Mourir au matin des célébrations du 62e anniversaire de la République ne pouvait mieux clore un destin profondément lié à l’histoire de la Tunisie indépendante. Pourtant rien ne destinait Béji Caïd Essebsi, homme politique de 84 ans, à jouer un rôle central dans la Tunisie démocratique lorsque survient la révolution en 2011.

C’est pourtant cet homme, qui appartient à la génération des fondateurs de l’État, que Fouad Mbazaa, président par intérim après le départ de Ben Ali, choisit le 27 février 2011 comme Premier ministre. Il a été, de 1965 à 1967, son directeur de la Sûreté quand Béji Caïd Essebsi était ministre de l’intérieur, de 1965 à 1969.

Résurrection politique

Cette résurrection politique va changer le cours de son existence et celui de la transition. Car Essebsi apporte non seulement une expérience de l’État forgée au côté d’Habib Bourguiba et une habilité politique hors norme, mais aussi une vision politique. Pour lui, la révolution s’inscrit dans une continuité. Elle n’est pas une rupture avec le passé.

Certes, l’homme avait pris ses distances avec Habib Bourguiba après le refus de ce dernier de démocratiser le parti unique (Parti socialiste destourien) comme prévu en 1971. Après avoir quitté son poste d’ambassadeur à Paris, il publiera une tribune dans Le Monde intitulée « Les raisons d’un départ ». Son seul acte d’opposition publique au régime. Après une traversée du désert, il reviendra au gouvernement en 1981. Et ni la falsification des élections ni la répression féroce des « émeutes du pain » en 1984, ne recréeront la moindre distance avec son mentor.

Sous la présidence Ben Ali, à partir de 1987, il siège de 1990 à 1991 comme Président d’un Parlement avant de s’éloigner de la vie politique sans jamais émettre de critique.

Nidaa Tounes, une réponse aux islamistes

Le rôle post-révolutionnaire de Béji Caïd Essebsi ne s’arrêtera pas avec les élections de l’assemblée constituante, en octobre 2011, largement remportées par les islamistes d’Ennahda. Il évoque aussitôt l’idée de former une nouvelle force politique, ce sera Nidaa Tounes qui le place en position de négociateur face à Rached Ghannouchi, président d’Ennahda, durant l’été 2013. Le pays est alors au bord d’une confrontation politique majeure. La rencontre entre les deux hommes à Paris, en août, permettra la poursuite de la transition démocratique. Élu en décembre 2014, il appelle Ennahda à siéger dans un gouvernement de coalition, au grand dam d’une partie de ses soutiens. Cette entente résistera aux terribles attentats de 2015 et aux turbulences géopolitiques.

Au-delà de cette stabilisation salutaire, la présidence d’Essebsi restera marquée par deux initiatives. D’une part la tentative controversée de faire amnistier, dès sa prise de pouvoir, les hommes d’affaires et les fonctionnaires responsables de crimes économiques sous l’ancien régime. Finalement réduite à une loi de « réconciliation administrative » en octobre 2017. De l’autre, le projet – pour lequel il n’existe pas de majorité parlementaire – d’introduire l’égalité hommes femmes dans l’héritage.

Une crise interminable

Son quinquennat sera surtout paralysé par l’interminable crise de Nidaa Tounes, aiguisée par l’insistance de son fils, Hafedh Caïd Essebsi à en prendre le contrôle. L’affaiblissement du parti, devenu minoritaire à l’Assemblée, renforce mécaniquement Ennahdha et oblige Béji Caïd Essebsi à mettre l’alliance sous tension pour garder la main. En vain. En septembre 2018, l’alliance sera rompue, et son mandat s’achèvera sur un conflit avec Youssef Chahed, son Premier ministre qu’il avait pourtant imposé en 2016.

Déclaré président de la République par intérim, jeudi 25 juillet, Mohamed Ennaceur, président du Parlement, doit occuper ce poste entre 45 et 90 jours. Les élections législatives devraient se tenir comme prévu le 6 octobre prochain. En revanche, la présidentielle sera probablement avancée avant début octobre pour tenir compte des délais constitutionnels.