12 avril 2011

Ce jour-là, les élèves de première professionnelle BELEEC, classe à projet du lycée Romain Rolland de Goussainville, suivent pour la dernière fois une séance d’arts appliqués avant de quitter l’établissement pour deux semaines de relâche puis huit semaines de stage en entreprise. C’est l’ultime occasion pour eux de mettre la main à la pâte pour ce projet qui les a tenu toute l’année : l’illumination de la cour du lycée (voir ci-contre : le projet Kersalé ). Pourtant, ils ont décidé de ne rien faire, ou presque.

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L’enseignante, Mlle Brax, a disposé à plat sur le sol les dix huit lettres métalliques qui étaient fixées jusqu’alors au fronton du bâtiment : LYCEE ROMAIN ROLLAND . L’atelier du jour consiste à marquer sur chaque lettre l’emplacement de petits trous d’où jaillira de la lumière. Une fois les lettres remise à leur place et équipées de LED sur leur verso, une espèce de voie lactée courra à cet endroit sur la façade.

Deux ou trois garçons se penchent sur les lettres, trace cercle et crayon en main. Les autres font au mieux de la figuration.

 

Dernier cour d'arts appliqués des 1 BELEEC, © Marie Augustin

D’après Jordan, élève de 1 BELEEC, seuls quatre ou cinq élèves - les meilleurs de la classe dont lui-même - auraient été sollicités régulièrement pour travailler sur le câblage de leur installation lumineuse en atelier d’électrotechnique. Pour cette raison, les autres se seraient rapidement « distanciés du projet ». « On n’a juste pas envie de faire son truc », lance David, un autre élève de 1 BELEEC. Le projet ne lui plaît pas ? « Mais si, quand je me réveille le matin, je saute du lit en pensant au projet ! », dit-t-il, avant de préciser : « C’est de l’ironie ».

Les autres ne disent pas aussi franchement leur manque d’enthousiasme. Il ont d’autres raisons : « On sort d’un examen de sport qui compte pour le bac, on est fatigués », « C’est bientôt les vacances … ». Lors d’un précédent « dérapage » de la classe juste avant Noël, Monsieur Bérachategui, proviseur adjoint du lycée, avait aussi accusé la fatigue et le relâchement liés à ces périodes de l’année scolaire : « Les statistiques le montrent, en EPS par exemple, c’est toujours avant les vacances qu’il y a le plus d’accidents ».

Dans le brouhaha de son atelier, Mlle Brax hurle, menace, ses élèves ricanent. « Pendant ce cours, j’ai tout essayé et j’ai fini par faire tout ce que je déteste : gueuler », déplore l’enseignante. Une question va lui trotter dans la tête pendant le week-end suivant : « Aurais je pu faire autrement? ».

Ne trouvant pas de réponse, elle pensera à toutes les fois où la plupart de ces élèves avait semblé « accrochés » par le projet. La veille de ce dernier cours d’arts appliqués,  le lycée avait reçu la visite du maire de Goussainville, Alain Louis. L’élu avait été invité  à découvrir les travaux de la classe-star de la ZEP, la classe-vitrine. L’objectif était d’impressionner. Le projet a besoin de la mairie : il manque des bras et surtout des machines pour creuser des tranchées dans le béton, là où passeront les câbles électriques qui alimenteront l’éclairage de la cour. Parmi les présents, cinq élèves modèles de la classe avaient été sélectionnés pour l’opération séduction. Mehdi, Ayoub, Victor, Bokari et Jordan étaient donc venus en costume. Jordan et Victor avaient expliqué avec aisance leur travail au maire, Ayoub avait fait semblant de rire à une blague du visiteur, les garçons avaient joué leur rôle d’ambassadeur de la 1 BELEEC.

Mlle Brax pense que le projet reste un succès ne serait ce que parce qu’il y a eu ces instants : une visite à l’atelier de Yann Kersalé , l’artiste parrain du projet, le dessin de la mise en lumière, et surtout la fabrication de la maquette avec l’aide de trois intervenants architectes…

Pour Mlle Brax, ce dernier cours dédié au projet et pour lequel la plupart des élèves n’a montré aucun intérêt, ne compromet pas du tout le travail investi jusque là. « Ça  arrive », dit-elle seulement.

En novembre dernier, le projet commençait à peine :

flash back _ la classe-à-projet _ novembre 2010_ZLamazou from Zoé Lamazou on Vimeo.

