MOHAMED CHOUKRI est un écrivain singulier, reclus dans la marginalité. Âgé aujourd'hui de quarante-trois ans, cet homme n'a jamais été un enfant. Dans sa famille, l'enfance était un luxe. Très tôt il fut jeté dans la rue. Pas seul. Avec toute sa famille. Une famille nombreuse. Sur treize enfants, neuf sont morts de maladie et de malnutrition. C'était l'hiver 1942. L'année de la guerre et de la famine. Les paysans du Rit descendaient vers les villes du Nord du Maroc. Ils fuyaient le froid et la mort. Mohamed Choukri était arrivé à Tanger un peu par hasard. Il avait sept ans et aucune illusion. Il savait beaucoup de choses déjà. Il connaissait le goût de l'herbe rare et du pain volé.
Tanger à l'époque était une petite jungle mythologique, repaire de bandits, de trafiquants en tous genres et d'âmes maudites par le destin. Mohamed trouva refuge parmi les grandes pierres du port. Il sera docker Le plus jeune, le plus frêle. Clandestin dans le brouillard et la combine. Il sera aussi porteur d'eau au " gran socco ", apprenti cafetier, guide pour touristes pas très exigeants, vagabond à ses heures. Gamin sans attache, il saura déjouer la fatalité et sera un traître à l'ordre. Il fera de la contrebande. De petites affaires ; quelques cartouches de cigarettes américaines vendues sous la djellaba.
Son père est soldat dans l'armée espagnole. À vingt et un ans, Mohamed ne savait pas encore lire et écrire. C'est l'indépendance du Maroc. Une ère nouvelle. Il ose l'espoir, l'audace d'aller à l'école : " Je suis allé à l'école primaire de Larrache (85 kilomètres au sud de Tanger). J'étais presque aussi grand que l'instituteur. Il me chargeait de surveiller les élèves. Je le secondais en quelque sorte. J'avais la volonté. Je voulais savoir, rattraper le temps gaspillé. Non, pas gaspillé. Je ne pouvais pas faire autrement. J'avais vu un de mes frères mourir de faim. Je suis resté quatre ans à l'école. J'ai dû la quitter. Trop âgé.
" Depuis je suis autodidacte. J'ai repris ma vie dans les rues, dans les cafés Je lisais tout. Je n'avais toujours pas de foyer. Je dormais dans la mosquée. Je veillais toute la nuit ; j'attendais l'aube. Un gardien de la mosquée ouvrait les portes à ce moment-là pour la première prière. Les gens entraient pour prier, moi pour dormir.
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