(Genève) - L’Algérie restreint de manière arbitraire les droits des travailleurs à former des organisations syndicales, ont affirmé aujourd’hui Human Rights Watch et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme. Le gouvernement sanctionne les manifestants et les grévistes pacifiques, via notamment des suspensions ou des licenciements dans les services publics en guise de représailles, ainsi qu’à travers l’arrestation et la poursuite en justice de militants syndicaux pour des motifs politiques. 

L’Organisation internationale du travail (OIT) devrait appeler l’Algérie à mettre un terme à la répression de l’activité des syndicats indépendants lorsqu’elle examinera l’état de la situation en Algérie dans le cadre de sa prochaine séance qui débutera le 28 mai 2014 à Genève, ont déclaré les deux organisations. L’Algérie est partie à la Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et à la Convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, deux des huit conventions de l’OIT considérées comme fondamentales en matière de droit international du travail.

« En Algérie, l’action des travailleurs est contrecarrée lorsqu’ils tentent de former des syndicats indépendants et d’agir collectivement », a expliqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique de Human Rights Watch. « L’OIT devrait saisir cette opportunité pour rappeler à l’Algérie que le respect des droits du travail implique de laisser les travailleurs former des syndicats et mener des activités syndicales sans ingérence du gouvernement. »
Human Rights Watch et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) se sont entretenus avec des travailleurs et des représentants syndicaux, ils ont documenté les actions entreprises pour former des syndicats en Algérie et ils ont examiné les lois et réglementations régissant les activités syndicales dans le pays.

Les autorités algériennes se livrent à des manœuvres administratives visant à refuser le statut légal à certains syndicats indépendants qui tentent d’opérer en dehors de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), largement considérée comme proche du pouvoir. La loi régissant la légalisation de nouveaux syndicats exige seulement que ces groupes notifient les autorités de leur existence, et non pas qu’ils sollicitent la permission de se constituer. À l’issue d’un délai de 30 jours, les autorités sont censées délivrer un récépissé reconnaissant la constitution du syndicat.

Il est toutefois fréquent que les autorités refusent de délivrer ce récépissé. Dans d’autres cas, les autorités algériennes réclament des informations complémentaires ou demandent aux syndicats de modifier leurs statuts. Mais les autorités refusent parfois d’émettre le récépissé nécessaire, même après que le syndicat en question se soit conformé à leurs exigences. Sans ce récépissé, les syndicats ne peuvent représenter légalement les travailleurs. 

Le Syndicat des enseignants du supérieur solidaires, par exemple, a déposé son dossier le 19 janvier 2012. Plus de deux ans plus tard, il n’a toujours pas reçu son récépissé d’enregistrement. Le Syndicat national autonome des postiers (SNAP) a notifié les autorités à trois reprises – le 2 juillet 2012, le 13 septembre 2012 et le 3 mars 2013 – mais les autorités ne lui ont jamais délivré de récépissé. 

De plus, au moins dix membres de syndicats autonomes ayant critiqué les politiques du gouvernement sur des questions socioéconomiques ont révélé à Human Rights Watch et au REMDH qu’ils avaient été victimes de harcèlement judiciaire et de licenciements sans préavis en représailles à leurs activités syndicales et à des manifestations pacifiques en faveur du respect des droits du travail.

En avril 2012, la Fédération nationale des travailleurs du secteur de la justice a fait grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. Dans le sillage de cette grève, l’administration a cessé de payer le salaire de 57 travailleurs et supprimé leurs prestations sociales et d’assurance maladie sans suivre les procédures légales prévues en cas de mesures disciplinaires, ont affirmé des représentants syndicaux.

L’administration ne les a pas réintégrés, mais elle ne les a pas renvoyés officiellement non plus, les plaçant ainsi dans une situation de vide juridique, dans la mesure où ils ne peuvent s’appuyer sur aucune décision officielle pour une action en justice. D’autres travailleurs ayant participé à des grèves sont également poursuivis pour des motifs fallacieux.

Le 25 avril 2013, Human Rights Watch a envoyé une lettre aux ministres algériens de la Justice et de l’Intérieur en demandant des informations sur des incidents et des cas bien précis dans lesquels il apparaît que les autorités ont violé le droit des syndicalistes et des travailleurs à participer à des activités syndicales pacifiques. Les ministres n’ont toujours pas répondu à cette lettre.