Zoé Lamazou (texte et vidéo), Marie Augustin (photo)

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Commentaires

  1. 5 qui bossent, les autres de la figuration (au mieux !).
    La messe est dite.

    En fait il leur faut un projet avec des playstations et du sport quoi.

  2. si je puis me permettre il serait intéressant de connaitre les conditions dans lesquels les propos de chacun sont tenus : en présence de professeur ? de camarade ayant le même comportement ? de camarade ayant un comportement divergeant ?

    Bonjour,

    merci pour cette question qui me permet de mentionner ici brièvement quelques points de methode liées aux contraintes de “terrain” et de format dans ce contexte particulier du lycée et pour cet objet médiatique hybride qu’est le blog.

    Les propos des élèves livrés dans ce billet du 12 avril ont été recueuillis pendant le cours d’arts appliqués. J’interviewais chaque élève individuellement, mais dans le brouhaha ambiant, en présence des autres élèves plus ou moins attentifs à mon interview car vaquant à leurs occupations (dicussions annexes ou travail demandé par l’atelier du jour). L’enseignante était aussi présente, mais accaparée par son cours, donc pas attentive à mes brèves interviews avec les élèves.

    En débutant ce blog, je savais que j’allais être confrontée à une difficulté importante:

    l’accès immédiat de mes interlocuteurs (lycéens et équipe pédagogique) à la retranscription sonore ou écrite de leur interviews et de leur quotidien risquait de les amener à garder par réaction une posture de représentation, très “en contrôle” de leur image. C’est évident, la caméra, l’appareil photo, le micro, les journalistes se font plus facilement oublier par des “sujets” qui n’ont pas directement accès aux “rushes”.

    Dans la pratique, j’ai été confrontée aux différents effets produits sur la classe par la publication des interviews. Par exemple, depuis que l’interview de Bokari est en ligne (voir: “C’est pour moi que je fais tout ça , c’est pour mon avenir”) , ses copains lui répètent à tout bout de champ: “C’est pour toi que tu fais ça Bokari c’est pour ton avenir !” Cette réplique est devenue une blague sans méchanceté, un prétexte de raillerie.

    J’ai donc parfaitement intégré le fait que mes interlocuteurs adoptent cette posture particulière de représentation quand ils me répondent. En fait cela se traduit par différentes attitudes en fonction des moments, en fonction des élèves aussi. Certains refuseront un temps de prendre le risque de me parler, d’autres resteront désinvoltes, certains s’appliqueront dans la formulation de leurs réponses… A moi aussi de contourner certains blocages ou raideur des élèves face à l’interview en variant les registres: de l’interview classique individuelle à l’observation participante…

  3. J’aime beaucoup la manière dont ces gars sont assis : tout est là !

  4. Bah ouais une grosse bande de bras cassés. C’est pas à eux de s’intéresser c’est aux autres de les intéresser. C’est bien connu c’est pas toi qui doit te déplacer pour te réchauffer aux rayons du Soleil c’est le Soleil qui doit se déplacer pour te réchauffer. Les pauvres gars s’ils comptent que sur les autres…

  5. Des jeunes affalés sur leur chaise qui ne veulent plus se bouger pour le projet que leurs profs se cassent à mettre sur pied, c’est très énervant, mais ça ne mérite pas les commentaires méprisants qu’on peut lire ici. Leur prof, Mlle Brax, relativise, elle est la mieux placée pour en juger. (D’ailleurs elle mérite un coup de chapeau pour son boulot!)
    Une chose qui me frappe, dans le petit film : un jeune parle de Kersalé en disant : “il vient s’occuper de nous, des bacs pros” comme s’il disait “nous, des moins que rien”. C’est dommage que des jeunes qui apprennent ce genre de métiers n’aient pas une meilleure estime d’eux-mêmes et de ce qu’ils font. Mais ils ne font sans doute qu’exprimer l’image que la société leur renvoie.
    Pourtant rencontrer un artisan ou technicien qui aime son métier et comme on dit “le travail bien fait” inspire le respect! Bien plus qu’un certain nombre de “jobs” bidons exercés par des gens qui ont un bac général ou technique du tertiaire.
    Créer les conditions d’un changement de perception des examens professionnels, voilà un défi plus important que bien des propositions et débats qui occupent les écrans pendant des semaines.
    Merci pour vos reportages.

