Les fausses pistes des tableaux de Claude Guéant

Les fausses pistes des tableaux de Claude Guéant
Photo des deux marines que Claude Guéant aurait vendues. (D.R.)

L'ancien ministre de l'Intérieur continue à jurer que les 500.000 euros retrouvés sur son compte proviennent de la vente de deux tableaux néerlandais. Sa version est contredite par l'enquête, que "l'Obs" a pu consulter.

Claude Guéant n'en démord pas. Depuis le début de l'affaire, sa version est la même. L'ancien secrétaire général de l'Elysée, mis en examen en mars dernier pour faux et usage de faux et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée dans le cadre de l'affaire dite "du présumé financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par le régime de Kadhafi" la répète dans toutes ses déclarations.

Il est allé jusqu'à écrire aux juges avant même d'être entendu et mis en examen pour leur envoyer des documents justificatifs : les 500.000 euros retrouvés sur son compte en banque proviendraient bien de la vente de deux petites marines d'un peintre néerlandais dont il peine à chaque fois à se souvenir du nom (Van Artvelt) à un acheteur miraculeux, un avocat Malaisien. Tant pis si le prix réel de ces deux petites huiles est évalué à... 35.000 euros aujourd'hui, grand maximum. Tant pis si le virement semble non pas venir de Malaisie, mais du compte saoudien d'un homme d'affaire proche de gros contrats signés avec la France... Tant pis si ses arguments ne semblent convaincre personne.

D'après l'enquête judiciaire, que "l'Obs" a pu consulter et déjà révélée partiellement par "Le Monde" et Mediapart, les enquêteurs cherchent aujourd'hui à raconter une autre histoire autour de ces deux petits tableaux de navires en galère, que celle livrée par le cardinal. L'argent provient-il des générosités du régime libyen pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy ? Cette somme a-t-elle un rapport avec des affaires conclues par Alexandre Djouhri, homme d'affaires et intermédiaire, qui a lui aussi fait l'objet d'une perquisition lors de cette enquête et qui pourrait être entendu ? L'argent versé sur le compte de Claude Guéant le 3 mars 2008 provient-il bien de la vente de ces deux tableaux de Van Artvelt ? Les juges ne négligent aucune piste.

# La femme de ménage et les tableaux

Claude Guéant a-t-il un jour possédé réellement les deux petites toiles, intitulées "navires par mer agitée" et "vaisseaux de haut bord par mer agitée" ? Les enquêteurs en doutent. D'abord, le cardinal, qui est pourtant un homme bien organisé - en témoignent ses nombreuses lettres et documents envoyés à la justice pendant la procédure - ne se souvient même plus de l'année de l'achat de ces marines. Lors de sa garde à vue, il avance l'année 1993... Mais rien n'est moins sûr. C'est sa femme, aujourd'hui décédée, qui avait eu un coup de cœur au Louvre des Antiquaires, explique-t-il.

Aucune photo n'existe non plus de ces œuvres dans les archives familiales. Et même la femme de ménage des époux Guéant ne se souvient pas les avoir vu. Elle explique lors de son audition : 

Je me souviens qu'il y avait des photographies, mais je n'ai pas le souvenir de peintures hors celle de Mme Guéant."

Et aucune confusion n'est possible entre les œuvres du Néérlandais et de Madame Guéant. Celle-ci ne peignait pas de bateaux, mais des "fleurs et des éléphants". Les enquêteurs montrent alors à l'employée de maison les photos des deux petites marines. Celle qui a commencé à travailler pour Claude Guéant lors de son arrivée comme Directeur général de la police en 1998, puis qui l'a suivi dans toutes ses fonctions au ministère de l'Intérieur, avant de devenir son employée personnelle, explique :

Je n'ai aucun souvenir d'avoir vu ces tableaux dans l'appartement quai Branly qu'occupaient M. et Mme Guéant. Je suis certaine de ne pas avoir emballé ces tableaux quand il a déménagé,  je ne me souviens pas non plus les avoir vus dans un précédent appartement." 

A croire qu'il s'agit de tableaux invisibles. "Confirmez-vous qu'avant l'achat par Monsieur Siva Rajendram [l'avocat malaisien] de ces tableaux, ni la banque, ni l'assurance ne connaissait l'existence de ces marines ?", demandent les enquêteurs. Claude Guéant confirme.

Pour prouver sa bonne foi, survient même un curieux épisode. En juillet 2013, juste après le début de la polémique sur ces tableaux, Claude Guéant produit à la justice la photo des deux œuvres.

