statistiques personnelles, me permettant de voir que, sur les 805 livres que j’ai entré dans mon profil, j’ai tendance à lire essentiellement des romans dont la langue originelle est le français ou l’anglais. Que la note moyenne que je mets aux livres que je lis est de 2,91, juste au-dessus de la moyenne (dommage qu’on ne puisse pas encore séparer par genres). Que je devrais a peu près avoir lu 86 livres cette années (une bonne part de BD), ce qui n’est pas si énorme.

LT est capable de me dire, dans mes livres (comme dans tous les autres) ceux qui sont accessibles au format ebook et sur quels plateformes. Précieux, pour retrouver un livre dans un format qui permet d’interroger son contenu.

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Image : Les recommandations par les lecteurs sur LT. L’exemple de Cents ans de solitude.

En plus des recommandations automatiques, provenant de son algorithme, LT propose désormais les recommandations des membres : c’est-à-dire que chaque utilisateur peut proposer sous le livre de son choix, la recommandation qu’il juge pertinente, et les autres membres pourront voter pour ces propositions, permettant de faire remonter celles qui semblent les meilleures. D’un coup les recommandations prennent une autre dimension. Prenons mon exemple préféré, les Cents ans de solitude de Garcia Marquez, je peux désormais enfin proposer au système automatique une correction. Je peux enfin corréler Garcia Marquez et Jorge Amado (LT était le seul des outils de recommandation à y parvenir), mais là, je peux agir sur le classement (enfin, si les autres utilisateurs m’y aident).

En croisant les données, les bases de données, en ouvrant à la participation des bibliothécaires amateurs que sont chacun des utilisateurs et des lecteurs, LT se dote d’un des plus formidable outil qui soit, comme je le redisais récemment, bien meilleur en qualité de recommandation et en finesse que Google ou Amazon. A terme, plus puissant. LT est la Wikipédia du catalogue bibliographique. Il ne lui manque plus grand chose pour atteindre la perfection du catalogage, comme d’intégrer des critères de styles… Qu’il permette affiner ses statistiques. Et surtout que les passionnés l’envahissent. En faisant le pari de l’innovation avec les lecteurs, avec leur exigence, LT a construit le plus intéressant catalogue qui soit. Chapeau Tim !

19 novembre 2010

Le DRM pour Digital Right Management - ou Gestion des droits numériques ou encore dispositifs de contrôle d’usage - est une mesure technique de protection sur les supports numériques permettant de restreindre ou interdire la lecture ou certaines fonctions de lecture ainsi que d’identifier les oeuvres. Le DRM est la plaie du livre numérique, comme il l’a été du fichier musical ou comme il l’est encore au DVD. Plus qu’un outil de protection contre le piratage, le DRM est “un outil de protection contre le lecteur” qui n’a d’autre but que de le faire fuir.

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Image : Le DRM crypte le contenu d’un livre.

Car son premier effet est bien de détourner le lecteur de l’achat en l’empêchant de profiter de son achat comme il le souhaite : certains DRM limitent ainsi les fonctions de lecture (impossibilité de faire une recherche sur le document, impossibilité de copier un extrait, impossibilité d’appliquer des fonctions logicielles sur le document - un dictionnaire par exemple, mais ce peut être aussi un outil d’analyse, etc.), l’usage de votre propriété (durée de propriété limitée, impression impossible, utilisation forcée d’un seul logiciel de lecture, impossibilité d’utiliser le livre sur plusieurs supports ou sur les supports de votre choix, impossibilité de prêter votre exemplaire à un ami…), voire même les fonctions d’achat (comme c’est le cas des restrictions géographiques, rendant impossible d’acheter un fichier si votre matériel n’est pas de la même zone géographique…).

Certes, la présence de DRM ne semble pas être la principale raison du refus d’achat comme le montre l’excellent Lost Book Sales (ventes perdues de livre) imaginé par Jane Litte, un site sur lequel les internautes sont invités à documenter les raisons pour lesquelles ils n’ont pas acheté le livre qu’ils voulaient acquérir (visiblement, la raison principale demeure le prix). Néanmoins, pour tout ceux qui en font la désagréable expérience, le DRM a tendance à vous détourner de toute velléité d’achat de contenus numériques, car il n’apporte que des contraintes à celui qui passe par la case légale (pour ma part, voilà longtemps qu’il m’a détourné du DVD en tout cas).

