Il n’a que 20 ans, mais il doit déjà se réinventer, se reconstruire. Et pas n’importe comment : sous le regard de Scotland Yard. Le rappeur Digga D – de son vrai nom Rhys Herbert – doit soumettre avant diffusion ses « sons » et vidéos à la police, pour que celle-ci vérifie qu’ils n’incitent pas à la violence.
Cette situation particulière trouve son origine dans l’arrestation de Digga D en novembre 2017, puis sa condamnation en 2018. Les 1011, un groupe de Ladbroke Grove (quartier de Londres) dont il faisait partie, étaient sur le point d’attaquer avec machettes et couteaux de combat les 12 World, un groupe de Shepherd’s Bush (un autre quartier). En cause : la diffusion d’une vidéo sur YouTube dans laquelle les membres du 12 World s’en prenaient – verbalement – à la grand-mère d’un des membres des 1011.
Hécatombe d’adolescents poignardés
Digga D est l’un des rappeurs les plus connus de la scène « drill » londonienne. La « drill » est un sous-genre du hip hop, né à Chicago au début des années 2010. Ses thèmes principaux – la violence, les trafics divers, la guerre de gangs – sont déclinés à longueur de clips où les artistes apparaissent le plus souvent masqués et armés. La « drill music » est au cœur d’une hécatombe d’adolescents poignardés et, depuis 2015, la police de Londres surveille les vidéos qui incitent à la violence et n’hésite pas à demander à YouTube de les retirer.
Un documentaire, intitulé Defending Digga D et diffusé par la chaîne de télévision BBC 3, a suivi Digga D après sa libération au mois de mai. Interdit de séjour dans son quartier, porteur d’un bracelet électronique, il a été assigné à résidence à Norwich, à près de 200 km de Londres, sa ville natale. Il doit purger une peine de cinq ans de mise à l’épreuve.
Textes et images validés avant leur diffusion
Mais ce n’est pas tout. Digga D fait l’objet d’une ordonnance de comportement criminel (Criminal Behaviour Order, ou CBO). Aux termes de ce jugement, il n’est pas autorisé à diffuser ses « sons » ou ses vidéos sans en informer la police et le service de contrôle judiciaire. Si ses textes ou ses vidéos incitent ou encouragent à la violence, il peut être renvoyé en prison. De même, il lui est interdit d’entrer en contact avec une vingtaine de personnes, amis d’école, de son quartier ou membres de son ancien gang.
En 2018, le surintendant Kevin Southworth expliquait la démarche des autorités vis-à-vis de Digga D : « Lorsqu’un genre musical est utilisé pour provoquer, inciter ou conduire à des actes de violence, cela devient du ressort de la police. Nous ne sommes pas là pour tuer l’expression artistique de quiconque, mais nous sommes là pour empêcher que des gens soient tués. »
Cecilia Goodwin, l’avocate de l’artiste, est réaliste sur les états de service de son client, dont les démêlés avec la police ont commencé lorsqu’il avait 8 ans. « Je pense que [Digga] était un criminel, qu’il a pris certaines décisions dans son passé qui étaient vraiment mauvaises. Mais cela ne veut pas dire qu’il est perdu pour la société. »
Le rappeur explique qu’il a appris à vivre avec cette contrainte. « Ça a l’air dur, mais je m’y suis habitué maintenant », explique-t-il. Avant de sortir un son, Cecilia Goodwin doit passer les paroles au crible. Par exemple, pour le morceau intitulé Woi, publié en juillet 2020 et vu plus de 13 millions de fois sur YouTube, il a dû lui expliquer chacune des références du texte. Notamment le passage « Jump out, try put him in a coffin » (« Bondis, essaie de le mettre dans un cercueil »). « C’est une figure de danse, c’est sur YouTube, c’est un mème, c’est sur TikTok », explique Digga.
Dans un moment d’introspection, Digga D admet regretter certaines choses. Mais il est aussi conscient qu’il ne peut pas revenir en arrière et changer le cours de l’histoire. « J’ai appris de mes erreurs. Je ne serais pas où je suis aujourd’hui sans elles, mais je ne suis pas quelqu’un qui aime vivre dans le passé. J’aime aller de l’avant et je pense beaucoup à l’avenir. »
Son avocate n’a pas perdu confiance : « J’espère vraiment qu’il va abandonner le style de vie qu’il avait avant, qu’il vivra sans violence, sans menace de violence, sans police et sans probation. Je pense vraiment qu’il peut y arriver. »
Il se sait aussi constamment surveillé. Au mois de juin, il a participé à un rassemblement en soutien au mouvement Black Lives Matter. Il a posté une photo de lui avec une pancarte rappelant que « les vies noires comptent ». Il a tweeté que la police et les services de probation se sont rappelés à lui, en durcissant les conditions de sa mise à l’épreuve.
Certains soutiens du rappeur ont noté une différence de traitement avec Paul Golding, le chef de file du parti nationaliste Britain First. Ce dernier, malgré ses condamnations, a pu apparaître sans être inquiété lors d’une manifestation consécutive à la mort de George Floyd, où antiracistes et militants d’extrême droite se sont affrontés.
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