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Dans la chaleur du début de soirée, quelques familles du quartier Ennahli, au nord de Tunis, boivent un café sous les arbres. La quiétude du lieu est tout juste troublée par les cris secs de sportifs en plein effort s’échappant d’une salle voisine éclairée aux néons. Des jeunes mais aussi des adultes y sont en plein sparring, entraînement au combat, d’un cours de taekwondo. Mabrouka Gharbi, 36 ans, essuie les perles de sueur sur son front après un enchaînement de coups de pied. Elle est devenue adepte de l’art martial coréen alors qu’elle regardait ses deux enfants suivre un cours. « Au bout d’un moment, je me suis dit pourquoi ne pas essayer avec eux ? C’était difficile au départ parce que je n’ai pas la même souplesse, mais je m’améliore avec le temps », souffle-t-elle.
Elle n’est pas la seule passionnée dans son pays. « Depuis 2013, le moment où les Tunisiens ont commencé à gagner des médailles au niveau mondial, l’engouement pour le taekwondo a grandi. C’est devenu presque aussi populaire que le football en Tunisie », explique Aymen Taabi, le coach.
Depuis plusieurs années, les amateurs de cette discipline se font en effet de plus en plus nombreux. La Fédération tunisienne de taekwondo (FTT) dit compter 30 000 licenciés et près de 60 000 pratiquants dans plus de 500 clubs répartis sur le territoire, sans compter les cours dispensés dans les salles de sport. La victoire du jeune Mohamed Khalil Jendoubi, qui a remporté à 19 ans l’argent aux Jeux olympiques de Tokyo cette année dans la catégorie des moins de 58 kg, et celle d’Oussama Oueslati (moins de 80 kg), médaillée de bronze à Rio en 2016, ont renforcé la popularité de l’art martial.
« Une vraie vocation sociale »
« Cela fait depuis plus de vingt ans que le sport existe en Tunisie mais, ces dernières années, nous avons mis en place une stratégie pour vraiment le démocratiser », explique Mohamed Ghannem, avocat, taekwondoïste depuis son enfance et président de la FTT qui met en avant un sport « accessible à tous » aux nombreuses vertus pédagogiques. « La rigueur et la préparation mentale que nécessite cette discipline aident à donner un cadre aux enfants et aux adolescents. Pour les meilleurs, elle offre aussi des perspectives d’avenir. Beaucoup vont au lycée sportif et peuvent ensuite intégrer un institut supérieur du sport et de l’éducation académique », ajoute-t-il. Après deux ans d’études post-baccalauréat, un taekwondoïste peut enseigner. Une aubaine pour de nombreux jeunes dans un pays où le taux de chômage parmi cette catégorie approche les 36 %.
Et personne ne s’y trompe : le taekwondo rencontre un succès particulièrement important dans les quartiers populaires de la capitale, mais aussi dans les régions les plus reculées de la Tunisie. « Nous n’avons pas beaucoup de moyens, mais je pense qu’il y a une vraie vocation sociale pour cet art martial. Son développement peut réellement aider les classes les plus défavorisées », affirme Mohamed Ghannem. La fédération, qui dispose d’un budget d’environ 600 000 dinars (183 000 euros) par an pour développer le maillage territorial du taekwondo, a créé des championnats régionaux pour les jeunes qui n’auraient pas les moyens d’aller jusqu’à Tunis ou n’oseraient pas tenter leur chance dans la capitale.
Seifeddine Trabelsi, 29 ans, coach de l’équipe nationale, estime que l’Etat devrait davantage prendre au sérieux la discipline, lui octroyer plus de moyens. « Parce que même si, au début, c’est un sport qui nécessite peu de dépenses pour la famille, une fois que l’on atteint un haut niveau, il faut financer les voyages pour les compétitions », souligne l’entraîneur, lui-même en quête de sponsors pour les prochains championnats.
« Pas de différences entre les sexes »
Les effets bénéfiques du taekwondo sur la jeunesse sont visibles. A la salle omnisports de Menzah 1, à Tunis, Wahid Briki regarde la sélection nationale s’entraîner. Il a commencé le taekwondo il y a vingt ans et après avoir été plusieurs fois sacré champion, est devenu le coach l’équipe junior. Le sportif appartient à cette nouvelle génération de passionnés issue des quartiers populaires qui ont trouvé une vocation et un emploi grâce à cet art martial. « Je suis de Hay Etthadamen, à Tunis [un quartier populaire en périphérie] et ce sport y crée une vraie émulation entre les jeunes. Il allie le combat et la discipline, et il est moins violent que la boxe. Cela aide les jeunes à canaliser leur énergie », fait-il remarquer, ajoutant que la plupart des champions sont originaires de quartiers populaires.
« Mohamed Khalil Jendoubi vient de Djedeida, à l’ouest de Tunis. Il a commencé dans un tout petit club et il a pu devenir champion olympique à 19 ans, sans trop de moyens mais avec beaucoup d’efforts et de travail. Cela fait rêver les jeunes. Ils voient aussi le respect que Khalil ou d’autres champions inspirent au sein de leur quartier. C’est une forme de reconnaissance sociale », insiste Wahid Briki. A son retour de Tokyo, le jeune homme a été accueilli dans son quartier avec fumigènes et fanfares et sa photo est désormais affichée sur le mur de Menzah 1, à côté de celles des autres champions.
L’art martial séduit aussi beaucoup de femmes. Selon Mohamed Ghannem, elles sont même en passe de dépasser les hommes en nombre d’amateurs et de licenciés. Dans la salle de Menzah, les filles de l’équipe nationale font du sparring entre elles mais s’entraînent avec les hommes. Chaima Toumi, 17 ans, raconte qu’elle est allée naturellement vers ce sport, encouragée par son père, ancien coach de Taekwondo. « J’aime le fait qu’il n’y ait pas de différence entre les sexes. Aux championnats, nous sommes mélangés, dans les entraînements aussi. Cela casse le cliché selon lequel les sports de combat ne seraient réservés qu’aux hommes », lance-t-elle. Tous les athlètes de l’équipe nationale ont désormais les yeux tournés vers les jeux olympiques de Paris en 2024.
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