Un ex-président qui purge une peine pour infractions sexuelles, un ex-Premier ministre reconnu coupable de corruption et un ex-Grand Rabbin accusé de blanchiment d’argent : tout porte à croire que ces personnalités distinguées pourraient bientôt être rejointes par un ex-chef d’état-major de Tsahal.

Pourtant, la recommandation de la police israélienne, cette semaine, d’inculper le général de réserve Gabi Ashkenazi et plusieurs autres officiers supérieurs n’a rien à voir avec la corruption, mais bien avec la gouvernance. Tout cela risque fort de finir en eau de boudin, en dépit du contexte juridique dans lequel s’inscrit désormais cette histoire de passions à l’état brut.

Genèse d’un scandale

L’affaire remonte à quatre ans, lorsque le mandat militaire d’Ashkenazi touche à sa fin et que le gouvernement se prépare à choisir son successeur à la tête de Tsahal.

Aroutz 2, la deuxième chaîne de télévision révèle, à ce moment-là, un document portant le logo d’une agence conseil en relations publiques, détaillant des directives pour promouvoir la candidature d’un général et faire échouer celle des autres.
Le document se révèle vite être un faux. Reste à savoir qui en est l’auteur et qui est à l’origine de la fuite.

Le document contrefait conseille soi-disant le général de division Yoav Galant sur la manière de promouvoir sa propre candidature. Le scandale initial porte donc sur son autopromotion et l’intervention d’une entreprise commerciale dans un processus qui aurait dû rester en dehors de ses attributions. Une fois la falsification établie, un doigt accusateur se pointe vers Ashkenazi, opposé à la candidature de Galant en raison d’une rivalité personnelle, et intéressé à voir son propre mandat prorogé d’un an. Parallèlement, le gouvernement décide d’approuver la candidature de Galant, aussitôt annulée par le procureur général Yehouda Weinstein, suite à l’inconduite de l’intéressé vis-à-vis de la propriété publique dans sa commune d’Amikam.

L’affaire aurait pu s’arrêter là, si Galant n’avait pas été le candidat du ministre de la Défense de l’époque, Ehoud Barak.
Ministre de la Défense au pouvoir par ailleurs incontesté, Barak enrage devant l’échec de sa nomination, qu’il attribue aux fuites fournies aux médias par Ashkenazi. Barak concentre donc ses attaques contre Ashkenazi, qu’il accuse non seulement d’avoir concocté la chute de Galant, mais aussi d’avoir fomenté un putsch contre son supérieur civil, à savoir le ministre de la Défense lui-même. Et cerise sur le gâteau : tout porte à croire que le bureau de Barak aurait mis celui d’Ashkenazi sur écoute, et que les bandes de procédure dudit bureau auraient été mystérieusement détruites.

Un pétard mouillé

Une bonne nouvelle toutefois : malgré les passions, les fuites, les enquêtes et les bandes enregistrées, il ne s’agit pas d’un nouveau Watergate. Suite à l’annonce de la police cette semaine, il est clair que la tentative de putsch n’a eu lieu nulle part ailleurs que dans la tête de Barak. Il est également clair que le général Ashkenazi n’est pas soupçonné d’être à l’origine du faux document anti-Galant, dont la paternité est attribuée à un certain colonel Boaz Harpaz, bien que sa motivation demeure obscure.

La mauvaise nouvelle : Ashkenazi et Barak se sont livrés une guerre privée, alors qu’ils occupaient les deux postes les plus sensibles du pays après celui du Premier ministre.

Le scandale juridique de l’affaire Harpaz, qui a fait les gros titres de ces quatre dernières années, ne ressemble plus désormais qu’à un pétard mouillé. Les recommandations de la police, que le procureur général Weinstein pourrait encore rejeter, se résument à des délits bien moindres que ceux annoncés initialement à grands bruits.

Divulguer des informations secrètes aux médias est un crime lorsqu’il est commis sans l’approbation de l’armée, en particulier lorsque cela vise à faire échouer des opérations militaires. Cependant, le commandant de l’armée est autorisé à définir ce qui est secret et ce qui ne l’est pas, et en tout état de cause Ashkenazi n’a visiblement pas tenté de faire obstacle à une opération de Tsahal en en discutant à l’avance avec un journaliste.

