La tour Odéon, l'histoire d'un chantier dont les malheurs ont atteint des sommets
Monaco

La tour Odéon, l'histoire d'un chantier dont les malheurs ont atteint des sommets

Quand sa construction sera achevée, en 2015, elle dominera Monaco et accueillera, au dernier étage, le penthouse le plus cher du monde avec vue imprenable sur la Méditerranée. En attendant, la tour Odéon a coûté une fortune à ses promoteurs, leur tranquillité à ses voisins et, à la principauté, une partie de sa réputation de havre de paix pour les milliardaires discrets. Jacqueline Rémy raconte l'histoire d'un chantier dont les malheurs ont atteint des sommets.

Ne demandez pas au père Fabrice Gallo quelles paroles il prononça le 4 novembre 2009 pour bénir la naissance de la tour Odéon ; il affecte de ne pas s’en souvenir. « Allez sur Internet, lance-t-il. Tapez bénédiction et chantier : il y a des prières qui existent. » Le facétieux ecclésiastique ne peut cependant avoir ­oublié les mots qu’il a dits lorsque, curé de la paroisse de Sainte-­Dévote, on est venu lui demander de placer le futur gratte-ciel en germe sous l’aile bienfaisante de la sainte patronne de Monaco. Il n’a sûrement pas oublié non plus la petite madone qui fut alors installée dans une niche, en bordure du chantier, ni le discours incantatoire prononcé par le maître d’ouvrage, Claudio Marzocco, afin d’éloigner la poisse et de protéger les ouvriers qui, le lendemain, donneraient le premier coup de pioche.

Cinq ans plus tard, la tour Odéon s’habille de verre bleuté et l’amnésie atteint beaucoup des protagonistes de cette étrange aventure. Car d’une première mondiale – l’excavation sur 70 mètres de profondeur d’une surface de 3 500 mètres carrés à flanc de montagne – a surgi l’objet architectural le plus fascinant, le plus tape-à-l’œil, le plus kitsch, le plus discuté, le plus hyperbolique du Rocher : « La plus haute tour résidentielle d’Europe », selon ses promoteurs, coiffée, à 170 mètres du sol (soit 49 étages) du penthouse « le plus cher du monde ». Et un sacré sac d’ennuis.

Culminant à 170 mètres, ce gratte-ciel devrait être la plus haute tour résidentielle en Europe.

Dans son bureau de Fontvieille, près du stade Louis-II, l’architecte Alexandre Giraldi touche encore du bois. Cinq ans sans accident majeur, oui. Mais cinq ans de tracas. D’abord, il y a eu la révolte des riverains, surtout ceux de Beausoleil, furieux de voir l’immeuble – construit sur la frontière de la commune française – leur faire de l’ombre. Puis il y eut le scandale des pots-de-vin, la mise en examen des frères Marzocco, accusés d’avoir huilé la bienveillance du maire de Beausoleil, Gérard Spinelli. Enfin, il y a eu la polémique politique lancée à Monaco par des élus du Conseil national (le parlement local), pas loin de penser que la principauté, qui a largement participé à l’opération, s’est fait pigeonner par des promoteurs trop gourmands alors que ces derniers ont la conviction au contraire de lui avoir offert un beau cadeau, comme l’assure Claudio, le chef de la famille Marzocco. Qui conclut sans bémol : « Pour Monaco, c’est l’affaire du siècle, l’affaire la plus importante depuis la préhistoire. »

Bizarrement, au gouvernement, nul ne confirme. Même les responsables de l’urbanisme refusent de commenter l’opération immobilière sous prétexte qu’il s’agit d’un « projet privé ». Privé, vraiment ? « Ce n’est pas un projet de la famille, affirme pourtant Daniele Marzocco, le fils de Claudio. C’est un projet de Monaco. » Son père insiste : « Monaco se retrouve propriétaire de la moitié de la tour. Et ça ne lui a pas coûté cher. » Ce n’est pas ce qu’ont pensé les conseillers nationaux lorsqu’ils ont découvert que, pour acquérir des logements à 27 000 euros le mètre carré, le gouvernement avait puisé la somme de 268,3 millions d’euros dans le bas de laine du pays, le fonds de réserve constitutionnel. En 2009, le ministre d’État (à Monaco, le chef du gouvernement), l’ex-préfet français Jean-Paul Proust, bétonnait publiquement de son appui enthousiaste le projet Marzocco : « L’intervention de l’État a été déterminante pour permettre au porteur de projet de sécuriser son financement. » De fait, l’État monégasque a consenti à cette opération privée une caution financière de bonne fin de travaux d’environ 300 millions d’euros, afin d’aider les Marzocco à décrocher un prêt avantageux. Aujourd’hui, le département de l’équipement, de l’environnement et de l’urbanisme délivre uniquement (par mail) des « éléments de réponses » sur sa politique : « La stratégie du gouvernement princier en matière d’urbanisation est guidée par le souci constant de développer son expansion économique tout en préservant la qualité de vie des lieux. » Le message confirme que la tour Odéon accueillera 161 appartements pour l’État, en plus des appartements privés de haut standing, des bureaux et des commerces. Pas un mot sur leur financement.