Cette semaine, Charles Kermanec, libraire à Brest, a décidé de déréférencer tous les livres numériques contenant des DRM de sa boutique en ligne, explique-t-il sur son blog : “Nous avons, dès le premier jour, dit notre hostilité aux DRM. Nous avons, dès les premiers couacs, fait remonter à nos fournisseurs les plaintes des clients mécontents de l’usage limité et frustrant qu’ils pouvaient avoir des livres numériques qu’ils avaient achetés. (…) Aujourd’hui, c’est fini. Aller plus loin serait nous rendre complices d’une arnaque au lecteur.”

Trois raisons argumentent sa décision : “Quand on fait du commerce, acte équitable s’il en est, il ne faut pas prendre son client pour un voleur. Vendre un e-book avec DRM pour que le client acheteur ne puisse pas copier-coller son livre, pour qu’il ne puisse pas en imprimer à loisir tout ou partie, pour qu’il ne puisse pas le prêter, c’est se méfier a priori de ce client. C’est le menotter ou penser a priori que ce client est malhonnête. Prendre un client pour un voleur, ça m’est insupportable.”

Deuxièmement, les DRM ne marchent qu’avec les clients, par avec tous ceux qui savent les détourner. “Il y a une catégorie d’usagers que les DRM embêtent. Ceux qui ne sont pas informaticiens. Et ceux qui ne sont pas pirates. Ceux là s’arrachent les cheveux pour installer le logiciel Adobe Digital Editions d’Adobe permettant de lire un e-book, et ils passent des 20 ou des 30 minutes au téléphone avec notre SAV pour essayer d’installer le machin contre quoi ils pestent. Avec ces gens-là les DRM ça marche ! Hourrah ! Manque de chance ça ne sert à rien. Ils n’avaient pas l’intention de voler. Ni celle de pirater. Ni de disséminer. Mais peut-être de prêter leur e-book comme ils prêtent aujourd’hui leur livre Gutenberg. Car les livres Gutenberg, ces bons vieux livres papier, on les prête à loisir. On peut en photocopier des pages, ou un extrait : pour travailler. Pour illustrer un exposé. Pour inciter à lire. Sans que les auteurs s’en trouvent lésés.”

Troisièmement, le DRM a pour but d’empêcher les plus petits d’approcher le marché : “à quoi, à qui ça sert les DRM si ça emmerde les honnêtes gens et que ça ne gêne pas les voleurs ? Et si tout ça n’était pas une vaste arnaque des Adobe et autres gros revendeurs en « circuit fermé » (Apple – iPad / Amazon – Kindle) pour empêcher les petits poissons (les libraires trop petits) d’approcher du marché. Car enfin sans DRM (il n’y a plus de DRM sur les fichiers musicaux aujourd’hui) aucun libraire n’a de souci pour vendre des e-books aux clients qui souhaitent en acheter. Des e-books sans DRM, alors lisibles sur n’importe quelle tablette (avec DRM les clients de la fnac vont devoir se souvenir que c’est à la fnac qu’ils ont acheté leur livre. Et s’ils l’ont acheté chez Amazon ils vont devoir se souvenir que c’est chez Amazon, et si c’est chez Apple… Pas simple le progrès technique ! Nous allons continuer à vendre des e-books, bien sûr. Sans DRM, ou filigranés).”

La librairie Dialogues a donc déréférencé les livres numériques avec DRM de sa boutique. Une mesure courageuse.

Les détaillants ont le même problème avec les DRM, comme le disait déjà il y a quelques mois, Julien Boulnois d’immatériel.fr qui montrait la pression sur le Service après-vente que cela engendre et plus encore, que le ratio de vente était largement défavorable : les titres avec DRM se vendent deux fois moins que les titres sans DRM !