Le 14 juin 2013, le REMDH a envoyé un courrier au ministère du Travail et de la Sécurité socialeet à l’Université de la Formation continue, afin d’obtenir des informations sur le cas de Rachid Malaoui, président du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, renvoyé de son poste à l’université en avril 2013. M. Malaoui aurait en effet été renvoyé en raison de ses activités syndicales. Ni le ministère, ni l’université n’ont répondu à cette demande d’informations.

Bien que les experts de l’OIT aient critiqué l’Algérie à de nombreuses reprises pour ses violations du droit des travailleurs de faire grève et de constituer les syndicats de leur choix (en vertu des Conventions n° 87 et n° 98 de l’OIT), le pays fera pour la première fois l’objet d’un examen mené par le Comité de contrôle de l’application des normes internationales du travail. Ce comité de l’OIT est composé de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. Les gouvernements soumis à cet examen sont invités à s’expliquer devant le comité quant à la manière dont ils appliquent les conventions de l’OIT et à lui fournir des informations sur la situation.

Dans son rapport sur l’application des normes internationales du travail, le Comité d’experts de l’OIT a notamment demandé au gouvernement algérien de prendre des mesures spécifiques pour modifier les dispositions légales qui empêchent les organisations de travailleurs (peu importe leur secteur) de former les fédérations et les confédérations de leur choix. Il a également demandé au gouvernement de répondre aux accusations d’intimidation et de menaces à l’encontre de dirigeants et de membres de syndicats.

Human Rights Watch et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme ont exhorté le comité à recommander au gouvernement algérien de modifier la loi n° 90-14, afin que les travailleurs, indépendamment de leur secteur, puissent former les syndicats, les fédérations et les confédérations de leur choix. Ils ont également demandé au comité d’appeler le gouvernement à ne pas intervenir illégalement dans les activités des syndicats et à respecter les droits syndicaux, via notamment la délivrance du récépissé d’enregistrement pour les syndicats qui ont suivi la procédure de notification.  

L’Algérie a également des obligations à respecter au regard de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantissent la liberté d’association et de réunion, ainsi que du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui protège les droits spécifiques liés à la liberté d’association et à l’appartenance syndicale.

L’article 2 de la Convention n° 87 de l’OIT, portant sur la liberté d’association et sur la protection du droit de s’organiser, stipule que les travailleurs et employeurs, sans distinction, doivent avoir le droit de créer des organisations et, dans les seules limites fixées par l’organisation en question, d’adhérer à celles de leur choix sans autorisation préalable.

« La ratification des conventions de l’OIT et des conventions internationales des droits de l’Homme par l’Algérie devrait être assortie d’efforts supplémentaires de mise en œuvre dans la pratique », a déclaré Michel Tubiana, le président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme. « L’Algérie se doit notamment de protéger les militants syndicaux contre les représailles dont ils peuvent être victimes en raison de leurs activités syndicales. »

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Informations détaillées sur les violations des droits syndicaux en Algérie

Les droits syndicaux en Algérie
Depuis l’indépendance de l’Algérie, ancienne colonie française, en 1962, jusqu’aux années 1990, l’Algérie ne disposait que d’un seul syndicat de travailleurs, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), que nombre d’historiens décrivent comme ayant joué un rôle crucial lors de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). Suite aux émeutes généralisées et aux manifestations ayant ébranlé le gouvernement en octobre 1988, l’Algérie a adopté une nouvelle constitution, préparant le terrain pour la législation qui a mis fin au monopole du Front de libération nationale, le parti au pouvoir, sur la vie politique, les médias et l’organisation du travail, et qui a permis d’étendre les libertés d’expression, de réunion et d’association.

Le 2 juin 1990, l’Algérie adoptait la loi n° 90-14 autorisant la création de syndicats indépendants. Plusieurs syndicats autonomes ont effectivement été créés dans le secteur public, comme le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP) et le Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF).