Ils sont désolés, les Marzocco, d’essuyer ces malentendus et ces « jalousies » alors que se termine la construction des deux corps de bâtiment en ellipse de la tour, conçus comme deux « pétales » lancés vers le ciel. Depuis que cette famille italienne a débarqué sur le Rocher à la fin des années 1980, elle s’est employée à prospérer mais aussi à se faire aimer. Tout le monde les dit « très sympathiques », les Marzocco. On leur donnerait le bon Dieu sans confession, dirait le père Gallo. Comme pour se faire pardonner de titiller la suprématie écrasante du clan Pastor dans l’immobilier local, ils se sont alliés à lui : en août 2012, au château de Buggiano, en Toscane, la jeune ­Valentina Marzocco a épousé Jean-Baptiste ­Pastor. C’était deux ans avant la mort du père de ce dernier, à la suite d’une maladie, et la cascade de catastrophes qui ont suivi. Son cousin Gildo, homme d’affaires et pilote automobile, a été victime d’un accident vasculaire cérébral et sa tante Hélène Pastor, qui était venue rendre visite à son fils, a été tuée le 6 mai 2014 à la sortie de l’hôpital niçois, assassinat que son gendre est soupçonné d’avoir commandité.

Daniele, le fils, futur patron du groupe Marzocco, ne tient pas à nourrir les polémiques. Il prévient tout de suite, lorsqu’on arrive sur le chantier : « Déjà, je suis timide. » Et ensuite ? « Je vous reçois par politesse. » Finalement, il se détend. On prend les ascenseurs. On admire le raffinement hors de prix des matériaux de décoration, le chêne blanchi, l’éclairage sous corniche, le buis sculpté, le teck massif, le marbre veiné à livre ouvert, les baies vitrées du sol au plafond, les balcons en verre cintré, pas un nœud dans les boiseries... Bref, « la qualité », insiste Daniele. Au 49e étage, on reste le souffle coupé face à la baie de Monte-Carlo – une vue « époustouflante », disent les thuriféraires de la tour Odéon.

De là-haut, les villas des riverains paraissent minuscules, bien trop lointaines pour qu’on entende leurs gémissements. On interroge du regard les palais d’opérette du Rocher, où les élus ne digèrent pas les faveurs octroyées au promoteur. Par quel miracle les Marzocco, à qui le prince n’a même pas accordé la nationalité monégasque, ont-ils pu, simplement en échange d’appartements alloués à la principauté, racheter à l’État les préaux du collège voisin, lui arracher cette précieuse caution financière et s’offrir le premier gratte-ciel construit ici depuis trente ans ? Daniele Marzocco cite Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. »

La publicité vantant les charmes de la tour est beaucoup moins « timide » que ses promoteurs : une belle brune à la silhouette vibrante de promesses se promène dans le palace où l’attend une paire de chaussures masculines vides – on retrouvera leur propriétaire nu, sur une table de massage – et un décor tout en colonnes marmoréennes, avant un petit tour en Ferrari, un autre en hors-bord et un dîner aux chandelles. La vie comme on la rêve à Monaco, la vie comme on l’entend chez les Marzocco.

Puisqu’il est « dans la nature humaine de s’améliorer », selon le fils Marzocco, il fallait le meilleur pour la tour Odéon : l’agrément d’un palace hôtelier dans un immeuble d’habitation. « On s’est demandé ce qu’on voudrait avoir à notre disposition si on se réveillait là. » Réponse : « On aimerait avoir un vrai concierge, comme à l’hôtel, pas un gardien qui, neuf fois sur dix, ne vous voit pas. » Et aussi un voiturier qui gare la Bentley, un service de navettes, un parking sur dix niveaux, un spa de 1 500 mètres carrés sur trois étages, un hammam, un salon de coiffure, un traiteur, une boulangerie, un centre d’affaires, un cinéma privé, une agence de voyages, un pressing, des dog-sitters, soit au total une cinquantaine de personnes. Et bien sûr, à la maison, domotique, home cinéma et coffre-fort dans chaque chambre. Le cabinet Alberto Pinto s’est chargé de la décoration de la tour ; le paysagiste Jean Mus des espaces verts ; le plasticien Yann Kersalé de la mise en lumière des façades, après celles du musée du quai Branly à Paris et de la tour Agbar de Barcelone.

Vue panoramique de Monaco avec la tour Odéon ajoutée en image de synthèse.

