Atlantide 2021 – Asya Djoulaït : « Je ressentais de la colère »

 Atlantide 2021 – Asya Djoulaït : « Je ressentais de la colère »

Asya Djoulaït, auteure de « Noire précieuse », paru aux éditions Gallimard, Collection Continents Noirs. Crédit photo : Michael Meniane

Dans le cadre du festival littéraire Atlantide qui a eu lieu à Nantes, du 17 au 20 juin, nous avons interrogé trois autrices autour de la question de l’identité et du rôle de l’écriture dans sa construction.

Dans son premier roman « Noire précieuse », Asya Djoulaït aborde la question de l’identité par une histoire prenant place dans la communauté ivoirienne. Un choix qui pourrait paraître étonnant, pourtant l’héroïne de cette histoire, Céleste, n’est finalement pas si éloignée de l’autrice.

 

LCDL : Comment avez-vous connu cet univers ivoirien ?

Asya Djoulaït : Avant de m’intéresser aux locuteurs eux-mêmes, les Ivoiriens, je me suis intéressée à la langue. Dans le cadre de mes études, je suis partie au Liban pour faire un master de Littérature générale et comparée et c’est à ce moment-là que j’ai découvert la littérature francophone (Du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, du Québec…).

Donc, en revenant à Paris, ce que j’entendais à Château d’Eau, là où je préparais mes cours et où je corrigeais mes copies, m’émerveillait. Après en parlant à ces personnes ivoiriennes, elles m’ont raconté leur trajectoire migratoire.

J’ai suivi la méthode de Zola, beaucoup d’heures passées à Château d’Eau. Le dictionnaire en ligne Nouchi.com, une pépite ! Les séries ivoiriennes sur Youtube. Et c’était suffisant. Je voulais vraiment capter ce que le lectorat arriverait à saisir. Donc il y a beaucoup de mélange de français et de dialecte ivoirien. Si je poussais encore plus, j’allais avoir des pages et des pages de mots incompréhensibles.

 

Quelles réactions, notamment auprès de la communauté ivoirienne, a suscité le roman ?

J’ai dit à une amie sénégalaise, que j’écrivais ce livre en lui décrivant un peu le décor et elle me dit : « T’es sérieuse ?! C’est pas trop la période, avec l’appropriation culturelle… ». Et c’est vrai que je n’y ai pas pensé pendant tout le processus et tant mieux. Sinon je me serais censurée. J’ai eu l’impression d’à la fois respecter les gens qui m’avaient confié leurs histoires, de respecter la langue que je retranscrivais et ça me suffisait comme légitimité.

Mais j’ai pris les devants et j’ai envoyé le bouquin, notamment à Maboula Soumahoro, pour sonder un peu. Et j’ai eu des retours très positifs. Et des gens qui ont capté le travail littéraire et pas juste l’univers. Et qui m’ont dit qu’effectivement j’avais très bien retranscris le parlé ivoirien. Évidemment, à chaque interview, on me pose la question : « Mais vous n’êtes pas noire, qu’en est-il ? ». Mais c’est toujours une curiosité, une sincérité, jamais un jugement ou une assignation à une couleur de peau.

 

A quel point le personnage principal est-il éloigné de vous ?

Cette distance est très superficielle et relève des apparences. C’était vraiment un subterfuge de prendre un personnage éloigné de moi physiquement mais psychologiquement, je ne dirai pas jusqu’où, Céleste et moi avons vécu les mêmes surprises, les mêmes traumas, les mêmes joies. J’ai travesti un personnage de façon physique mais tout le reste et l’expérience, on l’a en partage.

Je cherchais à me protéger du lectorat. Je ne voulais pas dire que moi aussi, j’avais eu des difficultés à trouver ma place dans tel ou tel milieu, j’avais éprouvé un sentiment de honte, je ne l’assumais pas encore il y a trois ans.

Mais le temps de l’écriture, c’est un temps qui est très long, là je parle de quelque chose que j’ai écrit il y a quatre ans, qui a été publié l’année dernière, entre temps il s’est passé un milliard de choses. J’ai évolué, j’ai pris confiance dans ce que j’étais. Et j’arrive à regarder en ayant un peu plus de recul, mon éducation, la façon dont je me suis construite et ça y est ! Maintenant, je me sens apaisée avec cette idée, donc je révèle qu’il y a beaucoup de Céleste en moi.

 

Plus jeune, votre mère vous disait « T’es pas une Sophie ou une Gabrielle ». Comment le receviez-vous ?