La loi n° 90-14 exige que les nouveaux syndicats déposent une déclaration notifiant aux autorités leur création. Cette déclaration doit comprendre la liste des membres fondateurs et du comité d’administration du syndicat, ainsi que leur signature, leur état civil, leur profession et leur adresse personnelle ; deux copies certifiées des statuts du syndicat ; et enfin le procès-verbal de leur assemblée générale fondatrice. La loi énonce que le wali (gouverneur) ou le ministre du Travail doit délivrer un récépissé reconnaissant la constitution du syndicat dans les 30 jours.

Cette même loi empêche quiconque d’exercer des pressions sur les travailleurs ou de les menacer en vue d’entraver leurs activités syndicales. Elle stipule en outre qu’aucun représentant syndical ne peut être renvoyé, transféré ou soumis à une action disciplinaire pour ses activités syndicales.

Entraves à la création de syndicats

En pratique, les autorités ont limité le droit de fonder un syndicat indépendant de diverses manières : les autorités ont à de nombreuses reprises refusé de délivrer le récépissé d’enregistrement. Les autorités ont également recours à diverses tactiques visant à retarder la délivrance de ce récépissé, en obligeant les syndicats à modifier leurs statuts et à leur fournir des documents qui ne sont pas requis par la loi. En l’absence de leur récépissé d’enregistrement, les syndicats sont dans l’impossibilité de mener leurs activités normalement. À titre d’exemple, sans ce récépissé, le syndicat ne peut pas collecter de droits d’adhésion, une source majeure de revenus qui lui permet de louer des bureaux et d’organiser des événements. Il ne peut pas non plus ouvrir de compte bancaire ou entamer des actions en justice. 

Retard dans la délivrance des récépissés d’enregistrement

Aziz Arab, membre du Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS), a expliqué à Human Rights Watch et au REMDH :

Nous avons tenu notre assemblée fondatrice le 17 décembre 2011 dans la Maison des Syndicats à Alger. Nos documents fondateurs précisaient les objectifs de notre syndicat, à savoir la protection du matériel des professeurs de l’enseignement supérieur, la défense des libertés académiques et de la liberté d’expression, la lutte en faveur de la mise en place des conditions nécessaires au développement de la recherche scientifique, la défense des valeurs démocratiques, des droits des travailleurs et des droits de l’Homme, ainsi que la promotion de la solidarité entre les mouvements syndicaux. Nos statuts étaient conformes à toutes les exigences de l’article 9 de la loi n° 90-14. Le 19 janvier 2012, nous avons soumis notre déclaration d’enregistrement au ministère du Travail et de la Sécurité sociale.

Le 5 mars 2012, nous avons reçu une lettre du ministère, datée du 16 février, dans laquelle il déclare qu’« après examen de [nos] statuts, il apparaît qu’ils ne sont pas conformes aux dispositions de la loi algérienne sur l’exercice du droit syndical ». Le 12 septembre 2012, nous avons été invités à participer à une réunion avec le responsable du département du dialogue social au sein du ministère. Il nous a précisé que nous devrions apporter des changements à nos statuts, certaines de ces modifications équivalant à une ingérence dans notre activité. Il nous a par exemple expliqué que nous devrions supprimer de nos objectifs la mention des « droits de l’Homme » et de la « solidarité avec les mouvements syndicaux.

Nous avons de nouveau soumis notre déclaration au ministère le 25 novembre 2012, en modifiant nos statuts comme nous l’avait recommandé le ministère, mais nous n’avons reçu aucune réponse. Le 18 novembre 2013, nous avons envoyé une lettre de rappel au ministère, afin de lui réclamer notre récépissé d’enregistrement. Nous n’avons toutefois toujours pas reçu de réponse.

Le Syndicat national autonome des travailleurs du nettoyage et de l’assainissement (SNATNA) est confronté aux mêmes obstacles. Sifouane Mahmoud, le président du SNATNA, a expliqué que son syndicat avait tenu son assemblée générale fondatrice en juin 2011. Le 5 octobre 2011, le syndicat a soumis sa déclaration de constitution au ministère du Travail et de la Sécurité sociale via un huissier de justice. Le 21 mars 2012, le ministère a envoyé un courrier au syndicat, affirmant que ce dernier ne pouvait être enregistré en l’absence de certaines informations, telles que la nationalité des membres du bureau exécutif et les certificats émis par l’employeur pour certains membres. Le 9 janvier 2013, le syndicat a soumis une nouvelle demande assortie des documents manquants, mais il n’a reçu aucune réponse de la part de l’administration.

