L'anecdote était sûrement trop belle pour être vraie. Lorsque Francis Bouygues a rencontré Jeanne Moreau pour la première fois, il lui a demandé ce " qu'elle faisait dans la vie ". Invention de mauvaises langues ? Pas du tout. Eclat de rire de la star qui confirme. " C'était très drôle et ça m'a touché. Ce monsieur un peu rugueux et d'une pièce m'a rappelé mon père. Il était comme lui ". Ignorer Jeanne Moreau et vouloir construire un empire dans le cinéma n'était pourtant contradictoire qu'en apparence. Dès qu'il s'agit d'un business, les mêmes règles simples s'appliquent : compter ce qu'on dépense, prévoir les recettes.
Francis Bouygues a donc, un beau jour de septembre 1989, lâché brutalement l'empire du BTP qu'il avait bâti pour se tourner vers le cinéma. Qu'allait-il donc faire chez les saltimbanques ? Diversifier son groupe.
En 1987 déjà, un tournant majeur avait été pris : le groupe Bouygues avait remporté TF 1 dans la partie de poker des premières privatisations des chaînes de télévision. " Quand le président Mitterrand avait commencé à promouvoir la télévision, confia ensuite Francis Bouygues à Minorange, son journal interne, j'avais observé les possibilités avec un grand intérêt et dit à mes collaborateurs : préparons-nous. "
Emotion esthétique
Lorsque le gouvernement Chirac décide de privatiser TF 1, en 1987, en fixant la mise à prix à 4,5 milliards, le groupe Bouygues se met aussitôt sur les rangs. Avec l'opiniâtreté du second couteau (le groupe Hachette part largement favori), et la férocité juridique qui a toujours fait son habileté, Francis Bouygues part en campagne. Les erreurs de son adversaire le servent grandement. L'alliance d'Hachette avec Havas ne résiste pas au tollé politique qu'elle soulève et le dossier de candidature bâclé par un Jean-Luc Lagardère trop confiant ne supporte pas la comparaison avec celui du groupe Bouygues. " On a beaucoup travaillé avec Patrick Le Lay [aujourd'hui PDG de TF 1 ] et fait tout ce qu'il faut, voire plus. " C'est dans ce " voire plus " que réside sans doute l'un des secrets de la victoire de Bouygues. Quant aux dirigeants d'Hachette, ils ont également leur opinion sur ce que ces deux mots recouvrent. Ce fut en effet la victoire de tous les lobbies.
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