Oui, affirment les promoteurs, il fallait « le meilleur » pour Monaco, qui prétend au rang des grandes places financières internationales. Il fallait ce meilleur-là surtout pour Claudio Marzocco, qui consacre ainsi son pouvoir dans une principauté dont il n’est qu’un résident, son triomphe de chef de clan, sa revanche de petit Italien qui, chaque matin, remercie le ciel d’être ce qu’il est. Cet homme qui nourrit une folle passion pour la tour Eiffel et possède une quarantaine de livres sur Gustave, son inventeur, rêvait d’être lui aussi l’auteur d’une tour iconique pour Monaco, qu’on identifierait d’un coup d’œil à la principauté et sans doute à lui-même. Il pense déjà à un autre gratte-ciel – « la plus belle tour du monde », promet-il. Il fantasme sur les architectes qu’il pourrait enrôler – ­Daniel Liberskind, par exemple, auquel il était associé dans un projet qui n’a pas vu le jour, qui a dessiné le Musée juif de Berlin et prépare le nouveau visage de Ground Zero à New York. Mais la tour Odéon comble au moins sa soif d’écrire dans la terre et le ciel son bonheur d’être monégasque. Et surtout d’être vivant, car il s’en est fallu de peu.

 

ENLEVÉ PAR LA MAFIA 
L’œil méfiant, le sourire jovial, Claudio reçoit derrière une immense table, dans son bureau du quartier commerçant de la Condamine, au pied du Rocher. Il a fallu passer le filtre de son fils Daniele pour accéder à ce père si discret. Claudio tire sur un énorme cigare électronique, planté sur la table telle une tour miniature. « Vingt jours que j’ai arrêté ma liaison avec les cigarettes », soupire-t-il. Son médecin l’a prévenu : « M. Marzocco, vous êtes un gagnant, tout le monde vous appelle Rambo, vous avez 55 ans. Mais avec l’âge... » Le président du groupe Marzocco, qui a commencé à fumer à 12 ans, ne paraît pas très sûr d’avoir raison de s’émanciper du tabac. Les cigarettes lui ont sauvé la vie, dit-il. Qu’arrivera-t-il s’il les fuit ?

Voici un quart de siècle, entre le 18 janvier et le 25 janvier 1988, la mafia a enlevé huit personnes en Italie. ­Claudio Marzocco était du nombre. « Moi, ce fut le 22 janvier, à San Remo. » C’était un après-midi. Ingénieur dans la construction, il était seul au bureau. « Plusieurs personnes armées sont entrées. Je n’avais jamais vu d’arme de ma vie, faute d’avoir fait mon service militaire. » Modeste maçon descendu du Frioul sur la Riviera, son père est alors un petit chef d’entreprise, pas de quoi verser une rançon royale. Claudio proteste devant ses ravisseurs : « Vous faites une erreur ! » On l’embarque en voiture puis en camion et on l’enferme dans une sorte de tanière, une grotte, tête cagoulée, cou enchaîné, étroitement surveillé.

« La première nuit, je l’ai passée à claquer des dents, en me tenant la mâchoire. » Il prie la Vierge dont il porte une médaille sur la poitrine. « C’est incroyable comme l’homme peut s’adapter. Peu à peu, malgré ma cagoule, je suis parvenu à déceler qui, parmi les dix personnes qui se relayaient pour me garder, était le plus gentil, qui le plus cruel. » Il finit par obtenir des cigarettes. On lui abandonne une pierre à feu pour gratter ses allumettes. « Je dois remercier l’université, s’amuse-t-il. Je savais que la pierre à feu est une pierre dure. Au toucher, j’ai cherché une faiblesse dans ma chaîne et j’ai commencé à limer. » Il lui a fallu sept jours pour la rompre. Dans la soirée du 5 au 6 février, il s’est échappé.

Claudio Marzocco tire sur son cigare d’acier avant de poursuivre. « J’ai mis quatorze heures à trouver un village dans l’obscurité. Trente-deux kilomètres à pied, dans le froid. Des loups hurlaient. Je ne voyais rien, sans lunettes. Ce fut une expérience terrible. J’ai léché l’eau des flaques, par terre, tant j’avais soif. » Quand il arrive au village de Santa Cristina, en Calabre, et que, barbu, une chaîne autour du cou, il frappe chez les carabiniers, on lui demande ses papiers. Il n’oubliera jamais. Jusqu’en juin 2014, il n’a jamais cessé de fumer. Le père Gallo l’avait rassuré : « Ce n’est pas un péché. » La soif lui est restée. « Si je n’ai pas une bouteille d’eau à portée de main, je me sens mal. » Il boit sept à dix litres par jour. « J’ai des reins de bébé ! »

Image de synthèse de la future  plus haute tour résidentielle d'Europe.

Cet homme très grand au visage poupin aime bien citer son père : « Parfois, quand une porte se ferme, s’ouvre un portail. » Le rapt lui a servi de sésame pour une existence nouvelle, dopée par le goût de la vie, de Dieu, du jeu. À l’époque, il a 29 ans et il est père de famille. Daniele, son premier enfant, est né quand il avait 17 ans. Dès sa libération, toute la famille prend la décision d’émigrer à Monaco où le père, Domenico, travaille déjà et où Claudio se rend parfois pour affaires. « Je suis venu pour la sécurité », ­explique-t-il.