Le Syndicat national autonome des postiers (SNAP) a soumis sa déclaration de constitution et les documents nécessaires à trois reprises, à savoir le 2 juillet 2012, le 13 septembre 2012 et le 3 mars 2013, sans pour autant se voir octroyer un statut juridique. Mourad Nekache, le président du syndicat, a affirmé que depuis la dernière notification, des membres du bureau national s’étaient entretenus avec des représentants du ministère du Travail à plusieurs reprises. Au cours de leur dernière réunion, le 22 avril 2014, le représentant du ministère leur a assuré que leur dossier était « complet », que leur enregistrement n’était plus qu’une question de temps et qu’il serait effectif dans deux ou trois jours. Le SNAP n’a toutefois toujours pas reçu son récépissé d’enregistrement.

Le Syndicat national autonome des travailleurs du groupe SONELGAZ (Société nationale de l’électricité et du gaz), a soumis ses documents fondateurs le 14 juin 2012. Abdallah Benkhalfa, le président du syndicat, a expliqué que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale avait envoyé un courrier daté du 13 septembre 2012 demandant au syndicat de compléter son dossier et de contacter le ministère, afin que celui-ci puisse lui soumettre ses commentaires et observations sur les statuts soumis. Ces commentaires portaient notamment sur les certificats attestant de la nationalité des fondateurs, sur les attestations de travail et les documents juridiques confirmant l’emplacement du siège officiel de l’organisation. M. Benkhalfa a affirmé que le syndicat avait soumis ces documents supplémentaires le 15 octobre 2012. Le syndicat aura dû attendre le 28 décembre 2013 pour recevoir son récépissé d’enregistrement.

Entre mars et novembre 2012, quatre syndicats ont porté plainte auprès du Comité de la liberté syndicale de l’OIT. Il s’agit du Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS), du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), du Syndicat national autonome des postiers (SNAP) et du Syndicat national autonome des travailleurs du groupe SONELGAZ.

La réponse du Comité a été la suivante :« Le principe de la liberté syndicale risquerait très souvent de rester lettre morte si les travailleurs et les employeurs devaient, pour pouvoir constituer une organisation, obtenir une autorisation quelconque. Il peut s’agir soit d’une autorisation visant directement la création de l’organisation syndicale elle-même, soit de la nécessité d’obtenir l’approbation discrétionnaire des statuts ou du règlement administratif, soit encore d’une autorisation dont l’obtention est nécessaire avant la création de cette organisation. Il n’en reste pas moins que les fondateurs d’un syndicat doivent observer les prescriptions de publicité et les autres dispositions analogues qui peuvent être en vigueur en vertu d’une législation déterminée. Toutefois, ces prescriptions ne doivent pas équivaloir en pratique à une autorisation préalable ni s’opposer à la création d’une organisation au point de constituer, en fait, une interdiction pure et simple. »

Le Comité précise dans ses conclusions : « De manière générale, rappelant que les dépôts de demande d’enregistrement ont été effectués pour un cas il y a plus d’un an, le comité ne peut qu’exprimer sa préoccupation devant ce qui constitue des délais manifestement trop longs pour enregistrer des organisations syndicales et une atteinte au droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix. »

Le Comité a recommandé aux autorités algériennes d’accélérer la procédure d’enregistrement de ces syndicats, mais deux des syndicats concernés n’ont toujours pas reçu leur récépissé d’enregistrement de la part du gouvernement.

Obstacles à la formation de fédérations et de confédérations

L’article 2 de la loi n° 90-14 énonce que les travailleurs salariés ou les employeurs de même profession, branche ou secteur d’activité ont le droit de se constituer en organisations syndicales.   Les autorités ont interprété cette disposition de manière à interdire la formation de confédérations ou de fédérations unissant des travailleurs de secteurs différents, ce qui semble être une restriction arbitraire du droit à la liberté d’association. Dans un avis daté du 17 octobre 2001, l’OIT a jugé que la loi algérienne ne devait pas être interprétée de façon à empêcher les syndicats de former des fédérations et des confédérations, et appelé les autorités algériennes à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux restrictions et aux obstacles à leur création.