C’était quasi quotidien. Je ressentais de la colère, de la haine, de la douleur, l’envie de casser les murs parce que, à un moment donné, tes parents te disent, tu n’es pas ça. Mais en même temps, quand tu rentres à la maison avec un 15/20, que ta mère te demande quelle était la meilleure note, tu dis 18, elle te répond « c’est qui ? » et que tu dis c’est Sophie ou Gabrielle, elle te dit « pourquoi tu ne fais pas comme Sophie ou Gabrielle ? ».

Donc une grande colère parce que t’es comparée aux autres dans des domaines que tes parents valorisent. Mais pour le reste, tu ne fais pas comme eux. En fait c’est une construction sélective qui est injuste parce que ça veut dire, prends le meilleur de chacun des gens qui sont autour de toi et essaies de te bâtir un corps et un esprit que tu n’es pas.

Donc beaucoup de colère et aujourd’hui, de l’amusement. Parce qu’on s’en sort bien. Parce que je suis enseignante et que c’est un métier que j’ai choisi, qui est ma vocation.

 

Vous disiez que c’est suite à un voyage que vous vous êtes sentie légitime pour écrire. Pourriez-vous nous en dire plus ?

J’ai vu avec des yeux nouveaux que j’avais des choses à dire. En étant en France, en étant encore sur le territoire et en habitant encore chez mes parents, je ne savais pas ce que je vivais, j’avais l’impression de vivre des interdits, de vivre dans l’incompréhension.

La légitimité vient de ce moment où je me dis que j’ai quelque chose à raconter. Et en fait, ce n’est pas grave si ça n’intéresse personne. C’est tant mieux, si ça intéresse mais sinon ce n’est pas grave. C’est ce que j’ai vécu et j’ai des choses à en dire.

La première chose que j’ai écrite, c’était pour participer à un concours de nouvelles, organisé par la Sorbonne. Et la légitimité vient aussi de la validation des pairs. Parce que j’ai participé à ce concours et on m’a tendu la main. Déjà, j’étais lauréate et on m’a dit qu’il fallait continuer à écrire.

Maintenant qu’on en est là et qu’on a ce privilège, on tend la main aussi et c’est ce que je fais avec mes élèves. En début d’année à chaque fois, on écrit le premier chapitre de leur potentiel premier roman et ils adorent ça en fait.

 

Le fait de devenir professeur a-t-il contribué à sentir une certaine légitimité ?

Ça fait cinq ans que je fais partie de l’éducation nationale. Cinq ans dans le 93, un peu partout, à Stains, Montreuil, Bagnolet, en région parisienne. Et ça m’a conforté dans l’idée que j’écris pour ceux qui pensent que la littérature n’est pas un endroit pour eux. Je pense que c’est vraiment ça.

Et créer un support, le montrer à mes élèves et leur dire : « maintenant c’est à vous de construire votre narration », ça me fait beaucoup de bien. Et ça me fait beaucoup de bien parce que je vois que ça leur fait beaucoup de bien.

Donc ils m’apportent autant que je leur apporte et aujourd’hui je le dis, j’ai besoin d’eux autant qu’ils ont besoin de moi. Je dirais que ça m’a donné confiance mais simplement pour écrire, c’est ma vocation. Écrire c’est pas ma vocation, c’est un endroit que j’ai découvert, que j’aime, que j’ai envie d’explorer, c’est un terrain de jeu. Mais la transmission, et pas forcément dans un cadre scolaire, c’est ce que j’adore.

 

L’orthographe d’Asya a-t-il été stylisé pour votre nom d’auteur ?

C’est vraiment comme ça et ça c’est encore l’histoire de l’immigration. Mon père va déclarer son bébé à la naissance. Il a toujours écrit mon prénom « Assia », encore aujourd’hui. Sauf que quand il a dit ça à la mairie, la personne a écrit « Asya ». Alors je ne sais pas pourquoi, il avait peut-être déjà rencontré ce prénom. Mais il trouvait que c’était plus joli. Ça dit beaucoup de choses de l’identité qui a été meurtrie.

Le « ï » de Djoulaït, c’est moi qui l’ai rétabli grâce à l’écriture mais sur mon passeport c’est écrit « ait ». Donc mes élèves m’appellent madame « Djoulait ». Normalement, c’est « Djoulaït ». Et c’est d’autant plus grave et problématique qu’en Kabyle « aït » veut dire la tribu. Donc en fait, tu ne peux pas amputer ça sinon ton nom de famille n’a aucun sens. Mais quand mon père est arrivé en France, on lui a dit « Djoulaït » ça fait trop maghrébin. « Djoulait » c’est plus français. Donc les deux, mon nom et mon prénom porte cette modification dans la chair de ce qu’on était. Le nom de famille c’était le plus important pour l’appartenance, la transmission…

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Charly Célinain