par Olivier Schmitt
Martine Aubry s’entretient avec une responsable du Centre catholique contre la faim et pour le développement lors de la marche d’ouverture du 11e Forum social mondial à Dakar le 6 février. (Photo o/s)
Tandis que Dominique Strauss-Kahn gère à Washington la sortie de crise mondiale, Martine Aubry, sa principale rivale à l’élection présidentielle au sein du Parti socialiste, est à Dakar, au Sénégal, depuis le 5 février et jusqu’à jeudi soir. L’un est aux manettes de la mondialisation, l’autre au contact des altermondialistes, une sorte de grand écart qui dit, selon les points de vue, la diversité des talents au PS ou deux engagements distincts qu’il faudra bien un jour départager. Le jour n’est pas venu et ce n’est pas en terre africaine que la première secrétaire dira si oui ou non elle est candidate à la primaire socialiste.
En attendant le mois de juin, donc, la patronne du PS affiche sa différence, à moins que ce ne soit sa préférence: le terrain, les expériences concrètes, les artistes, les responsables politiques, bref, la substance du 11e Forum social mondial (FSM), un rendez-vous qu’elle n’avait jamais inscrit sur son agenda jusque-là. Elle est venue, si on ose dire, en nombre, flanquée de son plus proche conseiller, Jean-Marc Germain, de son numéro 2, Harlem Désir, de son porte-parole, Benoît Hamon, et d’un nombre chaque jours grandissant de secrétaires nationaux dont Jean-Christophe Cambadélis, proche de DSK, qui s’amuse manifestement assez d’être là, oeil de Washington, sorte de Raminagrobis qui n’en perd pas une miette.
Familière de l’Afrique noire, amoureuse des arts premiers, plusieurs fois arpenteuse des terres sénégalaises, maliennes ou Burkinabe, Martine Aubry a consacré les premières heures de son séjour aux artistes, dans le sillage de l’immense Ousmane Sow, dans tous les sens du terme, plasticien du haut du panier - beaucoup se souviennent de ses sculptures présentées sur la passerelle des Arts à Paris il y a quelques années - et homme à la stature impressionnante. Lundi matin, à la première heure, elle avait rendez-vous avec celui qui est devenu une figure mythique de l’altermondialisme, puis de la mondialisation tout court, Lula, l’ex-président brésilien.
Le plasticien Ousmane Sow présente à la première secrétaire du PS les photographies du Sénégalais Samuel Fosso à l’Institut français de Dakar. (photo o/s)
La conversation de près d’une heure a porté sur la situation des deux pays, sur le G 20 mais aussi la constatation que le Parti des travailleurs et le PS n’avaient pas de lieu commun où dialoguer ensemble, Lula ayant toujours refusé de rejoindre l’Internationale socialiste. Il a pourtant souhaité que le PS soit en mesure de rassembler la gauche lors de l’élection présidentielle de 2012 et n’a pas caché qu’après Dilma Rousseff au Brésil, il verrait bien une femme présider aux destinées de la France. Son sourire s’adressait à Martine Aubry, pas mécontente de la tournure de leur rencontre, soigneusement mise en scène pour les caméras de la télévision et les photographes. Au chapitre des rencontres politiques, jeudi au plus tard, elle devrait avoir un entretien avec le président sénégalais, le très libéral Abdoulaye Wade, qui entend se présenter en 2012, à l’âge de 86 ans, pour un troisième mandat que sa constitution lui interdit. Séjournant au Sénégal, Martine Aubry trouverait “très impoli” de ne pas rencontrer le président Wade et en profitera pour discuter avec lui de la crise que traverse aujourd’hui le Sénégal, énergétique et agricole surtout. Manière encore de dire son rang.
Le déjeuner de lundi fut consacré à discuter avec les principaux responsables du Parti socialiste sénégalais, au premier rang desquels deux personnalités qui devraient dans quelques semaines se départager à la faveur d’une primaire fermée (réservé aux quelque 300 000 membres du PSS): le cadet et maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, et l’aîné et secrétaire général du parti, Ousmane Tanor Dieng. Sombre bilan partagé des années Wade et l’espoir que la révolution tunisienne et le soulèvement égyptien convaincront le président Wade et son fils de renoncer à concourir l’année prochaine.
Le chanteur et producteur Youssou N’Dour et Martine Aubry dans les studios de TFM (photo o/s)
Après-midi plus légère pour la délégation socialiste qui s’est rendue dans les studios de TFM, la nouvelle chaine de télévision de la plus grande star sénégalaise, Youssou N’Dour. Tutoiement, embrassades, le chanteur et producteur sénégalais et la maire de Lille se connaissent bien, s’apprécient, et le montrent ! Joli moment de détente à la faveur d’un détour impromptu sur le plateau, en direct, du très populaire humoriste Kothia. Entre deux imitations savoureuses du président Wade, il a invité Martine Aubry à le rejoindre devant les caméras et s’est lancé dans une charge contre Michèle Alliot-Marie - en substance: “De là-haut, elle n’a pas vu ce qui se passait en bas” - qui enchante la première secrétaire du PS. Quelques instants plus tard, elle sera autrement sérieuse pour répondre au journaliste vedette de TFM sur la situation au Sénégal et les raisons de sa présence au Forum social.
La soirée devait s’achever dans un des restaurants les plus huppés de Dakar, sur la corniche est, à la table de plusieurs figures de la défense des droits de l’homme au Sénégal. Face à Martine Aubry, Fatou Kine Camara, juriste de renom, qui se définit elle-même comme féministe activiste. Elle est célèbre pour ses exégèses du droit négro-africain et aussi pour l’appel qu’elle a lancé, en 2009, en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité au Sénégal. Manifestement, les deux femmes ont pris plaisir à confronter leurs expériences.
Dans la journée de mardi, Martine Aubry devait participer à un atelier du FSM consacré à l’eau avant de prononcer, mercredi, le discours d’ouverture d’un séminaire organisé conjointement par la Fédération Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes. Chacun se souvient ici des discours prononcés avant elle par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Il sera certainement question dans le sien de la métamorphose de l’Afrique et de ses liens difficiles avec l’Europe et la France. Après avoir mis de l’ordre dans son parti, avant de partir en bataille pour la présidentielle, à une place qu’elle n’a pas encore choisie, Martine Aubry peaufine son image de femme de gauche, au centre de la gauche même, ouverte aux préoccupations du monde, l’autre monde, l’ “autre monde possible” cher aux altermondialistes.
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