Les autorités ont ainsi utilisé cet argument pour rejeter la requête émise en 2001 par le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP) de former le Syndicat national autonome des travailleurs algériens (SNATA). Plus récemment, le SNAPAP a de nouveau tenté de créer une confédération rassemblant des syndicats autonomes du secteur privé, à savoir la Confédération générale autonome des travailleurs algériens (CGATA). Le 9 juin 2013, un huissier engagé par le SNAPAP a soumis les statuts de cette nouvelle confédération et tous les autres documents requis au titre de la loi n° 90-14 au ministère du Travail et de la Sécurité sociale. La confédération n’a toujours pas reçu de réponse du gouvernement. Le 26 novembre 2013, elle a introduit une plainte auprès du Comité de la liberté syndicale de l’OIT. Le 29 mars 2014, elle a organisé une assemblée générale dans la Maison des Syndicats à Alger. Des observateurs issus de confédérations internationales ont participé à cette assemblée, afin d’évaluer la légitimité démocratique de la CGATA.

Harcèlement et intimidation de leaders syndicaux

Des membres de syndicats autonomes ont déclaré à Human Rights Watch et au REMDH que les autorités leur infligeaient un harcèlement judiciaire et des arrestations arbitraires en représailles pour leurs activités syndicales et manifestations pacifiques en faveur des droits des travailleurs.

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, qui examine les plaintes portant sur les violations de la liberté d’association, a affirmé dans sa jurisprudence que le droit de grève « est un droit dont doivent jouir les organisations de travailleurs (syndicats, fédérations, confédérations) », que toute restriction de ce droit « ne peut être que limitée » et que « l’exercice légitime du droit de grève ne saurait entraîner de sanctions d’aucune sorte, lesquelles seraient assimilables à des actes de discrimination antisyndicale ».

Plusieurs militants syndicaux ont déclaré à Human Rights Watch et au REMDH qu’ils avaient été victimes de représailles après avoir organisé des grèves ou y avoir participé. Pourtant, affirment-ils, ils avaient bien observé les lois algériennes stipulant la marche à suivre avant d’appeler à la grève. Ces étapes comprennent notamment de laborieux mécanismes de médiation et de conciliation suivant l’article 24 de la loi relative aux syndicats, un préavis de huit jours donné à l’employeur et la garantie d’assurer un niveau de service minimum durant la grève. L’article 33 de cette loi interdit d’infliger des sanctions aux travailleurs ayant participé à une grève légale.

Mourad Tchiko, membre du bureau national du SNAPAP et ancien président de l’Union nationale des agents de la protection civile, a décrit les intimidations et le harcèlement judiciaire qu’il subit depuis 2004. 

Le 18 décembre 2004, M. Tchiko a organisé et participé à un sit-in, en face de la direction nationale de la protection civile d’Alger, afin de réclamer l’ouverture d’une enquête sur la corruption dans cette administration, ainsi que l’amélioration des conditions de travail. Le même jour, la protection civile le suspendait de son emploi. En avril 2005, a déclaré M. Tchiko, le tribunal de Bir Mourad Raïs à Alger l’a inculpé des délits d’« entrave aux services d’une administration publique » et de « rassemblement non autorisé ». 

Après six ans d’attente d’une décision judiciaire, le tribunal de Bir Mourad Raïs a décidé, le 2 janvier 2012, de l’acquitter de tous les chefs d’inculpation retenus contre lui. M. Tchiko a informé l’administration civile de son acquittement, mais en avril 2014, il n’avait toujours pas été autorisé à reprendre son poste. 