Les sous-entendus suggérant cette semaine qu’Ashkenazi aurait divulgué des informations sur une opération d’une agence de sécurité autre que l’armée israélienne seront plus difficiles à prouver, si tant est qu’une telle accusation soit retenue. Cela n’a cependant rien de comparable aux attaques de Barak à propos d’un putsch, ni aux condamnations d’autres personnalités pour corruption, malversations ou délits sexuels.

De même, le fait qu’Ashkenazi ait eu le document Harpaz en sa possession pendant 48 heures, sans en avoir proprement informé les autorités, peut conduire ou non à un acte d’accusation. Mais si tel est le cas, cela ne sera pas grand-chose par rapport à l’établissement du document lui-même, dont la police reconnaît qu’il n’en est pas l’auteur.

Idem pour les allégations contre plusieurs de ses anciens collaborateurs, notamment son chef de bureau, le colonel (de réserve) Erez Weiner ; le porte-parole de Tsahal d’alors, le général de brigade (de réserve) Avi Benayahou ; et le général de division (de réserve) Avichaï Mandelblit, alors avocat général de l’armée israélienne, aujourd’hui secrétaire du cabinet.
Les crimes présumés commis par ces trois hommes vont de l’abus de confiance à l’obstruction de la justice : des délits beaucoup plus légers que les allégations grandiloquentes avec lesquelles toute cette affaire a commencé. Et l’on peut s’attendre à ce que le ballon se dégonfle encore devant la cour, si cela arrive jusque-là.

Ehoud vs. Gabi : une mésentente peu cordiale

Ce qui ne va pas aller en s’amenuisant, en revanche, est bien l’ego de ceux par qui le scandale arrive, ainsi que les circonstances typiquement israéliennes qui ont conduit à leur affrontement.

Ehoud Barak et Gabi Ashkenazi appartiennent à différents chapitres de l’histoire d’Israël.
Barak est né et a grandi dans un kibboutz, Mishmar Hasharon. Ashkenazi dans un moshav, Hagor.
Bien que situés à peine à 30 minutes l’un de l’autre, le long de l’étroite bande entre l’aéroport Ben Gourion et Natanya, les deux communautés représentent le fossé qui sépare l’élite des fondateurs de l’Etat hébreu et ses successeurs.

Le kibboutz de Barak a été fondé en 1933 par des pionniers d’Europe de l’Est comme ses parents, qui venaient de Pologne. Lorsque l’Unité de reconnaissance d’élite de l’état-major a été créée en 1959, ses commandants étaient à la recherche de kibboutznikim prometteurs pour former son noyau fondateur. Barak a donc été transféré d’un autre bataillon pour servir dans l’unité où il excellera plus tard, et c’est ainsi que sa fulgurante carrière a pris son essor.

La communauté d’Ashkenazi a été créée, elle, en 1949 par des immigrants bulgares, comme son père, et du Moyen-Orient, comme sa mère, arrivée de Syrie. Cette modeste toile de fond va conduire Ashkenazi à rejoindre la brigade d’infanterie Golani – l’antithèse sociale de la très élitiste unité de reconnaissance de l’état-major, où il poursuivra sa formation.

Nés respectivement en 1942 et 1954, Barak et Ashkenazi ont une demi-génération d’écart : le plus jeune est devenu général de division peu de temps après la fin du mandat de chef d’état-major du premier, en 1995.

Dans l’esprit de Barak, Ashkenazi est resté le général de brigade qu’il a connu durant ses dernières années dans l’armée. Pourtant, quand il retrouve le ministère de la Défense en 2006, Ashkenazi est désormais aux commandes de Tsahal, nommé peu de temps auparavant par son prédécesseur à la tête du parti travailliste et au ministère de la Défense, Amir Peretz.

Peretz est l’antithèse politique de Barak. Cet habitant de Sdérot d’origine marocaine a toujours été très apprécié, même par ses rivaux, en tant que véritable dirigeant syndical, fidèle au socialisme que Barak a trahi quand il a choisi de mener grand train en s’installant dans un gratte-ciel hyperluxueux de Tel-Aviv.

