Une femme passionnément impliquée. Ses combats, elle les mène sur plusieurs fronts. Active, elle l’a toujours été dans la cité, la vie associative, la vie politique et la vie tout court. Les nombreux revers, ainsi que sa maladie ne l’ont jamais dissuadée. Idéaliste, Faïza Skandrani prône des valeurs et les défend depuis La Marsa jusqu’à Gafsa, et ailleurs. Elle soutient les femmes et l’égalité des chances, les valeurs de la République en passant.
Editrice, militante, femme de lettres, enseignante de français. Elle a eu maille à partir avec l’ancien régime qui l’avait sanctionnée pour la pétition coécrite par un groupe de professeurs contre l’arrivée de Sharon au SMSI. Il l’a sanctionnée en tant que vice-présidente de la municipalité de La Marsa, par une prompte dissolution du conseil municipal. Un conseil qui s’était opposé à l’époque au projet du nouveau centre commercial Zephyr qui ne respectait pas la ligne architecturale de la ville, qui s’était opposé à la construction de l’école Tahar-Haddad sur un terrain classé pour sa valeur archéologique. Son passage au comité culturel de La Marsa a, cependant, laissé des traces. Le festival Ali- Riahi, c’est sa création, le lancement des Nuits de La Marsa, c’est encore elle, l’ouverture de l’espace culturel Abdel Aziz Jemaïl, c’est toujours elle.
«Ceux qui souffrent de l’inégalité dans l’héritage sont les milieux pauvres»
En 2000, avec la retraite, elle a réintégré l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et développement (Afturd). « Je me suis inscrite carrément dans l’opposition, on travaillait beaucoup avec les femmes démocrates, j’étais impliquée dans le droit des femmes et l’égalité. De 2003 jusqu’à 2009, j’étais élue membre du bureau exécutif chargée de la communication». Des livres ont été publiés sur notamment l’égalité dans l’héritage, nous apprend-elle, c’était vers 2005.
Ces réflexions sur la question délicate de l’héritage ont impliqué des sociologues, des juristes en droit musulmans. Une enquête a été menée par Dorra Mahfoudh et Mohamed Karrou à travers la République et dans tous les milieux sociaux. «Ceux qui souffrent plus de l’inégalité, dit-elle, sont les milieux pauvres. Combien de femmes avons-nous rencontrées qui passent leur vie à faire le ménage pour construire une maison ou une chambre dans la maison des parents desquelles elles se trouvent éjectées, parce que c’est le frère qui hérite !!».
Vers 2009, elle s’est retirée de la vie associative. Une maladie grave et éprouvante contre laquelle elle se bat encore avec courage qui force l’admiration, l’avait retenue à la maison. Au moment de la révolution, Faïza s’activait inlassablement sur Internet, et écoutait les radios, «les revendications qui arrivaient dans les radios Shems FM et Mosaïque FM, entre autres, étaient misogynes. Il y a eu dès les premiers jours de la révolution une campagne orchestrée contre les femmes. Les islamistes s’organisaient déjà . Ils parlaient de polygamie, de retour des femmes au foyer. Une remise en question publique de nos acquis s’opérait sous nos yeux, pendant ce temps, les organisations démocrates et progressistes étaient en perte de repères».
Toujours en veille, Faïza Skandrani a vu longtemps avant beaucoup d’autres venir le danger. Elle crée depuis son clavier un groupe facebook, portant le nom révélateur de «Parité et égalité de chances en Tunisie». Â
1.000 CV de femmes
En plus de son implication forte, Mme Skandrani, a des idées originales. Elle lance à travers ses blogs, groupes et pages facebook, le programme 1.000 CV de femmes, en vue d’appuyer la candidature des Tunisiennes à l’Assemblée constituante. Elle recevra 800 CV de toutes les régions par des femmes intéressées d’y prendre part. Ce programme a eu un succès immense à l’étranger. Invitée à s’exprimer sur sa démarche, la militante a été invitée au Canada, en Suisse, Paris et Rome. «Je recevais tous les jours des appels du monde entier, les étrangers ont adoré mon projet, j’ai été invitée dans plusieurs pays pour en parler. J’étais étonnée que des journalistes vivant très loin pouvaient se procurer mon téléphone, me contacter et m’inviter, alors qu’ici chez moi, les médias locaux ne se sont pas senties concernées, très peu en ont parlé et c’est tout juste en passant».
