« On bloquera aussi longtemps que nos revendications seront ignorées. » Mounir Helali le clame avec l’aplomb d’un activiste endurci dans les combats. Casquette noire à longue visière, barbe noire drue – piquée d’un blanc trahissant les années – le solide gaillard de 35 ans est assis sur un matelas jeté sur une dalle de ciment.
Il n’en finit pas d’attendre, imperturbable, dans l’air chaud gorgé de poussière de Redeyef, un des centres miniers de ce bassin de Gafsa moutonnant dans les steppes de la Tunisie du Centre-Ouest. Ici, la lumière de l’été qui s’exalte dans les coteaux de pierre est si aveuglante qu’il faut vite se nicher dans le premier abri venu.
Alors, Mounir Helali et ses amis patientent dans leur refuge aménagé sous une gigantesque cuve de fonte où le phosphate est d’ordinaire lavé. Des pauvres draps feignent de les protéger des vents de sable qui dévalent à travers les convoyeurs, chenilles et passerelles d’acier. Le site de la compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) de Redeyef est comme pétrifié dans un silence amer et désolé, et il le restera aussi longtemps que la bande de Mounir Helali le bloquera. Chômeurs, la soixantaine d’activistes exige d’être recrutée à la CPG, la seule activité source de travail dans une région minée par le sous-emploi.
Ailleurs dans le bassin de Gafsa, et notamment dans le principal centre d’extraction de Metlaoui, la production a redémarré début 2021 après des années de blocages et de perturbations. Les « sitineurs » – comme on appelle en Tunisie ces adeptes du sit-in – de Redeyef ont, eux, refusé de lever le camp. Ils expriment à leur manière la permanence du malaise social en Tunisie, dont le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a tiré profit lors de sa campagne présidentielle victorieuse de 2019, mais qui, faute de solutions (le taux de chômage des diplômés est de l’ordre de 38 % dans la région de Gafsa), pourrait gripper sans tarder son mandat.
« Des paroles mais peu d’actes »
Mounir Helali fait partie de cette jeunesse populaire qui a voté pour Kaïs Saïed, figure de la probité plébiscitée par les déçus de la révolution, désireux d’en relancer les idéaux. Pour autant, il reste dubitatif sur la capacité du chef de l’Etat, qui s’est arrogé, le 25 juillet, les pleins pouvoirs au nom d’un « péril imminent » pesant sur les institutions, à régler la question sociale. « Pour l’instant, on n’entend que des paroles mais on voit peu d’actes », soupire-t-il.
L’humeur grinçante à Redeyef ne doit assurément pas être prise à la légère. De sacrés fantômes rôdent dans la désolation ambiante. Le site avait été l’épicentre de l’agitation du bassin de Gafsa en 2008, un défi lancé au régime de Zine El-Abidine Ben Ali, interprété a posteriori comme le prodrome du printemps révolutionnaire de 2011.
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