C’est aussi un argument majeur pour les clients dorés que le groupe veut convaincre de s’installer dans la tour Odéon. Sécurité financière, fiscale, et physique : 500 caméras de surveillance, des défibrillateurs au coin de la rue et l’œil du prince dans bien des commerces, qui accrochent son portrait en bonne place. « Ici, on ne dénombre pas plus d’un délit par jour », répètent les chefs de la police. Les magistrats français de la Côte d’Azur ne sont pas dupes. « Monaco accueille la criminalité du monde entier, souffle l’un d’eux. À condition de poser le flingue au vestiaire, d’endosser le blazer, de porter la cravate bleue à rayures rouges et de se parfumer. On ne met pas de sang sur les trottoirs de Monte-Carlo. » Pour ça, on traverse la frontière. Comme pour l’assassinat d’Hélène Pastor devant l’hôpital de Nice.

Les Marzocco débarquent donc sur le Rocher en 1988. « À l’époque, nous étions douze, précise Claudio. Aujourd’hui, nous sommes trente-cinq. Ma famille, à elle seule, représente un millième de la population. Je dois dire merci à Monaco qui m’a accepté, qui m’a permis de réaliser mes rêves, grâce au prince, grâce au pays. » Ici, il a créé son entreprise avec son frère Paolo, bientôt secondés par un autre frère, Luca, et son fils Daniele. On prête aujourd’hui beaucoup au groupe Marzocco – on lui attribue la propriété de centaines et de centaines de logements dans la principauté, ce qui fait tout de même beaucoup moins que les 4 000 appartements détenus par les Pastor qui, eux, ont débarqué de Ligurie en 1880. Sa force, c’est l’esprit de famille. Claudio savoure cette idée. Il attrape son cigare électronique. Encore une bouffée. Le président du groupe Marzocco s’emballe : « On parle de l’american dream. Moi, c’est le monégasque dream ! »

Les habitants de la principauté se distinguent par la compassion qu’ils manifestent à l’égard des Européens et surtout les Français, ces « pauvres » qui ne savent pas gérer leur budget ni leurs immigrés. Ici, on n’adopte les étrangers que s’ils sont peu ou prou milliardaires. De ce point de vue, Claudio Marzocco est devenu un vrai Monégasque. Il raconte que sa femme s’est fait dérober son portefeuille aux Galeries Lafayette et qu’un voiturier italien lui a lancé : « Vous devez être riche pour avoir une voiture comme ça ! » Pas de ça à Monaco.

On pourrait objecter qu’après la fin de règne de Rainier et les années molles de la crise économique, le glamour a vieilli, l’activité financière ralenti. Le budget de l’État, libre de dettes, est revenu à l’équilibre en 2012. La principauté aspire à croître, à tonifier son image, à repousser les frontières de son territoire de poupée. Par la mer, comme dans les années 1950 à 1970 où Monaco a gagné 30 hectares en construisant des polders. Et par le ciel, foin des tabous. Après le déchaînement urbanistique des années 1960 et 1970, le prince Rainier avait interdit toute construction de grande hauteur. Mais le plus petit État indépendant du monde après le Vatican est aussi le plus dense : 36 000 habitants serrés sur 2,02 kilomètres carrés, auxquels s’ajoutent chaque jour les 35 000 personnes qui traversent la frontière pour y venir travailler. « C’est excessivement petit », soupire Jean-Michel Cucchi, le président de la commission du logement au Conseil national. Le prince Albert a donc décidé d’abroger l’ordonnance souveraine signée par son père. Les 49 étages de la tour Odéon symbolisent insolemment ce tournant. « Nous avons l’orgueil de réaliser un projet qui est bien pour Monaco », se félicite Claudio, le chef de clan.

Chaque soir, pour s’endormir, le président du groupe lit des ouvrages de mathématiques. Mais chaque matin, il prie avec une ferveur décuplée depuis son rapt. Il prie pour les ouvriers du chantier. Il prie pour que la tour soit livrée dans les temps – ce devait être à la fin de l’année 2014, ce sera au printemps 2015. Il prie – « Pourquoi pas ? » – pour qu’à la fin des fins, le penthouse de 3 000 mètres carrés sur quatre étages, avec piscine à débordements, toboggan, salle de danse, ascenseur personnel depuis le bas de la tour se vende bien. La rumeur l’estime à 300 millions d’euros. « Ce sera beaucoup plus », corrige Daniele.

 

LES PRIÈRES DES SŒURS
Claudio prie pour tout car ce bâtisseur qui prétend viser la perfection n’ignore pas que le diable se niche dans les détails. Exemple : « Pour arrêter la hauteur des garde-corps en verre transparent, on a fait quarante réunions. C’était une question philosophique : comment protéger l’homme de l’irrésistible attraction du vide sans lui gâcher la vue ? Finalement, on s’est arrêté à 1,27 mètre. » Le promoteur suspend soudain notre entretien. Il allume le grand écran de télévision juste à temps pour voir courir à Deauville sa pouliche Annalulu, montée par le jockey Christophe Soumillon. « On a une vingtaine de casaques, sous les couleurs monégasques », précise-t-il. Annalulu n’est pas très bonne, elle va perdre, répète-t-il, comme pour mieux supporter la déconfiture qu’il anticipe. Elle gagne. Il n’en revient pas, téléphone à l’entraîneur Jean-Claude Rougié : « Tu es le meilleur du monde ! »