Un combat qui a fini par porter ses fruits. Non seulement, en Tunisie, une loi sur la parité dans le Code électoral a été adoptée le 22 avril et entérinée, mais, en plus, elle a proposé des CV aux partis politiques qui ont été agréés. «Grâce à cette loi sur la parité, 5.000 hommes et autant de femmes étaient en concurrence sur les listes électorales, la carte politique a changé et la parité est un acquis», dit-elle un brin victorieuse.
Qu’ont fait les partis politiques pour que la parité soit appliquée et soit réelle ? «J’ai essayé de joindre les chefs des partis, répond-elle, la plupart me disaient que ce n’est pas le moment, quand ils n’étaient pas ouvertement contre et annulaient carrément mes rendez-vous. Ou alors ils me disaient que les listes ne pourront pas se faire paritairement parce ils n’avaient pas de femmes à proposer. Je dois spécifier que je parle de partis démocrates et progressistes ! En fait, ce qu’a révélé la révolution, ajoute-t-elle, c’est que la société tunisienne est profondément machiste, un travail de sensibilisation sur l’égalité des chances et la parité n’a jamais eu lieu. Il est normal que les lois devancent la société. Lorsque le Code du statut national a été promulgué, les gens ne l’avaient pas tous accepté. Mais pour que les lois se concrétisent dans la réalité, il y a un travail le terrain qui doit être repris en main».
Au final, des CV de femmes que Faïza Skandrani a proposés ont été retenus. Des constituantes siègent actuellement à l’ANC grâce à ce fameux programme des 1.000 CV.
Les actions inlassablement s’enchaînent
Parce qu’elle dérange, en prônant des idées égalitaires, tous ses blogs et pages ont été piratées le 30 juin 2011. Faïza Skandrani en a créées d’autres depuis. Son groupe égalité et parité compte 4.600 membres à ce jour. Un collectif rassemblant des leaders d’opinion, des intellectuels, des membres des partis politiques qui a assez de résonance pour lui permettre de créer des événements et d’être massivement relayé. Ainsi, les manifestations qu’elle a organisées sont parmi les plus réussies. Le 8 mars, c’était pour défendre le droit des femmes, le 20 mars pour fêter l’Indépendance du pays, le 1er mai, pour prôner l’égalité par le travail, le 28 mai pour alerter sur la situation sécuritaire du pays.
Actuellement, Mme Skandrani toujours en alerte, projette de créer l’événement du 25 juillet avec un groupe d’associations qui vont le lancer parallèlement dans les 24 gouvernorats du pays avec des relais dans les régions. Son thème toujours d’actualité, compte tenu des événements : défendre les valeurs de la République, ainsi que le droit des femmes.
« Il faut que la démocratie fonctionne, martèle-t-elle, pour ce faire, on doit pouvoir circuler en toute sécurité et parler en toute liberté. J’ai des programmes à Gafsa que je n’ai pu mettre à exécution à cause de l’insécurité qui règne dans le pays. Si Jaouher Ben Mbarek est tabassé ou Youssef Seddik est empêché de tenir sa conférence, ça ne sert pas la démocratie. Le gouvernement gouverne, et c’est à lui d’assurer l’ordre public, la sécurité de tous les Tunisiens et de donner les mêmes chances à tous. Nous ne sommes pas un Etat-parti, l’Etat doit être au-dessus de tous les partis. Je tiens à préciser que ce n’est parce que je critique l’impunité des salafistes que je suis islamophobe, je suis musulmane, laïque et je suis pour l’application de la loi ».
Voilà , tout est dit, la militante, continue son chemin de Don Quichotte pour la défense de l’égalité hommes/femmes. Une parité intelligente et complémentaire, précise-t-elle ; «si les hommes n’appuient pas les femmes, seules elles ne pourront rien faire». Tout un programme, donc, que la victorieuse, traduction littérale de son prénom, met à exécution tous les jours un peu plus, inlassablement et contre vents et marées.
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