  6. Si si ça les mérite.
    Tout le monde subit la critique tout au long de sa vie.

    - Soit tu prends note de ces critiques et une fois réfléchi :
    => tu appliques, ou pas, ou partiellement.

    - Soit tu pars du principe où c’est vrai et :
    => Tu fais rien, ça justifie de soi-même le fait de rien foutre (et certaines personnes comprennent ça !, pas moi)
    => Tu bouges ton cul car finalement, c’est pour soi-même qu’on se le casse, et pour notre avenir à chacun.

    Et ouai y’a pas que des gens cool dans la vie, mais le principe est qu’en soi on est tous capable de faire quelque chose de sa vie…

    Oh les pauvres, ils ne s’en donnent pas la peine car les gens pensent qu’ils en sont pas capable ?
    => Ils se mentent à eux-même et se trouve un excuse pour rien foutre. Ils ne devraient surtout pas se préoccuper de l’opinion des autres, et juste s’investir, pour soi-même.

  7. La démarche contenait un certain nombre erreurs au départ.
    1. Les lycéens décorent le lycée. Interprétation logique : tout ça c’est pas la vraie vie, c’est un exercice gratuit, on nous tient à l’écart du monde.
    2. On fait venir un Artiste. Ça valorise la prof, mais ça sous-entend que les élèves sont à mille lieues de l’Artiste - d’ailleurs ils le disent eux-mêmes.
    3. Le projet n’est pas adapté au personnel et le personnel n’est pas adapté au projet. Dans la vraie vie, on ne prend pas un groupe de 20 gars avec tous les mêmes compétences (et au niveau du bac, en plus) pour effectuer un projet qui nécessite un chef de projet, un designer, un vendeur, un dessinateur matériaux, un dessinateur câblage, deux chaudronniers, deux plâtreurs et quatre électriciens !
    4. En plus, les rôles nobles ont été confiés sans analyse à la proffe et à l’Artiste, et les élèves ont reçu les tâches de réalisation, et doublonnés - ça ne valorise pas tellement, d’être le mec qui a percé un quart des troutrous à loupiotes… et ça ne donne même pas l’expérience d’une tâche longue et répétitive, de la manière de l’aborder et de la vaincre, de la fierté qu’on en retire.

    L’enfer est pavé de bonnes intentions : on voulait faire une bonne action pour ces jeunes et résultat, on leur a fait comprendre qu’ils n’étaient que des moins que rien.

    Quant à la journaliste qui fait soigneusement attention à les attraper dans leur découragement au lieu de leur laisser jouer le rôle qu’ils veulent, c’est vraiment le coup de pied de l’âne : de la même façon que pour la présentation au maire, ils auraient trouvé une valorisation si vous aviez joué leur jeu en leur demandant d’analyser le projet (et son échec), de défendre leur point de vue, de palabrer, ou de représenter une position. Au lieu de quoi vous les piégez avec l’intention explicite de les faire passer pour des nuls - c’est la petite saloperie qui vient confirmer le gros loupé.

  8. @ rémy :
    ouais, c’est sûr, dans la vraie vie, hors du lycée qui les infantilise et les enferme, avec un bac pro élec, on va leur confier la conception du projet de A à Z.
    Et on va les payer 4000 euros/mois aussi.
    pour bosser 20heures/semaine.

    et je me trompe peut-être mais 1ère bac pro, c’est pas niveau bac…

    Voilà, c’est tout pour aujourd’hui…

  9. Qui sont les intervenants pour rédiger des avis si méprisants ? Des enseignants ? Venez, prenez notre place, on en manque !

  10. A Elia
    Il n’y a pas de mépris ni de méprise de ma part, il y a une vision honnête des choses. Je ne les méprise pas, je les prends comme ils sont. Ce qui est méprisable est de leur faire croire que ce sont des “génies” et des “gros travailleurs” méritant des salaires de footballeurs et “incompris” alors qu’ils travaillent comme des Jean foutre et qu’ils ont des mentalités d’assistés. C’est vous qui les méprenez et les méprisez. Assez d’acharnement pédagogique, s’ils veulent rien faire qu’on les envoie paître ailleurs. J’ai de l’admiration pour cette pauvre prof qui se décarcasse malgré les bras cassés qu’on lui confie. Qu’on mette dehors les démotivés et les emmer”" et qu’on lui confie des gamins qui en veulent.


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