En avril 2012, la Fédération nationale des travailleurs du secteur de la justice a fait grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. Dans le sillage de cette grève, l’administration a cessé de payer 57 travailleurs du secteur de la justice et elle a supprimé leurs prestations sociales et d’assurance maladie. Selon les membres du bureau exécutif de la fédération, l’administration ne leur a envoyé aucune notification de licenciement. Deux ans plus tard, ces travailleurs étaient toujours dans une situation de vide juridique, dans l’impossibilité de reprendre leur poste ou d’entamer une action en justice auprès du tribunal administratif pour licenciement arbitraire, dans la mesure où ils ne disposent d’aucune notification officielle à contester. Le 17 septembre 2013, la fédération a envoyé un courrier au ministre de la Justice lui demandant de « prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces licenciements arbitraires et de réintégrer les travailleurs. » En avril 2014, le ministère n’avait toujours pas répondu à ce courrier et les travailleurs n’avaient toujours pas été réintégrés.

Mourad Ghedia, président de la Fédération nationale des travailleurs du secteur de la justice, a déclaré que lors de la grève d’avril 2012, le bureau national avait respecté la loi sur les grèves et avait envoyé un préavis aux autorités le 31 mars 2012, onze jours avant le début de la grève prévue le 10 avril, conformément à la loi n° 90-02 du 6 février 1990. Il a également affirmé que le syndicat avait respecté l’article 38 de cette même loi, qui stipule que certaines catégories de travailleurs, tels que les auxiliaires de justice, doivent maintenir un service minimum en cas de grève. M. Ghedia a expliqué que les travailleurs avaient assuré la tenue des procès d’urgence, la délivrance des permis d’inhumer et la prise en charge des individus arrêtés, placés en détention ou dans la phase d’appel de leur procès.

L’administration a toutefois décidé de renvoyer sans préavis 57 travailleurs, dont six membres du bureau exécutif de la fédération. M. Ghedia a précisé que l’administration n’avait pas renvoyé ces travailleurs par le biais d’une procédure légale et officielle ou en les informant de leur licenciement, mais qu’elle s’était contentée d’arrêter de les payer.

Zahia Boutaoui et Aziza Haddadi, toutes deux membres du bureau exécutif de la fédération, ont confirmé qu’en avril 2012, l’administration avait cessé de les rémunérer sans avertissement préalable et qu’elle avait mis un terme à leurs prestations sociales et d’assurance maladie. Mme Haddadi, qui était auxiliaire de justice au tribunal de première instance d’El Harrach près d’Alger, a expliqué à Human Rights Watch et au REMDH que le président du tribunal l’avait appelée pour lui signifier qu’elle ne pourrait plus revenir au travail.

Elle s’est rendue au département financier du tribunal pour réclamer son salaire. Les employés de ce département l’ont alors avertie qu’elle ne faisait plus partie de la liste des employés et que son salaire d’avril 2012 serait le dernier. Sa carte d’assurance maladie a également été annulée, a-t-elle affirmé.

Saad Bourekba, membre de la Fédération nationale des travailleurs du secteur de la justice, était un des leaders de la grève d’avril 2012 à Sétif. Il a été poursuivi pour avoir interrompu le réseau Internet du tribunal où il travaillait et condamné par le tribunal de première instance de Setif à un an de prison, dont dix mois avec sursis, M. Bourekba a néanmoins affirmé que c’étaient ses activités syndicales qui avaient donné lieu à ces poursuites. Le 22 décembre 2013, la cour d’appel de Setif a confirmé sa condamnation. Il a saisi la cour de cassation et a été libéré provisoirement en attendant que la cour rende sa décision.

En avril 2013, Rachid Malaoui, le président du SNAPAP, a été renvoyé de son poste à l’Université de la Formation continue d’Oran. M. Malaoui a été élu secrétaire général du SNAPAP en 2001, puis président en 2005 et il a été réélu président lors du dernier congrès du syndicat en décembre 2011.

Depuis 2001, le SNAPAP a introduit plusieurs plaintes auprès de l’OIT pour violations des droits de l’Homme et des droits syndicaux par le gouvernement algérien. M. Malaoui a fait pression pour que l’Algérie soit tenue de rendre des comptes au Comité de l’OIT pour l’application des normes internationales.

