La religion change, l'urbanisme demeure !

Quelques années plus tard, en 669 après J.-C., isolée du nord du pays depuis l'occupation de la région de Gammouda par les armées islamiques, et probablement déjà dégarnie d'une partie des troupes byzantines repliées vers la région de Carthage, Gafsa fut conquise sans combat lors de l'avance de Okba Ibn Nafaa en Byzacène, peu de temps avant la fondation de Kairouan. Cette reddition lui permit néanmoins de conserver durant tout le Haut Moyen Age sa population fortement latinisée et christianisée avec un statut de dhimmi. Le premier géographe arabe qui mentionne Gafsa est Al-Yacoubi qui décéda entre les années 895 et 905.

Il nous dit que la ville était entourée d'une muraille en pierre, ses environs peuplés et ses fruits de bonne qualité. La ville avait donc gardé au IIIe siècle de I'Hégire, tant son aspect de ville tardo-antique avec les remparts construits par les Byzantins, que sa grande prospérité agricole. Quelques décennies plus tard, le géographe de tendance chiite Ibn Hawqual rapporte que la ville fut prise et dévastée par Abou Yazid Ibn Kided Al-Abadhi entre les années 332-335 de I'Hégire. Quant à Al-Makdissi, mort en 378 de I'Hégire (988 de l'ère chrétienne), il nous dit que Gafsa était l'une des villes principales de la Tunisie.

Al-Bekri, mort en 561 de I'Hégire (1068) a écrit, en reprenant Al-Warraq, que Gafsa était une ville d'une très grande ancienneté et qu'elle était bâtie sur des portiques de marbre, dont on a bouché les arcades avec de fortes cloisons construites en moellons" et il ajoute que la "muraille en est si bien conservée qu'on la dirait faite d'hier". Le même auteur s'émerveille devant son exceptionnelle richesse agricole et nous apprend qu'elle exportait sa production de pistache, non seulement à Kairouan, mais aussi en Egypte et même jusqu'en Andalousie. Ce qui montre que la ville avait un important réseau commercial qui s'étend aux autres provinces de l'empire musulman. Mais ce n'est pas tout, car Al-Bekri ajoute dans sa description qu'autour de Gafsa se trouvait une centaine de kars (villages). Cela témoigne de la forte urbanisation du territoire qui en dépendait. Cette prospérité de la ville de Gafsa durant les premiers siècles de l'Islam a failli être gravement compromise au début du Xe siècle quand, en 908, après les succès remportés dans la région de Kastilya (l'actuelle Tozeur), Abou Abdallah Ach-chii se dirigea avec ses troupes vers Gafsa. Celle-ci, pour être épargnée de la dévastation, demanda l'aman (la vie sauve) et livra aux assaillants tous les fonds et tous les biens appartenant à l'Emirat. En somme, elle paya le prix fort pour éviter d'être prise de force. Lors de l'invasion hilalienne (XIe siècle), les liens avec la capitale de I'Ifrikya s'étant relâchés et la dynastie ziride s'étant avérée incapable de défendre les cités situées hors du Sahel, le gouverneur de Gafsa Abdallah Ibn Mohammed Ibn ar-Rand, se révolta contre l'autorité centrale dont il s'affranchit ouvertement en 1053-1054. Ainsi, capitale éphémère sous les Byzantins, Gafsa le devint de nouveau sous la dynastie de Banou ar-Rand tout en conservant de nombreuses caractéristiques de son long passé de ville antique. Al Yacoubi rapporte qu'en ce temps-là ses habitants étaient à considérer comme des berbères romanisés et AI-Idrissi ajoute qu'ils continuaient à parler un latin africain et qu'une partie d'entre eux était restée fidèle à la religion chrétienne. Aujourd'hui encore, il est facile de reconnaître dans la langue parlée de Gafsa de très nombreux mots berbères et même quelques uns qui sont d'une ori-gine latine assurée.

Vue Panoramique de la ville de Gafsa

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El Borj
 
Tarmil avec la Partie Sud d’El Borj et le « mausolée » la zaouia de Sidi Saleh
 

L'année 1187 (587 de l'Hégire) marque le début d'un déclin qui va, en s'aggravant, durer pendant de nombreux siècles et dont la ville n'a commencé à se relever petit à petit qu'avec l'indépendance du pays. En cette année-là, Gafsa fut assiégée et prise de force par Abou Youssouf Al-Mansour qui saccagea son oasis et mit à bas ses remparts faisant d'elle une ville ouverte, sans protection. Les conséquences de cette prise furent fatales pour la ville et pour sa prospérité.

Aux dires de Yakout Al-Hamaoui (574-626/ 1178-1229), Gafsa n'était plus au début du XIIIe siècle qu'une petite cité et que ses terres étaient marécageuses et ne produisant rien. Ce témoignage se trouve confirmé par ce que rapporte Ibn Chabbat qui a vécu entre 618 et 681 de l'Hégire (1221-1282).

Cet auteur natif du Jarid nous dit que les nombreux ksours qui existaient sur le territoire de la ville ont disparu presque tous. De la centaine de ksars mentionnée par Al- Bekri n'a survécu qu'un très petit nombre. Au XVe siècle, sous la dynastie des Hafsides qui régna à Tunis de 1228 jusqu'a 1574, Gafsa connut un moment d'arrêt de son déclin et même un regain de vitalité. Sa Kasba, depuis fort longtemps en ruines, fut relevée et agrandie comme nous l'apprend l'inscription qui suit:

"Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Que Dieu répande ses grâces sur notre seigneur Mohammed et lui accorde le salut. Cette construction est l'œuvre de Abou Abd Allah ibn Abou Abd Allah ibn Abou Hafs- que Dieu rend glorieux son règne- commandeur de la nation musulmane à Tunis, - que Dieu rend prospère cette ville-"