Curieuse photo. En juillet 2013, en pleine polémique sur ces tableaux, la secrétaire de l'avocat qui aurait acheté les tableaux pose avec les deux toiles et un journal du jour. Le cliché est envoyé à Claude Guéant qui l'a produit à la justice.

Siva Rajendram, l'avocat à l'origine du virement de 500.000 euros, a envoyé par mail à l'ancien ministre français de l'Intérieur une photo inédite. On y voit une femme identifiée comme sa secrétaire tenir les deux tableaux, juste à côté d'un exemplaire du journal local du jour. Une preuve que les tableaux semblent bien être aujourd'hui en Malaisie.

# Un acheteur bien mystérieux

Claude Guéant, depuis le début de l'enquête, offre la même version de l'histoire de l'achat des deux toiles. Nous sommes à l'automne 2007. Au cours d'un dîner, un avocat malaisien dit s'intéresser à la peinture marine hollandaise. Coup de chance, le couple Guéant possède deux tableaux de ce style. Les époux aimeraient bien les vendre, car ils cherchent alors à acheter un appartement à Paris, de préférence dans les beaux quartiers, et leurs économies ne leur permettent que de viser un "40 m2", explique l'ancien ministre aux enquêteurs.

Quelques jours plus tard, l'avocat (Siva Rajendram donc) se rend au domicile du couple pour voir les tableaux. Il est missionné dit-il, par un client passionné de peinture. L'affaire est pliée en quelques heures. La somme proposée est exorbitante : 500.000 euros. Un expert missionné par la justice dans le cadre de l'enquête, montre que la valeur maximum de ces œuvres se situait entre 30 et 35.000 euros en 2008. Lors de sa garde à vue, cet écart de prix n'émeut pas le cardinal.

Question posée par les enquêteurs : "Avec cette proposition, somme toute alléchante, n'avez-vous pas décidé de vous renseigner par vous-même sur la valeur de ces œuvres ?" Réponse :

Franchement, cette proposition m'apparaissait correspondre à un besoin que j'avais et je ne suis pas marchand donc je n'ai pas cherché davantage."

Un manque de curiosité, voilà tout.

# De qui l'avocat malaisien est-il le faux-nez ?

La somme versée sur le compte de Claude Guéant n'est pas la seule incohérence dans cette transaction. Claude Guéant est formel : les 500.000 euros appartiennent bien à l'avocat malaisien. Les comptes en banque ne disent pas la même chose, comme permet de le révéler une note de Tracfin, l'organisme anti-blanchiment du ministère du Budget. Deux jours avant ce virement de mars 2008, le compte malaisien du Cabinet Rajendram a été crédité de la même somme provenant de la National Commercial Bank à Jeddah, en Arabie Saoudite. Toujours d'après la note de Tracfin, le donneur d'ordre est KhaIid Ah Abdullah Bugshan, homme d'affaire et intermédiaire très proche de de Dominique De Villepin et Alexandre Djouhri.

Auditionné et mis en examen, Khalid Bugshan n'a pas aidé les enquêteurs, affirmant ne plus se souvenir de ce virement de 500.000 euros. Il a même pointé du doigt comme possible responsable son ancien "gestionnaire de compte", Wahib Nacer. Ce dernier, dirigeant du Crédit agricole Suisse, a également été en contact pour affaires avec Bachir Saleh, l'un des dignitaires du régime de Kadhafi et patron d'un fond d'investissement libyen très puissant en Afrique. Bachir Saleh est aujourd'hui désigné par des anciens proches du régime de Kadhafi comme l'un des maîtres d'oeuvre d'un système de corruption entre la France et la Libye.

"J'ignore tout de cela et cela ne me concerne pas", a réagi Guéant lors de sa garde à vue. Il ne connaît pas Bugshan. Il n'a croisé Wahib Nacer qu'une seule fois en 2014, lors d'un dîner de banquier à Genève. Il connaît Djouhri, oui, et entretient même avec lui des relations personnelles mais ce dernier n'a rien à voir avec ce virement.

Violette Lazard

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Commentaires 23 commentaires
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  • enzoehoui

    " des archives personnelles provenant de fonctions ministérielles" ? C'est quoi cette entourloupe.?

  • traulduNaubs

    Ben vu les preuves, Guéant peut dormir tranquille...

  • luciendurand

    Guéant navigue "en mer agitée"

  • singio

    Quel mauvais polar. Du sarkoband pur jus.

  • combes

    Tout cela est inquiétant... Si la politique étrangère aventureuse de la France avait trouvé sa motivation dans le désir d'effacer quelque soutien gênant, ce serait même angoissant...

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