Bien évidemment, il existe de très nombreuses solutions pour “retirer facilement les DRM d’un livre numérique au format ePub” ou dans d’autres formats (mais l’article 21 de la DADVSI m’empêche de vous les indiquer car elle ferait peser sur moi 300 000 euros d’amende et quelques années de prison). Espérons qu’un jour on pourra se passer de contourner la loi et que les livres numériques n’auront plus de verrou à leur utilisation. En tout cas, comme beaucoup d’utilisateurs, continuons à refuser les livres avec des DRM et signalons notre refus à leurs éditeurs (et auteurs !!!) comme le suggère Jane Litte : c’est le meilleur moyen pour les faire disparaître !

Comme le rappelle Richard Stallman, fondateur du projet GNU et Président de la Fondation pour le Logiciel Libre, cité par l’excellent dossier d’APRIL sur le sujet des DRM :

“Toutes les libertés dépendent de la liberté informatique, elle n’est pas plus importante que les autres libertés fondamentales mais, au fur et à mesure que les pratiques de la vie basculent sur l’ordinateur, on en aura besoin pour maintenir les autres libertés.”

Mise à jour du 29 novembre 2010 : Suite au BookCamp de Montréal, Karl Dubost à écrit autrement son rejet des DRM. Je partage totalement son opinion, sauf que pour en arriver là, il va falloir d’abord enterrer les DRM tels qu’on les conçoit pour créer quelque chose d’autre qui devra nécessairement s’appeler autrement :

“Une œuvre pour qu’elle soit pérenne doit être copiée, recopiée et partagée de façon large et distribuée. La gestion de droits devrait se faire par une maximisation de la circulation des objets numériques. Si les objets sont identifiés numériquement, il devient beaucoup plus facile de mettre en place des systèmes de rétributions pour les auteurs. Lorsque nous parlons d’identification de l’objet. Il ne s’agit pas d’associer l’identification à la personne qui a acheté l’objet mais d’associer l’identification à la personne qui l’a créé. (…) Les DRMs devraient être un système incitatif à la rémunération des auteurs et non pas le contraire.”

15 novembre 2010

“Il y a de l’intelligence humaine derrière le moteur de recherche, bien sûr, mais il devient inintelligible par le niveau et la complexité de l’algorithme” - Clay Shirky

Alexis Madrigal pour The Atlantic est allé voir comment fonctionnait l’algorithme de Google Books, nécessairement bien différent du Page Rank, qui mesure lui le poids des liens entre les pages web. Or, il n’y a pas d’hyperliens entre les livres permettant de donner un poids entre les oeuvres les unes par rapport aux autres. Ce qui nécessite de prendre en compte d’autres critères. Le Book Rank de Google prend en compte plus de 100 signaux, explique Matthew Gray, ingénieur logiciel en chef de Google Books. “Lorsque vous recherchez un livre, Google Books ne regarde pas seulement la fréquence des mots ou si votre requête correspond au titre d’un livre. Il prend également en compte la fréquence des recherches, les ventes de livres récentes, le nombre de bibliothèques qui détiennent le titre et combien de fois un vieux livre a été réimprimé.” Autant de signaux sensés améliorer la pertinence du moteur.

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Cet algorithme est alimenté par un corpus bien différent de l’algorithme originel. Les pages de résultats comportent moins de données que les pages web, mais ce résultat est plus structuré et il y a moins de spams à combattre. La part la plus difficile à résoudre, estime James Crawford, directeur de l’ingénierie de Google Books, était de déterminer l’intention d’utilisateurs hétérogènes pour déterminer le service de base du résultat d’une recherche. Car c’est peut-être bien là l’un des défauts de la cuirasse. Pour l’instant, le moteur fonctionne pour un utilisateur moyen. Or tous les utilisateurs n’ont pas le même profil de recherche : certaines requêtes vont être plutôt sur les contenus (à la recherche d’un thème ou d’un sujet d’information), d’autres cherchent précisément des titres ou des auteurs. Et ces deux profils n’attendent pas les mêmes résultats d’une requête. “Parfois, les utilisateurs sont à la recherche d’un aperçu. Parfois, ils sont à la recherche d’informations sur cet ouvrage. Parfois encore, ils veulent acheter un exemplaire de ce livre”. Le nouvel algorithme mis en place va plutôt aider ceux qui cherchent spécifiquement un titre plutôt que les autres.