Selon la loi n° 90-14, les membres des structures exécutives d’un syndicat peuvent s’absenter de leur travail pendant une certaine période pour exercer leurs responsabilités syndicales, avec la garantie d’être réintégrés à leur poste. Conformément à l’article 47 bis de cette loi, l’employeur doit engager avec les organisations syndicales représentatives dans l’organisme employeur des négociations concernant les conditions dans lesquelles leurs membres peuvent obtenir un détachement en vue d’exercer, pendant une durée déterminée, des fonctions permanentes au service de l’organisation syndicale à laquelle ils appartiennent, avec la garantie de réintégrer leur poste de travail ou un poste de rémunération équivalente à l’expiration de cette période. M. Malaoui avait par le passé déjà exercé ce droit en tant que président du SNAPAP. Le 26 janvier 2012, après sa réélection au poste de président du SNAPAP, M. Malaoui a réintroduit une demande de détachement auprès de son université. L’université ne lui a jamais répondu, a-t-il affirmé. 

Le 22 avril 2013, l’université l’a renvoyé pour avoir illégalement quitté son poste et a cessé de le rémunérer sans préavis. En juin 2013, il a expliqué qu’il n’avait pu obtenir une copie de sa lettre de renvoi qu’en entamant une procédure de référé devant le tribunal administratif. Le 1er avril 2014, M. Malaoui a introduit une requête visant à annuler son renvoi auprès du tribunal administratif d’Alger. Il attend toujours que le tribunal rende sa décision. 

En novembre 2013, le REMDH a participé à une initiative conjointe avec des confédérations et des syndicats internationaux, dans le but d’exprimer sa solidarité à Rachid Malaoui. Plus de 4 300 courriers ont été envoyés à la présidence algérienne. Ces lettres sont restées sans réponse.

Yassine Zaïd, défenseur des droits humains et syndicaliste, est victime d’intimidation et de harcèlement depuis qu’il s’est engagé dans les activités de syndicats indépendants, notamment du SNAPAP. M. Zaïd a déclaré que le 2 octobre 2012, il se rendait en bus à Ouargla pour y rencontrer des employés du secteur pétrolier. À un check-point à 20 kilomètres de là, les policiers ont arrêté le bus et vérifié les papiers des passagers. Le centre pétrolier est bordé par une zone militaire.

M. Zaïd a expliqué qu’ils l’avaient fait descendre du bus et qu’ils l’avaient emmené au poste de police d’Ouargla, où ils l’ont giflé à plusieurs reprises. Deux individus en civil l’ont ensuite placé en détention jusqu’au lendemain, puis il a été présenté au procureur d’Ouargla qui a ordonné sa mise en détention provisoire.

Le 8 octobre, il a comparu devant le tribunal de première instance d’Ouargla, inculpé d’agression et d’insultes envers un agent de police en vertu des articles 144 et 148 du Code pénal. Le tribunal l’a condamné à six mois de prison avec sursis. Il a fait appel de la décision le 16 octobre 2012. Le 7 mai 2014, le procureur de la cour d’appel d’Ouargla a envoyé à M. Zaïd une citation à comparaître pour sa première audience d’appel le 21 mai, mais la cour a reporté cette audience au 4 juin.

Amine Sidhoum, l’avocat de M. Zaïd, a affirmé qu’un témoin de l’interrogatoire de M. Zaïd par la police lui avait confié que trois policiers avaient interrogé M. Zaïd pendant près de deux heures, le frappant au visage et dans la nuque alors qu’il était menotté. M. Zaïd a affirmé qu’après sa libération, il avait introduit une plainte pour mauvais traitement auprès du procureur général du tribunal de première instance d’Ouargla, mais que le parquet n’avait entamé aucune poursuite contre les officiers de police concernés. 

Le 16 avril 2014, la cour d’appel d’Ouargla a condamné Houari Djelouli à un an de prison avec sursis et à une amende de 50 000 dinars (environ 500 euros) pour avoir distribué « des prospectus susceptibles de nuire à l’intérêt national », conformément à l’article 96 du Code pénal algérien. M. Djelouli a été arrêté le 8 avril 2013 au centre d’Ouargla alors qu’il s’apprêtait à distribuer des prospectus du CNDDC appelant à l’organisation d’un sit-in devant la wilaya d’Ouargla le 11 avril 2013, dans le but de promouvoir le droit au travail. M. Djelouli était à l’époque membre du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), dont la