Le promoteur revient à sa tour : « 100 % Monaco », insiste-t-il. Il a choisi pour architecte Alexandre Giraldi, un Monégasque qui n’avait pas 30 ans quand il a commencé à plancher sur ce projet et que ­Claudio Marzocco présente comme un camarade de son fils avec qui il joue au tennis. Tout architecte étranger doit s’associer à un Monégasque s’il veut bâtir dans la principauté. Mais là, le ­Monégasque ­Giraldi ­affirme avoir travaillé seul. Le bruit a couru qu’il s’agit en réalité d’un vieux projet que Vinci avait sur les bras et qui devait être réalisé à la Défense. Giraldi dément. De fait, les travaux ont bien été « délégués » au groupe Vinci, selon l’expression de Claudio Marzocco. « Je voulais être tranquille, du point de vue de la sécurité. En 2009, Vinci était le premier constructeur de France, d’Europe et du monde. » Le ministre d’État de l’époque, Jean-Paul Proust, aurait pesé de tout son poids. Enfin, le président du groupe Marzocco s’est assuré les prières des sœurs de Montmartre, qui veillent sur lui de loin, mais cela n’a pas suffi. Quand les ennuis ont commencé, sœur Christina a dégainé un aphorisme consolateur, qu’il cite, histoire de positiver : « Dans tous les chemins, il y a des croix. »

Chambre avec vue.

Au départ, tout se présentait merveilleusement bien. Au début des années 2000, les Marzocco avaient proposé au prince Rainier – « à titre gracieux », répète Claudio – un complexe immobilier pharaonique. Refusé. Puis, il y a eu le projet d’extension en mer, avec Vinci déjà, sur 15 hectares, mais il était colauréat avec le tandem Pastor-­Bouygues qui, dit-on, tenait la corde. En 2008, Albert dit non et le projet est abandonné. La période est à l’économie. Le nouveau souverain s’inquiète aussi pour l’environnement. La principauté renonce alors provisoirement à s’étendre en mordant sur les flots. Le président du groupe Marzocco maugrée tout de même : « Nous avons jeté des millions d’euros à la mer pour ces projets, en frais d’études et de maquette. » Puis, vite, il se reprend : « La tour Odéon n’est pas une compensation. J’ai dépensé, je n’ai pas gagné. Il ne faut pas faire les choses pour de l’argent. » Le projet de la double tour Odéon est né de l’achat en 2003 d’une villa par les Marzocco dans le quartier de l’Annonciade, à l’est de Monte-Carlo, sur un terrain limitrophe avec la commune française de Beausoleil qui, géographiquement, ne forme qu’une agglomération avec Monaco. « On s’est dit qu’on pouvait acheter la maison d’à côté. Puis une troisième... » Justement, la principauté possède là derrière un terrain enclavé, inexploitable, qui sert de préau au collège Charles-III. Il est prêt à le céder en échange de logements pour les Monégasques. On arrive à 3 500 mètres carrés, de quoi construire un immeuble sur la frontière, auxquels le groupe adjoint un terrain adjacent en France : 4 000 mètres carrés, de quoi aménager un jardin.

Quand les riverains du futur gratte-ciel découvrent le projet, un peu tard, ils enragent. Ils ne veulent pas voir leur horizon barré. Ils redoutent les nuisances des travaux, convaincus que le constructeur va faire passer ses camions par Beau­soleil, pour épargner les Monégasques. À la municipalité, seule ­Brigitte ­Hourtic, l’opposante divers gauche du maire de droite, ­Gérard ­Spinelli, se manifeste publiquement. Une association se constitue, Odéon Riverains. À leurs protestations, on répond par l’intérêt public et la raison d’État. Dans le quotidien ­Monaco-Matin, l’architecte justifie les cinquante-quatre mois de travaux qui s’annoncent : « C’est le prix à payer pour relancer l’économie du pays, le moderniser et offrir aux Monégasques des logements supplémentaires puisqu’une partie des 307 appartements reviendra aux Domaines. » Les riverains ont beau arguer que l’intérêt de Monaco et celui de Beausoleil peuvent être contradictoires, au vu de leurs règlements d’urbanisme respectifs, nul ne les écoute. Un couple de riverains monégasques, défendu par l’avocat Frank Michel, conteste le permis de construire devant la justice de la principauté. Pour rien : « Le tribunal suprême les a déboutés », déplore l’avocat.

Le choc survient lorsque le maire, Gérard ­Spinelli, est mis en examen et incarcéré le 24 novembre 2009 pour « corruption passive » et « trafic d’influence ». Il est accusé d’avoir reçu d’un intermédiaire, Lino Alberti (mis en examen lui aussi), 60 000 euros en espèces, en échange de sa neutralité bienveillante face au chantier Odéon. Une autre enveloppe de 5 000 euros était censée l’attendre dans un coffre. Ce coup de filet survient dans le cadre d’une opération « mains propres » conduite sur la Côte d’Azur par le juge ­Charles ­Duchaine, un magistrat que les Monégasques connaissent bien et réciproquement. Détaché sur le Rocher en 1994, il a mené un combat solitaire pendant quatre ans contre certaines mœurs locales avant de publier un livre de mémoires (Juge à Monaco, Michel Lafon, 2002), où il dénonce « trafics bancaires, sociétés offshore, blanchiment d’argent » et autres « connexions mafieuses internationales ».