Finalement, comme le moteur de recommandation d’Amazon, bridé pour satisfaire des nécessités marketing, Google Books est optimisé dans un certain but, avec une certaine vision de ce que nous devons y chercher et y trouver. Les ingénieurs qui manipulent l'’algorithme de Google Books ont visiblement décidé de favoriser la recherche et le référencement de titres, la vente d’exemplaire, plutôt que la recherche dans l’ensemble du corpus, la mise en perspective de catégories, de mots clefs… C’est un choix. Pas sûr que ce choix leur permette de se démarquer des autres moteurs de recherche de livres, comme celui d’Amazon par exemple, qui semble fonctionner d’une manière assez identique.

Il y a plusieurs manières de proposer des résultats de recherche. L’algorithme qui permet de numériser des textes, de les lier aux travaux qu’ils citent puis de classer les oeuvres selon leur influence va produire des résultats très différents de ceux qui classent des listes de bestsellers par popularité des ventes. L’essentiel est d’apporter une réponse pertinente pour le plus grand nombre, estiment les chercheurs de Google. Ainsi, si vous cherchez “Dragon Tatto“, le moteur remonte d’abord le bestseller de Stieg Larsson bien avant d’autres titres comme un livre pour enfant qui s’appelle pourtant de ce titre (alors que l’ouvrage de Larsson, en anglais s’intituleThe Girl with the Dragon Tattoo). Bref, comme a son habitude, Google triture son algorithme, comme le dénonce Renaud Chareyre dans Google Spleen. Mais cela ne lui permet pas de fourbir une offre de recherche d’une qualité différente. Quand on cherche Dragon Tatoo, le moteur d’Amazon renvoie également d’abord le livre de Larsson avant d’autres titres.

Prenons un autre exemple. Si je cherche les termes “Internet & Privacy” (donc ici clairement un croisement de thématiques plutôt qu’un titre) sur Google Books, sur Amazon et sur LibraryThing : lequel me renvoie les résultats les plus pertinents ? Pas sûr donc qu’en répondant aux sirènes du marketing, Google travaille pour quelque chose d’autres que pour lui-même. Drapé dans ses grands principes, qu’analyse très bien Ariel Kyrou dans Google God, au quotidien, le moteur est bien loin d’être le dieu parfait qu’il prétend être.

Google finira-t-il pas construire des fonctions de recherches distinctes selon les usages des utilisateurs ? En tout cas, estime Alexis Madrigal : les ingénieurs de Google pensent qu’ils seront en mesure de deviner l’intention en fonction de votre requête. Peut-être, mais pour l’instant, force est de constater que ce n’est pas vraiment le cas et que les résulats ne sont pas là. Google Books est un moteur de recherche commercial bien plus qu’un moteur de recherche de la connaissance. Plus que de trouver le “le facteur d’impact” de demain, ses objectifs ont l’air plus terre à terre. Google Books ressemble de plus en plus à une librairie et de moins en moins à une bibliothèque.

La Technology Review publiait également il y a peu un article sur un autre BookRank développé par des chercheurs de Princeton : un moteur de recherche capable de lire les corrélations entre documents non liés et qui serait capable de montrer le succès des expressions et leurs développements de documents en documents. Le logiciel analyse le texte d’une base documentaire pour identifier les phrases et les mots les plus significatifs et montrer comment les idées influencent les auteurs. Il analyse les textes de documents et détermine les mots et les expressions les plus importantes en les catégorisant. Il est ensuite capable de retrouver les expressions, les concepts entre les documents et de dire où elles sont nées et comment elles se sont répandues en étant reprises les unes les autres.

Les chercheurs ont testé leur algorithme sur plusieurs grandes archives contenant des milliers d’articles de revues montrant que les documents identifiés comme influents étaient le plus souvent ceux qui étaient le plus cités. Mais dans certains cas, ils ont identifié des articles peu cités comme influents, évoquant des articles pivots, permettant d’accéder à des ressources importantes, sans présenter de nouvelles idées. Comme quoi, il est encore possible de défricher des modes d’organisation et de compréhension des connaissances. Mais cela n’a plus l’air d’être le cas chez Google.