Peretz est politiquement en perte de vitesse en 2006, mais l’homme à qui il confie les rênes de Tsahal est populaire, et pressenti comme possible leader travailliste. Barak traite Ashkenazi avec de plus en plus de suspicion. Peu à peu, il va s’acharner à lui mettre des bâtons dans les roues, allant jusqu’à suspendre ses nominations de dizaines de colonels.

Faire entrer les généraux dans l’arène

C’est sur ce fond de dissension et de tensions que s’enracine l’affaire Harpaz. Une dynamique beaucoup plus alarmante que les allégations juridiques qui en découleront plus tard.

Ashkenazi et Barak ont tous deux été victimes du réflexe politique israélien qui consiste à faire entrer de brillants généraux dans l’arène publique.

Le fait est que, depuis Moshé Dayan à la fin des années cinquante, aucun d’entre eux n’aura laissé un souvenir impérissable. Très peu ont prêché la bonne parole – ou même exprimé des vues – sur les questions intérieures : ils se sont essentiellement consacrés à la sécurité et aux affaires étrangères.
Comme ministres de la Défense, les généraux à la retraite ont présidé à de magnifiques fiascos : la guerre du Kippour, notamment, qui a eu lieu sous l’égide de Dayan ; la première guerre du Liban, le fruit d’Ariel Sharon ; la première Intifada, l’échec notoire d’Itzhak Rabin ; et la deuxième Intifada, celui de Barak. Les ministres de la Défense venus du civil, en revanche, comme David Ben Gourion, Levi Eshkol, Shimon Peres et Moshé Arens, ont marqué l’histoire du pays avec de brillants résultats à leur actif.

Les ministres de la Défense sont là pour diriger, équiper et superviser l’armée, et non pas s’immiscer dans les moindres détails de son fonctionnement.
Les généraux à la retraite ont toutefois tendance à être tout le temps sur le dos de ceux de l’active. Ce n’est pas forcément la règle – Rabin laissait les généraux effectuer leur travail, tout comme le général (de réserve) Moshé Yaalon aujourd’hui – mais c’était certainement le cas de Barak.

Général oui, ministre non

Le comble de l’obstruction militaire a été atteint quand il a nommé un chef de cabinet adjoint et un porte-parole de Tsahal, sans même en informer le chef d’état-major. Un ministre de la Défense issu de la société civile ne ferait jamais une chose pareille, car il ne connaît pas la plupart des colonels et des généraux. Tout comme le ministre de la Santé ne connaît pas les chefs de cliniques dans les hôpitaux, et n’intervient pas dans leur nomination.

De même, évoquer le potentiel politique d’Ashkenazi-le-militaire a eu un effet destructeur, même en dehors du coup de sang que cela a provoqué chez son supérieur.

Certains généraux sont destinés à devenir des hommes d’Etat – Eisenhower et de Gaulle par exemple – mais la plupart n’en ont pas l’étoffe. Ashkenazi, comme tant d’autres généraux israéliens, était un leader, mais il manquait de discernement ou de vision unique concernant l’avenir d’Israël. Se servir de lui comme d’un épouvantail a rendu un bien mauvais service à la politique et lui a été fatal sur le plan personnel.

Or, face à un ministre de la Défense qui lui livrait bataille, Ashkenazi a riposté, sans réaliser que Barak, même s’il se comportait comme un général d’active, était en fait son supérieur hiérarchique civil. Israël a ainsi assisté impassible à l’affrontement entre un politicien qui se croyait encore général et un général qui se voyait déjà homme politique.

A 72 ans, Barak est déjà de l’histoire ancienne, tout comme les aspirations politiques d’Ashkenazi du haut de ses 60 ans. La cloison de carton-pâte qui sépare les systèmes politiques et militaires en Israël, elle, n’appartient pas au passé.
Si quelque chose de bon doit sortir de l’affaire Harpaz, c’est à coup sûr l’émergence d’une règle qui interdirait à un général à la retraite d’occuper le poste de ministre de la Défense.

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