Les enquêteurs sont tombés sur cette affaire de pot-de-vin un peu par hasard, à la faveur d’écoutes téléphoniques visant le séduisant Ange-Roméo dit Lino ­Alberti, citoyen monégasque et compagnon de Chantal Grundig (veuve de Max ­Grundig, le magnat de l’électroménager), aujourd’hui retraité de son entreprise de terrassement, qui s’est taillé une réputation d’homme de réseaux. Au téléphone, il demandait à son amie de tenir prêtes les enveloppes pour « Gérard ». Les policiers en ont retrouvé une à Cap-Martin, dans le coffre de la villa de Chantal, contenant une liste en dix points des difficultés à régler dans la perspective du chantier Odéon.

Lino Alberti, qui a beaucoup d’entregent grâce à son statut de résident monégasque exonéré d’impôts, est une connaissance de ­Gianni ­Tagliamento, qu’on appelait « la petite araignée » dans la ­Camorra, à Naples, et que les policiers français surveillaient de près à la demande de leurs collègues italiens depuis 2007. L’enquête débouche en 2009 sur l’arrestation d’une quinzaine de personnes pour « blanchiment » et « corruption ». Il y a là aussi Roger Mouret, figure du banditisme italo-grenoblois, et quelques élus dont René Vestri, sénateur et maire UMP de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Ce dernier voit même son immunité parlementaire partiellement levée en 2010 (il est mort en février 2013 avant la fin de l’enquête). Seules les arrestations de Lino Alberti et de Gérard Spinelli concernent la tour Odéon.

Le 13 février 2010, trois mois après sa mise en détention, le maire de Beau­soleil est libéré sous caution. En attendant le terme de l’instruction, il nie avoir jamais touché d’enveloppe, explique qu’il n’a pas le pouvoir de contrer un projet sur le territoire monégasque. Le 2 mars, en revanche, il prend un arrêté pour interrompre les travaux prépa­ratoires du chantier Odéon sur le sol de Beausoleil, qui nécessitent l’agrément de la mairie. La « déclaration ­préalable » déposée en janvier avait été refusée mais le constructeur avait tout de même commencé les travaux sur le territoire français : installation de cabanes de chantier et de tirants dans le sol. Le tribunal administratif de Nice donne raison à Beau­soleil. Le chantier est arrêté. À l’échelle de travaux qui occuperont jusqu’à un millier d’ouvriers, le temps, c’est beaucoup d’argent. Les Marzocco et Vinci devront attendre le 9 avril 2010 pour que la justice lève finalement l’arrêté.

Un salon d'un des appartements de la tour Odéon.

 

UN AVANT-GOÛT DE L'ENFER
Thierry Thomassin est las de repenser à son combat perdu. Le président d’Odéon Riverains m’accueille dans le jardin de sa maison des hauts de Beausoleil, à l’ombre de la tour Odéon. Il s’est assis dos tourné au gratte-ciel clinquant qui, désormais, domine le paysage. Il est l’un des seuls riverains à accepter encore de prendre la parole. Cet artiste plasticien non dénué de talent me raconte à quel point les habitants de Beausoleil ont peur de fâcher Monaco. Presque tous travaillent ou ont un membre de leur famille employé dans la principauté. Lui-même a éprouvé la fragilité de sa position. Pour arrondir ses fins de mois d’artiste, Thierry Thomassin remplace des gardiens d’immeubles en congé. « Depuis dix ans, raconte-t-il, je travaille à l’occasion dans un immeuble construit par les Marzocco, juste à côté de ce qui est devenu la tour Odéon. En 2010, alors que les travaux sont suspendus et que j’ai pris la présidence d’Odéon Riverains, on m’appelle pour un remplacement à ce poste. Je découvre que les Marzocco y ont installé les infrastructures du chantier et les bureaux des ingénieurs. »

Dès le premier jour, il voit surgir devant sa guérite deux frères Marzocco, stupéfaits : « Qu’est-ce que tu fous là, toi ? » Il ne connaît pas les promoteurs mais visiblement eux le connaissent. Ils plaisantent presque avec lui. « Tu cherches des problèmes ? Tu ne peux pas rester tranquille ? » Thomassin en sourit aujourd’hui : « C’était cocasse », presque une scène de film comique. « Chaque jour, les Marzocco me parlaient en passant. Ils n’étaient pas antipathiques ni vraiment menaçants mais j’ai eu le sentiment qu’ils voulaient m’impressionner. » Il raconte que Claudio lui a lancé, un matin : « Qu’est-ce que tu veux ? Mon projet à 500 millions d’euros ? Qui tu es, toi ? Un fou ou un courageux ? »

L’un des promoteurs finit par jouer les facilitateurs : « On est en guerre. Mais dans la vie, la guerre ne sert à rien. On s’arrange toujours, prenons un café ! » Il laisse sa carte à Thierry Thomassin, qui reste de marbre. Finalement, le chef de clan convoque son gardien d’immeuble. « Je suis entré dans une salle avec une grande table. Marzocco s’est assis à côté de moi. Il a glissé la main dans sa poche. » Le président d’Odéon Riverains n’en mène pas large. Claudio en ressort une image pieuse de la Vierge. « Il me l’a mise sous le nez puis l’a rentrée dans sa poche sans un mot. » Puis il s’est exclamé : « Qu’est-ce que tu veux, qu’est-ce que tu veux ? La tour va se construire. Pourquoi tu fais tout ça ? »

Les amis paranos de Thierry Thomassin le taquinent : « Quand un Italien joue à ça, le cercueil n’est pas loin. » Lui hausse les épaules. Il croit juste que Claudio Marzocco, comme il le lui a dit, s’est convaincu qu’il a l’assentiment de la Vierge et de tous les saints pour faire la tour et qu’elle se fera. Thomassin s’interroge alors évidemment sur son avenir professionnel. « Je ne bosse plus dans cet immeuble, dit-il. Je comprends parfaitement que Marzocco n’ait plus envie de me voir. » Quatre ans plus tard, Thomassin murmure qu’il s’attend à ce que d’autres immeubles sortent de terre autour de la tour Odéon. Au risque de dévaloriser les biens fonciers des Français alors qu’à Beausoleil, on ne peut pas bâtir très haut et les permis de construire, délivrés au compte-gouttes, subissent un examen tatillon.

Les riverains ont perdu. Dix mille tonnes d’acier, 80 000 mètres cubes de béton : ils ont enduré pendant des mois le va-et-vient des camions, les cris des ouvriers, les nuages de poussière, la cacophonie des travaux : « Un avant-goût de l’enfer », s’exclame Anne-Françoise Chalandon, la trésorière de l’association. Plus que l’échec d’une action en justice maladroitement menée, ils digèrent avec peine l’humiliation qu’ils ont subie et la frayeur que beaucoup ont ressentie. Un sentiment aigu d’infériorité face à une principauté qui pratique l’autosatisfaction avec lyrisme. « Près de zéro chômage ! Zéro dette ! Et 20 % du territoire en plus et de façon pacifique. Oui, on nous envie ! » a entonné le nouveau président du Conseil national, Laurent ­Nouvion, lors de son discours d’intronisation, en février 2013. Allusion aux extensions en mer du passé, symboles de l’esprit conquérant affiché sur le ­Rocher, comme la tour Odéon aujourd’hui. « Beausoleil, à l’inverse, est une ville damnée, vouée à servir d’arrière-­base au salariat monégasque?», murmure Thomassin.

Totalement imbriquée dans Monaco, sur la hauteur, sans accès à la Méditerranée, cette commune de 13 000 habitants s’est créée au début du XXe siècle, à l’initiative du fondateur de la Société des bains de mer – qui gère les casinos et les principales affaires du Rocher – pour étancher l’afflux d’ouvriers immigrés venus participer au développement de Monaco jusqu’aux employés comoriens et les prostituées russes d’aujourd’hui. Réélu au mois de mars avec 70 % des voix face au Front national, le maire de Beausoleil se replie sur un silence mauvais quand on le sollicite : « La commune n’a rien à voir avec la tour Odéon, fait-il dire. Ce sont les prérogatives des Monégasques sur leur territoire. » Brigitte ­Hourtic ne veut plus s’exprimer. Du côté français, le silence règne désormais autour de la fastueuse double tour Odéon.

Les Français n’ont pas fini de donner à Claudio Marzocco des raisons de prier et de vapoter. Le 14 février 2012, lui et son frère Paolo, qui coprésident le groupe, ont été mis en examen par la justice française pour complicité de corruption, soupçonnés d’être à l’origine des sommes remises ou promises à Gérard Spinelli pour faciliter les travaux. Dans le bureau du juge Duchaine, ce jour-là, à Marseille, Claudio a pleuré. « Nous n’avons donné ni euro ni dollar à Gérard Spinelli », a-t-il déclaré à la presse. Il a échappé à la garde à vue, qu’il redoutait. « Je t’accompagnerai avec ma Bible », lui avait promis son médecin.

Claudio a toujours cette mise en examen flottant au-dessus de la tête comme une menace d’opprobre. « Je suis victime de la jalousie », glisse-t-il avant de rappeler qu’il avait confié la responsabilité des travaux au groupe Vinci. Lui, le promoteur, n’avait pas à négocier avec Beau­soleil. « J’ai confiance dans le juge, dit-il. Je n’ai rien fait de mal. La vérité sortira. » Quant à Alberti, il aurait admis avoir touché 250 000 euros pour ses bons offices et donné 65 000 euros au maire de Beau­soleil. Par la voix de son défenseur, Me Frank Michel, il conteste pourtant la corruption « car rien n’a été demandé en échange à M. Spinelli ». L’avocat ajoute : « Il s’agit d’ailleurs là d’une somme dérisoire. Il y a des choses infiniment plus graves qui semblent s’être produites autour de ce chantier. »

L'entrée de la tour Odéon.

Au fond, Claudio Marzocco, cet homme qui a tant aimé taquiner la roulette française, dit-on, sait très bien qu’il a gagné. Les élus du Conseil national n’ont été informés qu’à l’automne 2009, plusieurs mois après les faits, que le gouvernement monégasque avait puisé dans le fonds de réserve constitutionnel pour soutenir les promoteurs de la tour Odéon. Le ministre d’État de l’époque a reconnu en séance que cette petite cachotterie relevait de « la méthode du fait accompli » et qu’on ne le ferait plus. « Si ce projet m’avait été présenté, je ne l’aurais pas voté, affirme Jean-Michel Cucchi, le président de la commission du logement au Conseil national. Pourtant, je suis pragmatique : je ne suis pas contre les tours. » Daniel Boeri, qui préside la commission du patrimoine, non plus. Monaco attire toujours plus de résidents : 8 000 seulement des 36 000 habitants sont de nationalité monégasque. « Or, étant donné la cherté des loyers, les enfants du pays ne peuvent plus se loger, 97 % d’entre eux ne sont pas propriétaires, poursuit Jean-Michel Cucchi. L’âme de Monaco, ce n’est pas, même si nous l’accueillons comme il se doit, le milliardaire qui achète un appartement ici et repart si l’herbe est plus verte ailleurs. Voilà pourquoi les élus se sont battus pour avoir un secteur protégé et un secteur domanial afin de loger les nationaux, population stable de Monaco. »

Alors, en échange de la caution et du terrain cédé par l’État, le gouvernement va hériter de 161 appartements situés dans la moitié basse de la tour Odéon. Achetés à prix d’ami, selon Claudio Marzocco. « L’État a viabilisé un terrain inexploitable, enclavé. C’est une opération gagnant-­gagnant », dit-on dans son entourage. « Nous avons vendu 23 800 euros le mètre carré des habitations que nous vendons au privé à 60 000 euros », renchérit le promoteur. Mais en haut lieu, on calcule que le mètre carré vraiment habitable a en réalité coûté 27 000 euros et on refait à mi-voix les soustractions. « On nous a fait payer 268 millions d’euros des logements dont la construction est revenue au promoteur à 149 millions, dit l’un de ces initiés. En clair, nous avons financé leur tour. » De fait, Claudio Marzocco confirme que le devis de Vinci s’élevait à 297 millions hors taxes pour une surface habitable de 60 000 mètres carrés. Sur le Rocher, on estime que l’opération est revenue à 350 millions. S’il vend tous ses appartements privés, y compris le penthouse, il touchera un beau pactole. Si l’on se fie aux déclarations de TVA monégasque, en septembre 2014, à six mois de la livraison de la tour, un seul logement privé était vendu mais cela finira par s’écouler. La principauté, qui n’a pas de banlieue, est l’une des villes les plus chères du monde. « La demande de logements est bien supérieure à l’offre », explique Michel Dotta, président de la chambre immobilière de Monaco.

Les Marzocco trouvent qu’on leur fait un mauvais procès. Ils se sont tellement appliqués. Ils avaient même construit un petit immeuble à Nice, route de Digne, pour tester les détails techniques utilisés dans la tour Odéon, les marbres, les charnières, les portes coulissantes, les verres galbés, l’enduit dit « pierre tramée ». Les Monégasques logés là par les Domaines ne profiteront pas de ces subtilités. Leurs appartements sont moins somptueux. Il est prévu pour eux une entrée séparée, moins luxueuse, histoire d’éviter aux très riches de les croiser. Et ils n’auront pas accès à toutes les prestations offertes à ces derniers. « Cet écart de traitement est un peu choquant, pour le prix on aurait pu l’atténuer, mieux négocier », observe Jean-Michel Cucchi au Conseil national.

On se consolera avec l’aspect de la façade, le même pour tous. L’architecte Alexandre Giraldi dit avoir voulu allier les thématiques de la mer et du ciel, avec une vague en sérigraphie courant sur le verre bleu des façades. Il a aussi prévu que les LED d’éclairage extérieur changeront de couleur au gré de l’humeur. Les jours de fête, on pourra même l’illuminer aux couleurs du prince, rouge et blanc.

Là est peut-être l’essentiel. Les Marzocco se sentent soutenus par ­Albert II. Avec Vinci, si tout va bien, ils construiront pour 2019 un nouvel immeuble en front de mer, Testimonio II : une tour de 26 étages avec 156 logements domaniaux, une école internationale et des appartements privés. Claudio Marzocco ne se lasse pas de le répéter : « Ici, tu peux réaliser tes rêves. Ouvert et intelligent, le prince décide. » Quand son dernier enfant sera majeur, dans deux ans, il demandera la nationalité monégasque pour toute la famille. Et il pourra prier pour son projet suivant.